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[ 16 mai 2025 ] Imprimer

Introduction au droit

Point sur : Droit et religion

DAE vous propose un point sur le droit et la religion.

I.               Droit et de la religion : les éléments d’identité

A.     La similarité des ordres normatifs institués

Dans sa conception objective, le droit constitue un ensemble normatif qui regroupe des règles de conduite, mais il n’est pas le seul. Il existe d’autres règles de conduite qui, à l’instar du droit, tendent à réglementer les comportements des individus. Parmi ces corps de normes alternatives, la religion occupe une place notable. Regroupant les règles religieuses régissant les conduites des croyants qui y adhèrent, la religion constitue un ordre normatif comparable au droit. Les grandes religions monothéistes ont en effet développé des règles internes que l’on appelle règles de droit, en ce qu’elles présentent la plupart des caractéristiques des règles de droit, et qui constituent un véritable système normatif, concurrent au droit. S’agissant par exemple de l’Église catholique, le droit canon édicte des règles contenues dans un Code, à l’instar du Code civil ; ces règles sont également obligatoires, générales et impersonnelles. En outre, l’ordre religieux s’accompagne d’un système juridictionnel propre mais proche de l’organisation juridictionnelle instaurée dans tout État de droit.

Droit et religion fondent donc à l’identique deux ordres normatifs institués ; c’est d’ailleurs pourquoi la loi de 1905 organise leur coexistence.

B.    La convergence des règles édictées

Outre leurs caractères communs, les règles édictées par l’ordre juridique et par l’ordre religieux sont parfois identiques dans leur contenu. Cette identité s’explique par l’intégration par le droit de principes religieux. En effet, le droit s’approprie des prescriptions religieuses qu’il transforme en véritables règles juridiques, en prévoyant leurs conséquences et leur régime. Ainsi le devoir religieux de ne pas nuire à autrui et de respecter son prochain se trouve-t-il consacré par le droit pénal à travers les diverses incriminations d’atteintes aux personnes. Il en résulte que l’interdiction de tuer, par exemple, est devenue une règle communément prescrite par ces deux systèmes normatifs que sont le droit et la religion. Cette interdiction et sa sanction pénale s’expliquent par le caractère sacré conféré à la vie par la religion. 

Il est encore plus fréquent de constater l’influence religieuse exercée sur des règles qui semblent à premières vues strictement juridiques. Cette influence s’explique par l’universalité de certaines valeurs véhiculées par la religion, qui se retrouvent en conséquence dans l’ordre juridique. Le principe de charité par exemple imprègne un certain nombre de règles de droit de la famille (obligation alimentaire, devoir de secours) ou du droit des obligations (concept d’obligation naturelle). Plus philosophiquement, l’idée de droit de l’homme, fondatrice de notre ordre juridique contemporain, résulte de l’héritage chrétien des Lumières. La prise en compte juridique de l’intention du sujet de droit illustre également l’influence de la religion sur les règles juridiques. Si contrairement à la religion, le droit ne condamne pas en soi les mauvaises pensées, ie  tant qu’elles ne sont pas suivies d’actes, il existe un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles l’intention du sujet est un élément constitutif de la règle de droit (cf la théorie de l’abus de droit, qui interdit d’user de son droit dans le but de nuire à autrui) ou de sa mise en œuvre : en droit pénal, l’assassinat, supposant la préméditation, est plus sévèrement puni que le meurtre, l’infraction étant dépourvue d’intentionnalité. Enfin, on observe que les religions ont créé un environnement culturel qui rejaillit sur le contenu des règles édictées (choix du dimanche comme jour chômé).

II.             Droit et religion : les éléments de distinction

A.    La distinction par la sanction

Ignorée par le droit, la finalité individuelle de la règle religieuse, qui tend idéalement vers le perfectionnement de l’homme, s’accompagne également d’une finalité collective, cette fois partagée par le droit : ces deux ordres normatifs que constituent le droit et la religion ont pour point commun d’imposer des règles de comportement social (v. supra, I-A). Identique, cette finalité collective d’organisation et de régulation des comportements humains en société empêche de les distinguer parfaitement. 

En vérité, le droit et la religion se distinguent principalement par la sanction des règles qu’ils édictent. En premier lieu, la violation de la règle religieuse peut donner lieu à une sanction interne à l’individu : culpabilité, mauvaise conscience, remords. Lorsqu’elle est extérieure à la personne, la règle religieuse sera autrement sanctionnée par des mesures « institutionnelles » : excommunication des fidèles, perte de certaines fonctions cléricales ou privation de son état (ex : un prêtre accusé d’agressions sexuelles). Mais il n’y a aucune sanction par l’État ou la force publique. Quelle que soit l’intensité de la sanction d’une règle religieuse, elle ne peut jamais bénéficier de la contrainte étatique dont le droit a le monopole. La sanction de la règle religieuse sera toujours prononcée indépendamment de l’appui de l’État. C’est pourquoi la règle de droit se singularise par la contrainte étatique qui fonde à la fois le caractère obligatoire de son contenu et le caractère coercitif de son application. La distinguant de l’ordre religieux, la sanction du droit par l’État est caractérisée par trois traits : elle est prévue par l’autorité étatique habilitée à cet effet ; elle peut être réclamée en justice et prononcée par un tiers impartial et désintéressé qu’est le juge étatique ; elle peut donner lieu à une exécution forcée qui se traduit par une coercition sur les personnes ou sur les biens, laquelle est assurée, si nécessaire, grâce au concours de la force publique.

B.    Conséquences de la distinction

La Cour de cassation infère de cette distinction l’incompétence du juge judiciaire pour se prononcer sur le préjudice matériel résultant d’une décision prise par une juridiction ecclésiastique. Dans un arrêt d’assemblée plénière rendu le 4 avril 2025 n° 21-24.439, la Haute cour a ainsi rappelé la frontière séparant les ordres juridique et religieux et souligné leur étanchéité sur le plan juridictionnel. Il s’agissait en l’espèce d’une demande d’indemnisation des préjudices consécutifs au renvoi d’un prêtre de l’état clérical qui, en perdant ses fonctions religieuses, perdit aussi la rémunération et la protection sociale qui y étaient associées, ainsi que le logement mis à sa disposition par l’Église. L’Assemblée plénière l’a débouté de ses demandes, confirmant la déclaration d’incompétence des juges d’appel. En effet, par principe compétent pour trancher les litiges de nature patrimoniale (rémunération, protection sociale, logement, etc.), le juge judiciaire ne l’est plus lorsque la situation qu’on lui demande d’examiner est la conséquence directe d’une décision rendue par la justice ecclésiastique. Ainsi les Hauts magistrats ont-ils affirmé qu’il n’appartient pas au juge judiciaire d’apprécier la régularité ou le bien-fondé des décisions prises par une autorité religieuse de nommer ou révoquer ses ministres du culte, en sorte que la sanction en l’espèce prononcée par le juge ecclésiastique ne pouvait être soumise à l’examen du juge judiciaire.  Elle a ajouté qu’il n’appartient pas davantage au juge civil de connaître des demandes d’indemnisation du préjudice matériel que cause la perte de fonctions religieuses (perte de la rémunération et de la protection sociale, du logement de fonction…) dès lors que ce préjudice n’est pas détachable de l’engagement religieux. 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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