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[ 26 octobre 2010 ] Imprimer

Procédure pénale

Point de départ du délai raisonnable pour une accusation en matière pénale

Mots-clefs : Accusation, Procédure pénale, Enquête préliminaire, Affaire complexe, Instruction, Code de procédure pénale (article préliminaire)

La Cour européenne des droits de l’homme sanctionne le non-respect du droit à être jugé dans un délai raisonnable, qui appartient à toute personne suspectée d’avoir commis une infraction pénale, aux termes de l’article 6 de la Convention.

L’affaire jugée par la grande chambre de la CEDH en l’espèce était complexe. Un citoyen irlandais avait été condamné à une peine d’emprisonnement par la justice irlandaise, qu’il avait purgé, avant d’être à nouveau inculpé dans le cadre d’une tout autre affaire vieille de 15 ans. Le traitement judiciaire de cette dernière affaire avait été particulièrement laborieux, s’étalant sur 10 ans et débouchant in fine sur une décision d’acquittement rendue par la Cour suprême d’Irlande. Le requérant reprochait à la justice irlandaise d’avoir tant tardé à connaître de son cas, en méconnaissance de son droit à être jugé dans un délai raisonnable, qui ressort de l’article 6 §1 de la Conv. EDH.

En vertu de cet article, chaque État signataire de la Convention européenne des droits de l’homme doit prévoir les moyens et les institutions judiciaires nécessaires à une administration efficace et rapide de la justice. Toutefois, l’article 6 prévoit qu’en matière pénale, le délai raisonnable court à partir de l’accusation portée contre la personne. La Cour a défini cette notion d’accusation comme étant « la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale ». Cette notification doit avoir selon la Cour « des répercussions importantes sur la situation du suspect » (CEDH, Deweer c. Belgique). Ainsi, il peut s’agir de l’arrestation, de l’inculpation ou encore de l’ouverture des enquêtes préliminaires (CEDH, Eckle c. Allemagne).

En l’espèce, la police suspectait le requérant depuis la commission de l’infraction, en 1983, mais elle avait attendu qu’il ait purgé sa première peine pour l’inculper, en 1998 ! Toutefois, la Cour relève que, durant cette période, le requérant ignorait qu’il était suspecté et qu’il n’avait dès lors pas subi de répercussions importantes sur sa vie personnelle du fait de ces suspicions (§144). C’est donc à partir de la date de son arrestation (en 1998) que la Cour évalue le caractère raisonnable du traitement de l’affaire, qui a duré jusqu’en 2008.

La Cour s’emploie alors à analyser l’ensemble du processus judiciaire (§ 148 à 154), puisque selon la propre jurisprudence, le délai raisonnable s’apprécie « suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour l'intéressé » (CEDH, Sürmeli c. Allemagne). Par ailleurs, elle souligne que l’Etat était tenu à une obligation particulière de célérité, en raison du délai important écoulé depuis l’infraction poursuivie (§ 151). Elle remarque qu’à de nombreuses reprises les audiences ont été ajournées sans raison, ce qui a conduit à l’allongement au-delà d’une durée raisonnable de l’affaire (10 ans et 6 mois), sans que le requérant ait disposé de procédures effectives pour accélérer le processus. Il y a eu dès lors une violation de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Remarquons qu’en droit interne français, la notion de « délai raisonnable » et prévue par l’article préliminaire du Code de procédure pénale, et par l’article 175-2 du même code. Le premier commande aux autorités de statuer sur une accusation dans un délai raisonnable, alors que le second vise plus spécifiquement la durée de l’instruction. La Cour de cassation a toujours considéré que cette question relevait du pouvoir d’appréciation des juges du fond, en raison de la complexité de l’affaire (Crim. 6 mars 1986).

CEDH Gde ch. 10 sept. 2010, Mc Farlane c. Irlande, n° 31333/06

Références

Accusé

« Au sens strict, personne soupçonnée d'un crime et traduite, pour ce fait, devant la cour d'assises, afin d'y être jugée. Au sens large de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, toute personne soupçonnée d'une infraction et traduite devant un juge pour être entendue et jugée. »

Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

Article 6  de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter  atteinte aux intérêts de la justice. […] »

■ Code de procédure pénale

Article préliminaire

« […] III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.

Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.

Les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.

Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.

Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. »

Article 175-2

« En toute matière, la durée de l'instruction ne peut excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen, de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l'exercice des droits de la défense.

Si, à l'issue d'un délai de deux ans à compter de l'ouverture de l'information, celle-ci n'est pas terminée, le juge d'instruction rend une ordonnance motivée par référence aux critères prévus à l'alinéa précédent, expliquant les raisons de la durée de la procédure, comportant les indications qui justifient la poursuite de l'information et précisant les perspectives de règlement. Cette ordonnance est communiquée au président de la chambre de l'instruction qui peut, par requête, saisir cette juridiction conformément aux dispositions de l'article 221-1.

L'ordonnance prévue à l'alinéa précédent doit être renouvelée tous les six mois. »

CEDH, Deweer c. Belgique, 27 févr. 1980.

■ CEDH, Eckle c. Allemagne,  15 juill. 1982.

■ CEDH, gde Ch., Sürmeli c. Allemagne, 8 juin 2006.

Crim. 6 mars 1986Bull. crim. n° 94 ; D. 1986. 315, note Mayer.

■ B. Bouloc, Procédure pénale, 22e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2010, n° 50.

 

Auteur :B. H.

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