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[ 14 juin 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Point sur la charge de la preuve

Qui doit prouver ? C’est en ces termes simples que se pose la question de la charge de la preuve. Celle-ci se décline néanmoins, plus précisément, en deux sous-questions : la charge de prouver pèse-t-elle sur les parties ou sur le juge ? En principe, ce sont les parties qui assument la charge de prouver et non le juge. Mais quelle partie à l’instance se voit attribuer cette charge probatoire ? En principe, c’est le demandeur à l’instance qui endosse le fardeau de la preuve.

■ Les parties ou le juge ? 

·       Dans le système inquisitoire, appliqué en matière pénale et administrative, le juge a la direction du procès ; il lui incombe de réunir les preuves.

·       Dans le système accusatoire, qui régit le procès civil, les parties, parce qu’elles conduisent l’instance, doivent apporter la preuve de leurs droits ; le juge reste, en principe, neutre. Le litige étant, dans la procédure accusatoire, la chose des parties, il est logique que la charge de la preuve leur incombe. L’article 9 du Code de procédure civile énonce ainsi qu’« il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Cet article fait peser sur les parties la charge de prouver en précisant ce qu’elles doivent prouver, c’est-à-dire l’objet de la preuve.

En effet, la preuve demandée aux parties - l’objet de la preuve -, porte sur les faits, et non sur le droit. Le droit n’a pas à être prouvé par les parties car le juge est censé le connaître. En revanche, les faits, c’est-à-dire les éléments générateurs des droits subjectifs, doivent être prouvés par les parties, dès lors qu’ils sont pertinents, c’est-à-dire en rapport avec le litige, et concluants, c’est-à-dire susceptibles d’avoir une incidence sur la solution à venir du litige.

Dernière application : Objet d’applications régulières et constantes en jurisprudence, ce principe vient à nouveau d’être rappelé dans une décision récente de la Cour de cassation (Civ. 3e, 27 mai 2021, n°s 20-13.204 et 20-14.321), qui posait la question de la charge de la preuve du caractère disproportionné de la démolition consécutive à l’anéantissement d’un contrat de construction de maison individuelle (CCMI) résultant de l’exercice, par les maîtres de l’ouvrage, de leur faculté de rétractation. Le constructeur s’étant opposé à la demande de démolition des maîtres de l’ouvrage, la Cour de cassation a alors rappelé que relève du juge, et non du constructeur (partie à l’instance), la charge d’apprécier en droit la proportionnalité de cette sanction : « en cas d’anéantissement du contrat, le juge, saisi d’une demande de remise en état du terrain au titre des restitutions réciproques, doit rechercher si la démolition de l’ouvrage réalisé constitue une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectent » (Civ. 3e, 15 oct. 2015, n° 14-23.612). Cette recherche lui incombe car elle suppose de se prononcer en droit sur la proportionnalité de cette sanction juridique qu’est l’exécution forcée en nature, à laquelle peut être préférée à celle par équivalence lorsqu’elle se révèle plus apte à assurer le rapport raisonnable escompté entre les défauts constatés et la démolition demandée. Et la Cour d’ajouter que « dans ce cas, il incombe au constructeur de rapporter la preuve des faits de nature à établir le caractère disproportionné de la sanction ». 

Ainsi, la proportionnalité de la sanction doit-elle, en droit, être établie par le juge, tandis qu’incombe au constructeur, en qualité de partie à l’instance, la charge concomitante de prouver, en fait, le caractère disproportionné de cette sanction.

■ Quelle partie au litige ? 

L’article 1353 du Code civil (anc. art. 1315) organise de manière chronologique l’ordre de production de production des preuves : 

·       Dans un premier temps, le premier alinéa du texte dispose que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». La charge de la preuve incombe ainsi au demandeur à l’instance (actori incumbit probatio), qui supporte la charge d’établir la réalité des faits qu’il allègue à l’appui de sa prétention. Le défendeur à l’instance n’a quant à lui, à ce stade, rien à prouver.

Cette solution est fondée sur l’idée que le demandeur, parce qu’il entend remettre en cause une situation « normale », doit supporter le fardeau de la preuve (A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, 5e éd., n° 256, p. 216). En effet, « normalement, personne ne doit rien à personne » (H. Roland et L. Boyer, Droit civil, Introduction au droit, Litec, 5e éd., n° 1525) ; il en résulte, par exemple en droit des contrats, que le vendeur qui réclame l’exécution du contrat de vente doit en établir l’existence, de même qu’en droit de la responsabilité extracontractuelle, la victime d’un dommage doit devra, pour en obtenir réparation sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, établir la faute du défendeur, le préjudice subi et enfin, le lien de causalité entre la faute et le préjudice .

·       Dans un deuxième temps, le second alinéa du texte prévoit que « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». C’est donc en soulevant une exception que le défendeur à l’instance devient demandeur à la preuve (reus in excipiendo fit actor).

Le demandeur à l’instance (qui introduit l’instance) n’est donc pas toujours le demandeur à la preuve (qui présente une allégation). Si à l’origine, le demandeur à l’instance est le demandeur à la preuve, une fois qu’il a prouvé son allégation, c’est le défendeur à l’instance qui devient le demandeur à la preuve en avançant des faits qui viennent combattre les prétentions de son adversaire.

Dernière application : Dans la décision précitée (Civ. 3e, 27 mai 2021, préc.), c’est au visa de ce texte dont elle reproduit l’intégralité des termes que la Cour de cassation juge que le constructeur, qui prétend que la démolition consécutive à l’anéantissement du contrat est une sanction disproportionnée, a la charge de prouver la disproportion alléguée. Elle casse et annule en conséquence l’arrêt de la cour d’appel qui, en violation du texte susvisé, a inversé la charge de la preuve en ayant fait supporter aux maîtres de l’ouvrage la tâche de prouver la proportionnalité de la sanction demandée (« l’arrêt retient que les maîtres de l’ouvrage ne démontrent pas que le défaut d’altimétrie affectant la construction rend celle-ci impropre à sa destination ni qu’il serait impossible d’y remédier, tant sur le plan administratif par l’obtention d’un permis de construire modificatif, que sur le plan technique par l’installation d’une pompe de relevage des eaux usées »). Or ces derniers, ayant saisi les juges d’appel d’une demande de remise en état au titre des restitutions réciproques, avaient pour seule charge d’établir les défauts affectant l’ouvrage en sorte de convaincre les magistrats d’accéder à leur demande auquel cas, c’est-à-dire une fois leur allégation démontrée, la preuve des faits de nature à la combattre, c’est-à-dire les faits démontrant au contraire le caractère disproportionné d’une telle démolition, revenait au constructeur, défendeur à l’instance (C. civ., art. 1353, al. 2).

Références

■ Civ. 3e, 27 mai 2021, n°s 20-13.204 et 20-14.321 P

■ Civ. 3e, 15 oct. 2015, n° 14-23.612 P : D. 2015. 2423, note C. Dubois ; ibid. 2016. 566, obs. M. Mekki ; ibid. 1028, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp ; ibid. 1779, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; RDI 2016. 27, obs. D. Tomasin ; RTD civ. 2016. 107, obs. H. Barbier ; ibid. 140, obs. P.-Y. Gautier.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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