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[ 16 mars 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Point de départ de la prescription de l’action en responsabilité du banquier dispensateur de crédit

L’action en indemnisation du dommage résultant du manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt court non pas à partir de la date de conclusion du contrat mais à compter de la manifestation du dommage, telle que peut le révéler une assignation en justice consécutive au prêt fautif accordé.

Com. 9 févr. 2022, n° 20-17.551

Le point de départ de l’action en responsabilité du banquier dispensateur de crédit est régulièrement débattu. Tantôt fixé au jour de l’octroi du crédit (Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354 ; Com. 3 déc. 2013, n° 12-26.934), tantôt au jour où il est révélé à la victime (Civ. 1re, 16 janv. 2019, n° 17-21.218 ; Com. 22 janv. 2020, n° 17-20.819), l’arrêt rapporté participe à ce débat sans le clore, l’inévitable adaptation du point de départ de la prescription aux circonstances de l’action engagée rendant, dans cet épineux contentieux, la perspective de son unification purement chimérique.

Au cas d’espèce, une personne physique conclut une promesse d’achat portant sur un bien immobilier, sous la condition suspensive d’obtention d’un prêt. Ledit prêt lui est accordé en novembre 2009 par le biais d’un courtier en opérations de crédit. En janvier 2010, le bénéficiaire de la promesse refuse néanmoins de signer l’acte notarié de vente, soutenant que le prêt obtenu, quoique conforme à la condition suspensive, était excessif au regard de ses capacités financières et qu’il ne pourrait pas le rembourser. Les vendeurs, ainsi que l’agence immobilière par l'intermédiaire de laquelle la promesse d'achat avait été conclue, l’assignent en réparation de leur préjudice respectif.

Condamné par deux fois à payer des dommages-intérêts, d’une part aux vendeurs à raison de la rupture fautive du contrat, d’autre part à l'agence immobilière au titre de sa perte de chance de percevoir sa commission, l’emprunteur assigne en décembre 2014 la banque et le courtier en réparation des préjudices subis du fait de cette double condamnation, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (1231-1 nouv).  La cour d’appel déclare son action prescrite, faute d’avoir été introduite dans les cinq ans de l’octroi du crédit (expiré en novembre 2014, soit un mois avant l’assignation). Pour fixer le point de départ du délai au jour de la conclusion du prêt, les juges du fond considèrent que le fait générateur de responsabilité résidait dans l’octroi fautif du prêt : celui-ci lui ayant été consenti en novembre 2009, c’est à compter de cette date que le délai quinquennal de prescription aurait commencé à courir. Leur analyse reposait sur le principe selon lequel, en cas de manquement par un banquier à son devoir de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt, le point de départ de la prescription se situe au jour de la conclusion du prêt dans la mesure où le dommage, résidant dans la perte de chance de ne pas contracter, ou de contracter dans des conditions plus favorables, se manifeste dès l’octroi du crédit, c’est-à-dire au jour la signature du contrat (Com. 26 janv. 2010, préc). En ce sens, pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée par l’emprunteur, la cour d’appel retient que le dommage ne résulte pas des décisions de justice l’ayant condamné, en sa qualité de promettant, à réparer le préjudice causé par son refus d'acquérir l'immeuble qu’il avait promis d’acquérir, mais « de l'octroi du crédit et de ses conséquences juridiques et financières, dont il avait eu connaissance dès le mois de novembre 2009, de sorte qu'à cette date, il était informé du dommage auquel il était exposé ». Il est vrai qu’en l’espèce, l’action intentée visait à réparer le préjudice subi par le promettant à la suite de sa condamnation, dont la source se trouvait dans l’octroi du crédit litigieux. L’auteur du pourvoi soutenait cependant que ce point de départ devait être fixé à la date où il avait effectivement pu prendre connaissance de son dommage, soit au jour où les vendeurs et l’agent immobilier avaient obtenu sa condamnation, consécutive à son refus de signer l’acte de vente final malgré l’octroi du prêt. Le préjudice subi ne se serait donc pas réalisé à la date de l’octroi abusif du crédit, mais à celle de sa double condamnation, prononcée ultérieurement, de sorte que la prescription n'avait pu commencer à courir qu'à partir de ces décisions de condamnation.  La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel. Prenant appui sur l’article 2224 du code civil, dont l’application du délai quinquennal de prescription à l’action en responsabilité engagée ne faisait en revanche guère de doute, elle fixe son point de départ, courant « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu (…) les faits lui permettant de l'exercer », au jour où le demandeur a été assigné en responsabilité ; elle retient en effet que « le dommage dont M. [Z] demandait réparation ne s'était pas manifesté aussi longtemps que les vendeurs et l'agent immobilier n'avaient pas, en l'assignant, recherché sa propre responsabilité, soit au plus tôt le 3 septembre 2010, de sorte que, à la date des assignations qu'il a lui-même fait signifier à la banque et au courtier, les 19 et 22 septembre 2014, la prescription n'était pas acquise ».

Dont acte : la prescription ne débutait pas au jour de l’octroi du crédit, mais à compter de celui où l’acquéreur fut assigné en responsabilité pour son refus de régulariser la vente. En effet, ce n’est qu’à cette date qu’il a pu réaliser avoir été victime d’une faute de la banque, lui ayant consenti un prêt disproportionné à sa situation financière. Or cette faute l’ayant contraint à refuser la régularisation de la vente et conduit à voir sa responsabilité recherchée à ce titre par les bénéficiaires de la promesse, c’est donc à la date de sa première assignation qu’il a pu prendre connaissance des faits lui permettant d’agir contre la banque et le courtier en réparation du préjudice consécutif à sa condamnation, qui ne lui aurait pas été infligée si ces derniers ne lui avaient pas consenti un crédit excessif.

On observera qu’à rebours des juges du fond, la Cour de cassation ne se prononce pas sur le fait générateur du dommage. En ce sens, elle ne contredit pas la cour d’appel qui y avait vu sa source dans l’octroi d’un crédit disproportionné aux facultés de remboursement de l’emprunteur, ce fait étant acquis. La Cour se place sur un autre terrain : celui de la connaissance des faits lui permettant d’agir et révélés, en la circonstance, à la date de sa première assignation. Quoique le dommage ne résulte pas, comme l’a souligné la cour d’appel, des décisions de justice, mais de l’octroi fautif du crédit, ce dommage n’est apparu aux yeux de sa victime qu’à la date de sa première assignation par les bénéficiaires de la promesse. Autrement dit, si le dommage ne trouve pas sa source dans ces décisions de justice, les premières assignations qui les ont précédées l’ont fait apparaître au promettant qui n’avait pu, antérieurement, en prendre connaissance. C’est la raison pour laquelle la cour d’appel ne pouvait considérer que l’emprunteur en avait eu connaissance dès le mois de novembre 2009, date de l’octroi du prêt. En effet, il ne pouvait dès cette date être informé du dommage auquel il se trouverait exposé, la prescription d'une action en responsabilité délictuelle ne courant qu'à compter de la manifestation du dommage qui, en l’espèce, ne s’était révélé que par la délivrance des assignations.

Rejoignant ainsi la position de la première chambre civile (Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820 ; Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436) la chambre commerciale semble désormais disposée à considérer, conformément à l’indiscutable fondement de l’article 2224 du code civil, que le point de départ de cette prescription extinctive se situe à la date à laquelle l’emprunteur a eu connaissance du dommage, sa manifestation pouvant en revanche résulter de divers éléments de fait propres à chaque espèce : premier incident de paiement (Civ. 1re, 9 juill. 2009, préc.), date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face  (Com. 22 janv. 2020, préc.), jour où l’emprunteur a eu connaissance du défaut de garantie du risque qui s’est réalisé (Civ.1, 5 janv. 2022, préc.). Conformément au droit commun de la prescription extinctive des actions en responsabilité, le point de départ de la prescription court donc invariablement à compter du jour où le dommage se manifeste. Cependant, ce jour ne correspond pas nécessairement à celui de l’octroi du prêt, comme l’enseigne l’arrêt rapporté : source du dommage, l’octroi du prêt n’en permettait pas, toutefois, la révélation à sa victime. En l’espèce, c’est parce que le promettant a été condamné qu’il souhaita ensuite engager la responsabilité de la banque et du courtier. C’est pour cette raison que le point de départ de la prescription de son action ne pouvait pas être fixé avant la date de la première assignation ayant conduit à sa condamnation. 

Ainsi la naissance du droit à réparation ne coïncide-t-elle pas mécaniquement avec le point de départ de la prescription qui s’y attache et qui dépend, autrement, de la connaissance effective de ce droit à réparation même s’il existe déjà, théoriquement, dans le patrimoine de son titulaire. Au cas présent, sans les assignations délivrées par les bénéficiaires de la promesse, le titulaire du droit à réparation, dont la créance était née dès l’octroi fautif du prêt, n’aurait pas eu à agir, ou du moins pas sur le même fondement, pour obtenir la réparation de son préjudice auprès de la banque et du courtier. Plus généralement, cette décision renseigne sur la nécessité d’adapter le point de départ d’une action en responsabilité au jour où, en fonction des faits propres à chaque espèce, le dommage est révélé à sa victime, ce qui suppose d’adopter une approche contextuelle fondée sur une appréciation in concreto des faits litigieux ici parfaitement illustrée.

Références :

■ Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354 : D. 2010. 934, obs. V. Avena-Robardet, note J. Lasserre Capdeville ; RTD com. 2010. 770, obs. D. Legeais

■ Com. 3 déc. 2013, n° 12-26.934

■ Civ. 1re, 16 janv. 2019, n° 17-21.218 : AJ contrat 2019. 134, obs. J. Moreau

■ Com. 22 janv. 2020, n° 17-20.819 : AJ contrat 2020. 245, obs. J. Moreau

■ Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820 : D. 2009. 1960, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2009. 728, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais ; ibid. 2010. 413, obs. B. Bouloc

■ Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436 DAE, 20 janv. 2022, note Merryl Hervieu

 

Auteur :Merryl Hervieu


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