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[ 22 septembre 2015 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Point sur la GPA

Mots-clefs : Gestation pour autrui, GPA, État civil, Acte de naissance, Mère porteuse

Relatives à la gestation pour autrui (GPA), les deux décisions rendues en assemblée plénière par la Cour de cassation le 3 juillet 2015 méritent évidemment d’être rapportées, tant l’enseignement qui peut en être tiré est majeur: une GPA ne justifie pas, à elle seule, le refus de transcrire à l’état civil français l’acte de naissance étranger d’un enfant ayant un parent français. 

Les deux affaires soumises à la Cour posaient une question identique, celle de la possibilité de transcription, sur les registres d'état civil français, de l'acte de naissance d’un enfant, établi à l'étranger, à l'issue d'une convention de gestation pour autrui. 

Dans les deux affaires, l'acte avait été dressé en Russie et désignait comme père l'homme qui avait reconnu l'enfant et comme mère la femme ayant accouché, c'est-à-dire la mère porteuse. Les pères avaient ensuite demandé la transcription des actes de naissance russes à l’état civil français. 

Dans la première espèce, la cour d'appel avait accueilli la demande au motif que l’acte de naissance n’était ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, cette décision ayant ensuite fait l’objet d'un pourvoi formé par le procureur général. Ainsi les juges du fond faisaient-ils une stricte application des articles 18, 47 et 310-1 et suivants du Code civil. 

Par sa seconde décision, contre laquelle le père forma pourvoi, la même cour d’appel avait refusé la transcription, retenant l’existence d’un faisceau de preuves de nature à caractériser l’existence d’un processus contractuel frauduleux (la convention de GPA). Ainsi faisait-elle une application tout aussi logique des articles 16-7 et 16-9 du Code civil, disposant sans réserve que « Toute convention portant sur la GPA est nulle d’une nullité d’ordre public ». 

Évidemment opposés quant à la réponse attendue de la Haute juridiction, les deux pourvois obligeaient cette dernière à reconsidérer sa position, avec la difficulté de concilier de multiples règles de droit applicables, sur une même question : le refus de transcription sur les actes de l’état civil français de l’acte de naissance d’un enfant dont au moins l’un des parents est français, régulièrement établi dans un pays étranger, peut-il être motivé par le seul fait que la naissance est l’aboutissement d’un processus comportant une convention de GPA ? 

Condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France n° 65192/11 et Labassée c/ France n° 65941/11), la Cour devait en effet confirmer ou infirmer la réponse, longtemps invariable, qu’elle apporta à cette question : une telle transcription ne peut être admise, en raison de l'atteinte à l'indisponibilité de l'état des personnes que constitue le recours à la pratique de gestation pour autrui atteinte en droit français d'une nullité d'ordre public en vertu des articles 16-7 et 16-9 du Code civil (Civ. 1re, 17 déc. 2008, n° 07-20.468 ; Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 09-66-486, 09-17.130 et 10-19.053), de la contrariété à l’ordre public qu’elle révèle comme de la fraude sur laquelle elle repose (Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-18.315 et 12-30.138). 

Ainsi, l’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA ne pouvait être transcrit à l’état civil français, même si le père et la mère figurant sur l’acte étaient bien le père biologique et la mère ayant accouché, et ce d’autant plus que cette situation ne portait pas atteinte, selon elle, à la vie privée de l’enfant dans la mesure où sa filiation était établie à l’étranger. Cependant, la Cour européenne des droits de l'homme ayant estimé qu'en refusant l'établissement de la filiation des enfants nés de mère porteuse à l'étranger à l'égard de leur père biologique, la France portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants, rattachant à l’article 8 de la Convention le droit à la connaissance de ses origines, il appartenait à la Cour de résoudre ces deux affaires de cette condamnation européenne (CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France et Labassée c/ Francepréc.). 

En ce sens, l'assemblée plénière valide, dans les deux affaires, la transcription des actes de naissance. Validation discrète mais certaine des pratiques de gestation pour autrui réalisées à l'étranger, malgré leur interdiction légale, la portée de ces décisions ne doit toutefois pas être surévaluée, d’une part parce qu’elle se cantonne à des cas où la conformité des actes à la réalité filiale n’est pas douteuse (la solution ne pourrait être étendue au cas où l'acte désignerait comme père et mère ceux que la pratique nomme « les parents d'intention » ou s'il désignait deux pères), d’autre part en raison de l’impossibilité d’une adoption ultérieure, par le conjoint (homme ou femme) du conjoint déclaré, la règle jurisprudentielle selon laquelle la demande d'adoption doit être rejetée comme n'étant que la phase ultime d'un processus frauduleux demeurant inchangée (Cass. ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105). Il n’en reste pas moins que cette position libérale, soutenant un tourisme procréatif contraire à plusieurs libertés fondamentales (V. Cons. const., 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC) au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel s’oppose à ce que ce dernier soit privé d’un lien juridique avec son parent lorsque la vérité biologique de ce lien est établie, suscitera une émotion légitime. Elle était toutefois attendue, en raison de l’essor croissant de la fondamentalité des droits, et notamment de ceux de l’enfant, mais également, et plus concrètement, de l’utilité pratique de donner aux enfants issus d’une GPA un état civil français, rapports entre la famille et les administrations, écoles (dont l’accès est néanmoins indépendant de la nationalité française ou étrangère de l’enfant), ou structures de soin, dispensant les familles d’avoir à présenter systématiquement des actes étrangers traduits et apostillés. Le principe traditionnel du droit du sang, la présomption de régularité des actes étrangers et la possibilité d’établir une filiation par reconnaissance venant soutenir, en droit, une solution dont le bien-fondé ne peut cependant être seulement juridique.

Cass. ass. plén., 3 juillet 2015, n° 15-50.002 et 14-21.323

Références

■ Code civil

Article 18

« Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. »

Article 47 

« Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

Article 310-1

« Tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

 CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France 65192/11 et Labassée c/ France65941/11,  D. 2014. 1797, ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan Esper ; Rev. crit. DIP 2015. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud.

 Civ. 1re, 17 déc. 2008, n° 07-20.468D. 2009. 332, avis J.-D. Sarcelet ; AJ fam. 2009. 81, obs. F. Chénedé ; Constitutions 2010. 78, obs. P. Chevalier ; Rev. crit. DIP 2009. 320, note P. Lagarde ; RTD civ. 2009. 106, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 09-66-48609-17.130 et 10-19.053D. 2011. 1522, note D. Berthiau et L. Brunet ; ; AJ fam. 2011. 262 AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc ; RTD civ. 2011. 340, obs. J. Hauser.

 Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-18.315 et 12-30.138D. 2013. 2382, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; AJ fam. 2013. 579, obs. F. Chénedé; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser.

■ Cass. ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105 ; D. 1991. 417, rapp. Y. Chartier ; ibid. 318, obs. J.-L. Aubert; RFDA 1991. 395, étude M. Long ; Rev. crit. DIP 1991. 711, note C. Labrusse-Riou ; RTD civ. 1991. 517, obs. D. Huet-Weiller.

 Cons. constit., 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC, D. 1995. 237, note B. Mathieu ; ibid. 299, obs. L. Favoreu ; RFDA 1994. 1019, note B. Mathieu ; RTD civ. 1994. 831, obs. J. Hauser.

 

Auteur :M. H.


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