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[ 2 février 2023 ] Imprimer

Procédure pénale

Point sur la convention judiciaire d’intérêt public

Le Parquet national financier (PNF) vient de présenter de nouvelles lignes directrices relatives à la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) instaurée en 2016 afin de lutter contre la délinquance économique et financière. L’occasion de revenir sur cette procédure alternative aux poursuites dont le fonctionnement peut sembler éloigné de notre culture judiciaire.

PNF 16 janv. 2023, Lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public

■ La mise en œuvre de la CJIP

Introduite par la loi « Sapin 2 » (L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique), la CJIP est une alternative aux poursuites réservée aux personnes morales suspectées de certaines infractions (C. pr. pén., art. 41-1-2 I°). Lors de sa création, la CJIP était réservée à des atteintes à la probité mais elle fut rapidement étendue à la fraude fiscale (L. n° 2018-898 du 23 oct. 2018 relative à la lutte contre la fraude) puis en 2020 aux infractions environnementales (L. n° 2020-1672 du 24 déc. 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée ; C. pr. pén., art. 41-1-3). Afin de clarifier la mise en œuvre de cette nouvelle procédure, le PNF avait été à l’origine de lignes directrices en 2019 afin d’expliciter les tenants et aboutissants de la CJIP. 

La CJIP fut créée car la France apparaissait comme un État peu impliqué dans la lutte contre la corruption et notamment par rapport aux États-Unis dont la législation anticorruption est bien plus développée et qui dispose de normes extraterritoriales permettant de sanctionner des entreprises qui apparaissent pourtant éloignées du marché américain. Par cette législation, les États-Unis ont pallié l’inertie française et sanctionné des entreprises françaises pour des infractions à la probité. La plupart du temps, ces procédures et ces sanctions étaient dites « négociées », les États-Unis ayant depuis longtemps un système judiciaire reposant sur des accords plutôt que sur des procès traditionnels. Ces accords permettent aux États-Unis de sanctionner rapidement une entreprise sans pour autant pénaliser l’économie de marché puisque ces sanctions négociées sont un moyen, pour les entreprises, de diminuer leur sanction par leur collaboration et d’éviter une exclusion des marchés publics. Consciente de ce manque, la France s’est inspirée des procédures américaines existantes, ce processus aboutissant à la création de la CJIP. L’intérêt de la procédure est donc de permettre à l’autorité judiciaire de sanctionner des entreprises qui jusqu’alors ne l’étaient pas tout en leur évitant une déclaration de culpabilité dont les effets seraient néfastes pour l’entreprise concernée et in fine pour l’économie française. 

La CJIP est une procédure particulièrement consensuelle, expliquant qu’on la qualifie de justice négociée. En effet, lorsque le parquet est convaincu de l’opportunité d’une telle mesure durant l’enquête préliminaire, il peut proposer à la personne morale de conclure une CJIP. Ce choix est également possible lors d’une information judiciaire puisque le juge peut, avec l’accord ou à la demande du parquet, procéder à un renvoi aux fins de mise en œuvre d’une CJIP (C. pr. pén., art. 180-2). Le parquet et la personne morale doivent alors trouver un accord sur le montant d’une amende d’intérêt public, dont le montant ne peut être supérieur à 30 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, la mise en place d’un programme de conformité ainsi qu’une éventuelle réparation des préjudices subis par la victime. Si un accord est trouvé, le ministère public saisit par requête le président du tribunal judiciaire qui doit opérer un contrôle de l’accord puis valider ou refuser ce dernier. Si le juge valide la CJIP, il rend une ordonnance à compter de laquelle la personne morale dispose d’un délai de 10 jours pour se rétracter. Après ce délai, la personne morale doit exécuter les obligations contenues dans la convention. En cas d’inexécution, de rétractation de la personne morale ou d’invalidation par le juge, le ministère public doit en principe mettre en mouvement l’action publique. L’expérience acquise depuis 2016 révèle que la CJIP présente des intérêts évidents en apportant une réponse pénale à des faits qui auraient pu rester impunis auparavant. Les CJIP conclues (15 pour le PNF et 7 autres par d’autres parquets, principalement en matière de corruption et de fraude fiscale ; sur la dernière en date conclue par le PNF le 8 déc. 2022 : D. actualité, 23 janv. 2023, note G. Poissonnier, v. ici) démontrent l’utilité de cette procédure puisque des affaires de grande complexité où régnait l’incertitude se sont achevées par des sanctions pécuniaires s’élevant parfois à plus d’un milliard d’euros d’amende d’intérêt public, à l’instar des CJIP consenties par Google pour des faits de fraude fiscale ou par Airbus pour des faits de corruption. 

Les premières lignes directrices avaient été publiées en 2019 mais elles ne bénéficiaient pas d’un grand recul sur l’application de la procédure et notamment en matière de fraude fiscale. De nouvelles lignes directrices étaient donc attendues afin d’apporter plus de précisions encore sur la mise en œuvre de la CJIP grâce à l’expérience de la pratique de ces dernières années.  

■ Les précisions apportées à la CJIP

Par ces lignes directrices, le PNF apporte des précisions notamment quant à la confidentialité des négociations et aux modalités de calcul de l’amende d’intérêt public. La CJIP est toujours envisagée a posteriori d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire. De ce fait, la CJIP se présente comme un dialogue où le ministère public souhaite une coopération importante de la personne morale en échange de garanties de confidentialité. À ce titre, le Code de procédure pénale prévoit une confidentialité des documents fournis postérieurement à la proposition de CJIP. Néanmoins, les échanges oraux ne bénéficiaient d’aucune protection. Les nouvelles lignes directrices précisent ainsi que ces échanges sont protégés par la foi du palais. Il est normal que ces échanges restent confidentiels et il n’est pas dans l’intérêt du parquet de révéler ces échanges. Une telle action nuirait à la procédure puisqu’elle réduirait à néant la relation de confiance entre les parties qui est essentielle à la réussite de la procédure. En revanche, les informations et documents obtenus par le ministère public en amont de la procédure de CJIP ne bénéficient d’aucune confidentialité puisqu’ils sont extérieurs à cette dynamique consensuelle. De ce fait, lorsque le parquet recourt à une CJIP, les documents sont alors scindés. D’une part, le dossier est constitué des documents non-confidentiels qui ont été obtenus en dehors de tout échange lié à la CJIP et qui pourront donc être utilisés en cas d’échec de la CJIP. D’autre part, le dossier contient des documents obtenus par la coopération de la personne morale et ne pouvant être utilisés par le parquet en cas d’échec de la procédure. Ces précisions sont les bienvenues puisque la coopération de la personne morale peut être particulièrement incriminante, les entreprises étant incitées à révéler des faits dont le parquet n’aurait pas connaissance ou encore à procéder à des enquêtes internes. Les lignes directrices précisent également comment doit être déterminé le champ matériel et temporel des faits couverts par la CJIP. Si cette dernière intervient durant une enquête préliminaire, ce champ matériel et temporel relève de l’accord. Néanmoins, si la CJIP intervient à l’issue d’une information judiciaire, la CJIP couvre le champ tel qu’il est précisé dans la convocation aux fins de mise en examen. 

Une fois le champ matériel et temporel délimité, un accord doit être trouvé concernant les obligations à la charge de la personne morale. Les nouvelles lignes directrices précisent ainsi les modalités de calcul de l’amende d’intérêt public. Celle-ci se compose alors d’une part restitutive et d’une part afflictive, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen des trois dernières années tels que figurant dans les comptes consolidés du groupe. Pour la part restitutive, l’objectif est de priver la personne morale des gains obtenus par l’infraction suspectée. Ainsi, sont pris en compte dans le calcul de la part restitutive les profits générés, les gains futurs attendus, la prise en compte de la tentative et de la complicité ou encore les avantages en matière de visibilité de l’entreprise. Quant à la part afflictive, les lignes mettent en avant des facteurs majorants et minorants auxquels le PNF attribue un plafond pour calculer le montant dû. Ainsi, les facteurs majorants tels que la taille importante de l’entreprise ou l’insuffisance du programme de conformité peuvent aggraver l’amende de 20 % alors que la pertinence des investigations internes ou les mesures correctives peuvent minorer l’amende de 20 %. Dans un objectif de prévisibilité de la sanction, le PNF conclut ainsi ces modalités de calcul par l’équation mathématique à laquelle il procède. Concernant le programme de conformité et l’indemnisation de la victime, les lignes directrices apportent peu de nouveauté. La victime dispose toujours d’un rôle réduit puisqu’elle ne peut ni s’opposer à la CJIP, ni interjeter appel. Il est simplement rappelé qu’elle est en droit de saisir les juridictions civiles dans le cas où son préjudice ne serait pas entièrement réparé. Est mentionnée la particularité du Trésor public qui ne peut demander à être indemnisé pour les faits de fraude fiscale en ce que cette indemnisation est assurée par les majorations et pénalités de retard. Cependant, ce dernier est fondé à demander réparation pour des faits de blanchiment de fraude fiscale. 

Enfin, il est fait mention de l’articulation de la CJIP avec d’autres procédures. Tout d’abord, lorsque la personne morale est mise en cause dans différents pays, il est précisé que le parquet coordonne son action avec les différentes autorités étrangères. Il est brièvement fait mention du sort des personnes physiques qui restent toujours exclues de la CJIP. Il est précisé qu’il est préférable que le dirigeant en cause ne soit pas présent lors des négociations avec la personne morale afin d’éviter tout conflit d’intérêts. À titre de garantie, il est également précisé que, par principe, aucune personne physique n’est désignée dans la CJIP. Rappelant une position plus qu’habituelle, les lignes directrices précisent que le traitement procédural de la personne morale n’empêche aucunement les poursuites à l’encontre de la personne physique qui peut être poursuivie devant le tribunal correctionnel ou par le biais d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. 

 

Auteur :Pierre Eschbach


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