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[ 29 avril 2021 ] Imprimer

Droit de la famille

Point sur la délégation de l’autorité parentale

Durant la minorité de leur enfant, les parents sont chargés d’une mission essentielle : l’exercice des prérogatives attachées à leur autorité parentale. S’ils en ont par principe l’exclusivité, le législateur admet que dans certaines hypothèses, l’exercice de l’autorité parentale puisse être délégué à un tiers, totalement ou partiellement, à certaines conditions et selon des modalités variables.

La délégation de l’autorité parentale connaît deux déclinaisons recouvrant en fait deux situations différentes : 

·       la délégation de l’exercice de l’autorité parentale constitue un moyen de conférer à des tiers le droit de prendre les décisions qui concernent un mineur, à l’effet de provoquer ou de pallier la restriction des prérogatives parentales lorsque les parents de l’enfant disparaissent, se heurtent à d’importantes difficultés, ou commettent des actes de maltraitance à l’encontre de leurs enfants ; la mesure a alors pour but de les aider ou de les suppléer ;

·       la délégation-partage de l’exercice de l’autorité parentale permet quant à elle aux parents ou à l’un d’eux de partager tout ou partie de l’exercice de leur autorité avec un tiers délégataire. Cette solution peut notamment permettre à l’un des parents d’exercer son autorité de concert avec son conjoint ou son concubin.

■ Origine et fondement d’une demande de délégation

● Demande des parents

Elle peut être sollicitée par les parents eux-mêmes, autorisés à demander que « tout ou partie de l’exercice de leur autorité (soit transféré) à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service (…) de l’aide sociale à l’enfance » (C. civ., art. 377). Leur volonté ne suffit toutefois pas à permettre une telle transmission : l’autorité parentale étant indisponible, ils ne peuvent pas librement s’en affranchir. Même s’ils aspirent à la délégation, celle-ci n’est donc concevable que dans les cas où elle est conforme à l’intérêt de l’enfant (Civ. 1re, 24 févr. 2006, n° 04-17.090) et où « les circonstances l’exigent » (C. civ., art. 377) : il faut qu’en raison de leur état de santé, de leur éloignement ou d’autres contraintes, les parents ne soient pas en mesure d’assumer la mission dont ils sont normalement investis. Or il appartient au juge de s’assurer que ces conditions sont remplies : « la délégation (…) résulte toujours d’un jugement » (C. civ., art. 377-1). 

● Demande de tiers

Si la mesure étudiée est parfois réclamée par les parents, elle peut également être sollicitée par des tiers : « le particulier, l’établissement ou le service (…) de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant ou un membre de la famille peut (…) agir aux fins de se faire déléguer (…) l’exercice de l’autorité parentale » (C. civ., art. 377). Le consentement des père et mère n’est pas alors nécessaire et leur opposition ne suffit pas à faire échec au transfert. La délégation doit en revanche être justifiée par le « désintérêt manifeste » des parents ou par « l’impossibilité (pour ces derniers) d’exercer tout ou partie de (leur) autorité » (C. civ., art. 377). Il faut en outre qu’elle soit admise par le juge, qui doit s’assurer de la conformité d’une telle mesure à l’intérêt de l’enfant (C. civ., art. 377 et 377-1).

■ Effets de la demande

Les effets de la délégation sont fort variables : si elle a toujours pour objet l’exercice de l’autorité parentale, elle peut tendre soit à son transfert, soit à son partage

● Transfert

Dans le premier cas (transfert), elle prive les parents de leurs prérogatives pour les conférer à un tiers désigné. Ses conséquences connaissent, là encore, plusieurs degrés : la délégation peut être totale ou partielle, si bien qu’elle n’affecte parfois que certains aspects de l’autorité parentale. Certains pouvoirs ne sont d’ailleurs pas susceptibles d’être transférés : ainsi, « (le) droit de consentir à l’adoption du mineur n’est-il jamais délégué » (C. civ., art. 377-3).

● Partage

Dans le second cas (partage), il s’agit non plus d’opérer un transfert mais de prévoir judiciairement que les parents, ou l’un d’eux, « partageront tout ou partie de l’exercice de leur autorité avec un tiers délégataire » (C. civ., art. 377-1). Cette solution est propre à offrir au parent désireux un moyen d’associer une autre personne aux décisions concernant son enfant sans pour autant lui retirer ses prérogatives ; elle peut notamment lui permettre d’exercer ses droits de concert avec son conjoint ou son concubin. 

Contexte : Des raisons sociologiques appellent sur ce point de plus amples observations : les recompositions familiales sont devenues ordinaires, si bien qu’il arrive fréquemment que l’enfant vive quotidiennement avec le nouveau conjoint ou concubin de l’un de ses parents. Convient-il alors d’investir cette personne appartenant au cercle familial intime, que l’on pourrait qualifier de tiers péri-familial, d’une mission particulière ? La question est éminemment délicate et suscite bien des hésitations. Il est indéniable que les individus qui vivent en couple avec l’un des parents jouent souvent un rôle considérable dans la vie de l’enfant, mais les relations qu’ils entretiennent avec lui, si elles sont parfois harmonieuses, sont assez souvent orageuses et éphémères. Promouvoir la coparentalité ne doit pas conduire en outre à attiser le conflit susceptible d’opposer les parents de l’enfant ou à évincer celui qui entrerait ainsi dans une forme de concurrence éducative avec le nouveau conjoint ou concubin de l’autre. Après avoir songé à instaurer un statut de « beau-parent », le législateur a renoncé à cette idée mais permet, par plusieurs dispositions, de conférer à ce tiers particulier un rôle spécifique par ce qu’on appelle la délégation-partage de l’autorité parentale.

Conditions : Ainsi, l’un des parents peut-il présenter une demande de délégation en spécifiant qu’il entend partager avec un tiers l’exercice de son autorité. Il obtient ainsi parfois que la personne avec laquelle il vit en couple soit investie d’une mission officielle auprès de l’enfant. Une telle mesure était notamment sollicitée et admise, avant les évolutions légales et jurisprudentielles sur l’homoparentalité, lorsque le parent et son conjoint ou son concubin étaient de même sexe (V. not. Civ. 1re, 24 févr. 2006, n° 04-17.090). 

Sous cette réserve, la délégation-partage reste subordonnée à de strictes conditions (C. civ., art. 377-1). Pour qu’elle soit admise, il faut que les circonstances l’exigent, qu’elle soit autorisée par le ou les parents de l’enfant, justifiée par les besoins de son éducation et conforme à son intérêt (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-12.623), notamment en cas de séparation du couple, hypothèse très régulièrement observée en jurisprudence. En effet, il est fréquent que le père ou la mère qui a cohabité avec un tiers soit moins enclin à partager ses droits avec ce dernier une fois que la vie commune a cessé. Après la rupture, il est parfois même tenté d’exclure de l’existence de son enfant cet ancien conjoint ou concubin. Si ce dernier y reste attaché, il peut toutefois continuer à entretenir des relations avec lui, sous la réserve invariable qu’il en aille de l’intérêt de l’enfant : « Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge (…) fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables » (C. civ., art. 371-4, al. 2). L’ancien époux ou compagnon du père ou de la mère peut donc être autorisé à correspondre avec l’enfant, et parfois même à lui rendre visite et à l’héberger. Il s’agit bien sûr d’une simple faculté, dont dépend l’assentiment du parent de l’enfant (V. pour une dernière illustration, Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-19.275). S’il s’y oppose, le juge devra apprécier la situation familiale considérée et éventuellement refuser au tiers le maintien de ses liens avec l’enfant au nom de l’intérêt de ce dernier. C’est ainsi que dans un arrêt récemment rendu par la première chambre civile (Civ. 1re, 31 mars 2021, préc.), celle-ci a jugé que l’intérêt supérieur de l’enfant justifiait de refuser l'octroi d'un droit de visite et d’hébergement (DVH) à l’ex-partenaire pacsée de la mère biologique de l’enfant, qui s’y opposait, au motif que la séparation du couple conjuguée à l'attitude dénigrante de la demanderesse perturbait l'équilibre de l’enfant, et que le DVH demandé par celle-ci, manifestement incapable de lui apporter une protection morale suffisante, ne pouvait être accueilli avant d'attendre que l’enfant grandisse afin qu'il puisse lui être expliqué l'implication de la demanderesse dans son histoire de vie.

Références

■ Civ. 1re, 24 févr. 2006, n° 04-17.090 P : D. 2006. 897, et les obs., note D. Vigneau ; ibid. 876, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2006. 159, obs. F. Chénedé ; RDSS 2006. 578, obs. C. Neirinck ; RTD civ. 2006. 297, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-12.623 P

■ Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-19.275

 

Auteur :Merryl Hervieu

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