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Droit des successions et des libéralités
Point de départ du délai de prescription de l’action en nullité engagée par les héritiers de l’incapable
Mots-clefs : Majeurs protégés, Tutelle, Nullité, Acte à titre gratuit, Titulaires de l’action, Durée de la prescription, Point de départ de la prescription
La prescription de l’action en nullité d’un acte gratuit pour insanité d’esprit engagée par les héritiers ne peut commencer à courir qu’à compter du décès du disposant.
Avant sa mise sous tutelle le 15 mai 2000, une femme avait souscrit, en 1992, deux contrats d’assurance-vie au bénéfice d’un couple auquel elle avait donné, de surcroît, en 1994, la nue-propriété de sa maison. Après son décès, le 17 mars 2005, ses héritiers assignèrent le couple, le 20 janvier 2009, en annulation des actes leur ayant été consentis. En appel, les juges déclarèrent l’action en nullité prescrite, retenant que le point de départ du délai quinquennal de prescription devait être fixé à la date de l’acte de donation, sauf à devoir reporter ce délai en raison de l’impossibilité d’agir en nullité de la donatrice, avant le placement sous tutelle, ce qui n’avait pas été établi par les demandeurs.
Au visa des articles 901 et 1304 du Code civil, cet arrêt est cassé au motif que la prescription de l’action en nullité d’un acte gratuit pour insanité d’esprit engagée par les héritiers ne peut commencer à courir avant le décès du disposant.
L'action en nullité d'une donation pour insanité d'esprit du donateur se prescrit dans le délai de cinq ans prévu par l'article 1304 du Code civil, relatif à la prescription des actions en nullité des conventions. Telle est du moins la règle que pose l'article 414-2 du même code pour les actions introduites du vivant du disposant ou comme dans la décision rapportée, après son décès, alors que l'ancien article 489, auquel ce nouveau texte s’est substitué en 2007, ne faisait mention de cette prescription quinquennale qu'à l'égard des actions introduites du vivant du disposant. Ainsi fut apportée une précision utile par la législation du 5 mars 2007. En revanche, la fixation du point de départ du délai de prescription fut, contrairement à la détermination de sa durée, passée sous silence.
D’où la confusion, en l’espèce, des juges du fond, qui s’explique par une mauvaise articulation des règles suivantes : du vivant du donateur, le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité pour insanité d’esprit, prévu aussi bien par l'ancien article 489 que par les articles 414-1 et 414-2 qui l’ont remplacé, se situe à la date de l’acte, sauf à la reporter, en cas d'impossibilité d'agir avérée du disposant.
Et dans le cas où ce délai ne serait pas venu à expiration à la date de son décès, ses successibles ont qualité, sous réserve d’être investis de la saisine sur l'universalité de l'hérédité, pour exercer l'action en nullité réservée à leur auteur par l'alinéa premier de l'article 414-2, pendant le délai ou la fraction de délai restant à courir depuis le décès de ce dernier, jusqu'à la date à laquelle la prescription serait acquise.
Si le délai est, comme en l’espèce, épuisé, les mêmes successibles peuvent toujours invoquer l'article 901, dont la finalité rejoint celle des articles 414-1 et 414-2. Cependant, il y a lieu d'observer que le second de ces textes se réfère au seul délai de prescription quinquennal prévu par l'article 1304 pour en faire application à l'action en nullité qu'il organise de manière spécifique, en concours avec l'article 414-1.
En revanche, l'article 901 figurant au visa se borne à poser le principe suivant lequel pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut être sain d'esprit, sans apporter la moindre précision sur les conditions dans lesquelles peut être introduite, sur son fondement, une action en nullité pour insanité d'esprit. Il apparaît donc que cette action doit être, pour ce qui concerne sa prescription, soumise à toutes les dispositions de l'article 1304, également visé, lesquelles ont une portée générale allant au-delà du seul délai de prescription que se borne à viser l'article 414-2.
Dès lors, les successibles d'un insane d'esprit exerçant une action en nullité d'une donation consentie par celui-ci, en vertu de l'article 901, sont soumis au délai de prescription de l'article 1304, lequel commence à courir à leur encontre « du jour du décès [du donateur], s'il n'a commencé à courir auparavant », ainsi qu'il est dit au troisième alinéa de cet article.
Il convient cependant de souligner que cette disposition se borne à traiter de la prescription opposable aux actions en nullité formées par les héritiers d'une « personne en tutelle ou en curatelle ». Seules seraient donc visées les personnes bénéficiant d'un régime de protection légale, à l'exclusion de tout autre insane d'esprit non protégé.
Une interprétation aussi restrictive, qui affaiblirait la portée des diverses dispositions légales intéressant l'insanité d'esprit, est heureusement ici rejetée par la Cour, qui ignore le fait que le disposant eut été placé sous un régime légal de protection pour généraliser sa solution à toute action en nullité pour insanité d’esprit exercée par les héritiers du disposant.
Dérogatoire au droit commun de la prescription extinctive qui voudrait que le point de départ du délai soit fixé au jour où les héritiers ont pris connaissance de l’acte (v. C. civ., art. 2224), la solution retenue trouve son fondement dans l’article 414-2 précité du Code civil, déterminant le régime général des actions en nullité pour insanité d’esprit, et qui prévoit que les héritiers de l’intéressé ne peuvent agir qu’à la mort de l’intéressé, qu’il s’agisse de contester les actes qu’il avait passés à titre gratuit ou ceux qu’il avait conclus à titre onéreux (v. déjà Civ. 1re, 20 mars 2013).
Placés avant cette date dans l’impossibilité d’agir, les héritiers bénéficient ainsi d’un report du point de départ du délai de prescription sans lequel leur action serait prescrite avant même d’avoir pu être engagée.
Civ. 1re, 29 janv. 2014, n°12-35.341
Références
■ Civ. 1re, 20 mars 2013, n° 11-28.318, AJ fam. 2013. 240, obs. Vernières.
■ Code civil
« Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte. »
« De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;
2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future.
L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 1304. »
« Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence. »
« Dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.
Le temps ne court, à l'égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l'émancipation ; et à l'égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement. Il ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant. »
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »
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