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Droit européen et de l'Union européenne
Point de départ du délai de 6 mois pour saisir la CEDH
Mots-clefs : Épuisement des voies de recours internes, CEDH, Saisine, Point de départ, Droit à un procès équitable, Principe de l’égalité des armes, Voies de recours extraordinaires, Délai
La Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision du 18 octobre 2011 a estimé qu’un recours extraordinaire ne pouvait être considéré comme une voie de recours interne effective à prendre en compte pour le point de départ du délai de 6 mois, tel qu’énoncé à l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En février 2006, une cour d’assises turque condamna M. Akçiçek, ressortissant turc à une peine de prison pour complicité de blessures volontaires. En novembre 2008, la Cour de cassation infirma ce jugement pour erreur de qualification, estimant que les faits litigieux relevaient non de la qualification de blessures volontaires, mais de celle de tentative de meurtre. En avril 2009, statuant sur renvoi, une cour d’assises reconnut le requérant coupable de complicité de tentative de meurtre et le condamna à la même peine que celle prononcée en 2006, décision confirmée par la Cour de cassation.
Le 31 décembre 2009, le requérant saisit le procureur général près la Cour de cassation d’une requête portant demande d’exercice d’un recours en opposition contre cet arrêt, demande rejetée en janvier 2010. Insatisfait, M. Akçiçek, tenta sans succès de saisir une cour d’assises d’une demande de réouverture de la procédure en décembre 2009, en juillet 2010 le recours contre ce rejet fut lui-même rejeté deux mois plus tard. M. Akçiçek saisit donc la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 5 juillet 2010.
Devant la CEDH M. Akçiçek invoquait une violation des articles 1er (obligation de respecter les droits de l’homme) et 6 § 1er (droit à un procès équitable) et 6 § 3(d) (droit d’interroger les témoins) de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). Le requérant s’était plaint du défaut d’équité de la procédure pénale diligentée à son encontre eu égard aux carences des instances nationales dans la recherche et l’appréciation des éléments de preuve, au défaut d’audition de témoins et à l’atteinte alléguée au principe de l’égalité des armes.
M.Akçiçek ayant introduit son recours devant la CEDH le 5 juillet 2010, a-t-il respecté le délai de 6 mois imposé par l’article 35 de la Conv. EDH ?
On rappellera que pour saisir la CEDH d’un recours individuel, l’article 35 de la CEDH pose deux conditions préalables :
– d’abord, la nécessité d’épuiser toutes les voies de recours internes ;
– ensuite l’obligation de saisir la Cour dans un délai de 6 mois à partir de la décision interne définitive.
Cette condition est une application du principe de subsidiarité (v. CEDH 28 juill. 1999, Selmouni c. France, § 74). L’objectif de la règle de l’épuisement des voies de recours internes est de ménager la souveraineté des États en leur permettant de remédier par leurs propres tribunaux aux situations attentatoires aux droits de l’homme.
Cette condition impose à celui qui prétend saisir la CEDH d’exercer d’abord tous les recours :
– utiles : s'apprécient en fonction des chances de succès du requérant devant une juridiction donnée, compte tenu de sa jurisprudence antérieure ;
– adéquats : sont ceux qui peuvent supprimer la cause de la violation des droits de l'homme ;
– efficaces : s'entendent des recours qui relèvent de la compétence d'autorités ayant le pouvoir de redresser la violation alléguée.
Concernant la France, la CEDH a précisé « que le pourvoi en cassation figure parmi les voies de recours à épuiser en principe pour se conformer à l'article 35 et que, à le supposer même probablement voué à l’échec, son introduction a à tout le moins pour effet de reporter le point de départ du délai de 6 mois » (v. CEDH 23 nov. 1993, A. c. France).
Ensuite, il n’est pas nécessaire que le droit consacré par la Convention soit explicitement invoqué dans la procédure interne. Tant que la question est soulevée implicitement ou en substance, la condition de l’épuisement des voies de recours internes est respectée (v. CEDH, gr. ch., 28 avr. 2004, Azinas c. Chypre).
Ce principe comporte des exceptions. En effet, les allégations sérieuses de tortures peuvent dispenser le requérant d'épuiser les voies de recours internes (v. CEDH 18 déc. 1996, Akdivar c. Turquie), et la possibilité pour un citoyen de bénéficier de l’aide d’une association pour épuiser les voies de recours internes (v. CEDH 27 avr. 2004, Gorraiz Lizarraga c. Espagne).
Quand un requérant a tenté d’utiliser une voix de recours que la Cour juge peu appropriée, le temps pris pour ce faire n’empêche pas le délai de 6 mois de courir, ce qui peut conduire au rejet de la requête pour non-respect de ce délai (v. CEDH 7 nov. 2000, Prystavka et Rezgui c. France).
Dans cette affaire, le requérant avait certes épuisé toutes les voies de recours existantes en Turquie conformément à l’article 35 de la Convention, mais encore fallait-il qu’il remplisse la seconde condition posée par cet article, à savoir le respect du délai de 6 mois pour former un recours devant la CEDH.
Aussi, avant de se prononcer, la Cour de Strasbourg souligne que le recours en opposition contre les décisions de la Cour de cassation est une voie de recours extraordinaire, et précise conformément à sa jurisprudence constante (v. CEDH 13 nov. 2003, Cinar c.Turquie ; CEDH 17 dec. 2002, Prystavka c. Ukraine) qu’un requérant n’est pas obligé de former un recours extraordinaire afin d’épuiser les voies de recours internes (art.35 § 1er). La Cour rappelle en outre, qu’une demande de réouverture d’une procédure ne fait courir le délai de 6 mois que si elle aboutit effectivement à la reprise de l’affaire (v. CEDH 13 janv. 2009, Sapeïan c. Arménie). En l’espèce ce n’est pas le cas. Par conséquent la décision interne définitive à prendre en compte pour le délai de 6 mois est l’arrêt de la Cour de cassation du 1er décembre 2009. La requête de M. Akçiçek a été introduite le 5 juillet 2010, la Cour rejette de ce fait la requête pour tardiveté conformément à l’article 35 §1er et 4 de la Convention.
CEDH 18 oct. 2011, Akçiçek c. Turquie, n°40965/10
Références
■ CEDH 28 juill. 1999, Selmouni c. France, n° 25803/94, § 74.
■ CEDH 23 nov. 1993, A. c. France.
■ CEDH, gr. ch., 28 avr. 2004, Azinas c. Chypre, n°56679/00.
■ CEDH 18 déc. 1996, Akdivar c. Turquie.
■ CEDH 27 avr. 2004, Gorraiz Lizarraga c. Espagne.
■ CEDH 7 nov. 2000, Prystavka et Rezgui c. France,n°49859/99.
■ CEDH 13 nov. 2003, Cinar c.Turquie, n°28602/95.
■ CEDH 17 dec. 2002, Prystavka c. Ukraine, n°21287/02.
■ CEDH 13 janv. 2009, Sapeïan c. Arménie, no 35738/03.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 1er - Obligation de respecter les droits de l'homme
« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention. »
Article 6 - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
(…)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(…)
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »
Article 35 - Conditions de recevabilité
« 1. La Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.
(…)
4. La Cour rejette toute requête qu'elle considère comme irrecevable par application du présent article. Elle peut procéder ainsi à tout stade de la procédure. ».
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