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Introduction au droit
Point sur la hiérarchie des normes : la conception traditionnelle de la hiérarchie des normes écrites d’origine interne (épisode 1)
Il existe une grande diversité de normes écrites au sein de notre droit interne : normes constitutionnelles, plusieurs types de lois, plusieurs types de règlements. Mais à ces textes de source interne, viennent s’ajouter des textes de source internationale, et notamment des textes d’origine européenne qui se distinguent par une force d’intégration particulière dans les ordres juridiques nationaux.
La superposition de normes écrites fait naturellement naître des difficultés d’articulation et des conflits entre les différents types de normes.
Traditionnellement, la résolution de ces conflits est opérée grâce à la hiérarchie établie entre les textes. La hiérarchie des normes a été systématisée par le juriste Hans Kelsen qui présente l’ordre juridique comme un édifice pyramidal ; l’autorité accordée à chaque type de norme dépend de sa place dans cette pyramide, et conformément au principe hiérarchique, aucun texte ne saurait aller à l’encontre d’un autre qui serait situé à un niveau supérieur.
La conception traditionnelle de la hiérarchie des normes écrites, telle qu’on peut la présenter concernant les textes d’origine interne, se trouve renouvelée sous l’influence des normes d’origine supranationale.
À noter : L’Union européenne et le Conseil de l’Europe se distinguent des autres organisations internationales parce qu’ils constituent de véritables ordres juridiques supranationaux qui viennent se superposer à l’ordre juridique interne. Deux manifestations de cette particularité :
– la plupart des textes issus de leurs instances sont intégrés dans l’ordre juridique français et susceptibles d’être invoqués par les particuliers (application directe) ;
– l’Union européenne et le Conseil de l’Europe disposent chacun d’une juridiction propre ayant pour mission de s’assurer du respect de ces textes : la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est chargée de contrôler le respect du droit communautaire, tandis que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a pour mission de garantir l’application des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). La France s’est en outre engagée à se soumettre à la jurisprudence de ces juridictions.
La conception traditionnelle de la hiérarchie des normes écrites d’origine interne
Cette conception traditionnelle de la hiérarchie des normes repose essentiellement sur la suprématie de la Constitution, et la supériorité de la loi sur le règlement.
■ La suprématie de la Constitution
La suprématie de la Constitution signifie que les normes qui lui sont inférieures doivent lui être conformes ; la loi est donc soumise au respect des dispositions de la Constitution.
La conformité de la loi à la Constitution est assurée par le contrôle de constitutionnalité confié au Conseil constitutionnel, dont c’est la principale fonction, tandis que celle du règlement autonome (v. infra) est assuré par le Conseil d’État après l’adoption de celui-ci dans le cadre du contrôle de légalité.
S’agissant des lois ordinaires, le contrôle de constitutionnalité est facultatif (Const. 58, art. 61, al. 2) ; il n’est pas systématique dans son principe, de sorte qu’il est possible qu’une loi contraire à la Constitution entre en vigueur.
En revanche, lui sont obligatoirement soumis les lois organiques, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 de la Constitution avant qu'elles ne soient soumises à référendum et les règlements des assemblées.
Le Conseil constitutionnel peut être amené à exercer un contrôle de constitutionnalité des lois :
– soit avant leur promulgation (Const., art. 61) ;
– soit, depuis le 1er mars 2010, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, en vertu de l'article 61-1 de la Constitution issu de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008.
· Contrôle a priori
Aux termes du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se prononce sur les lois ordinaires qui lui sont soumises par le Président de la République, par le Premier ministre, par chacun des présidents des deux Chambres ou par un groupe soit de 60 députés, soit de 60 sénateurs. Le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours à la demande du Premier ministre. La saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation jusqu'au jour où la décision du Conseil est rendue publique.
La décision du Conseil constitutionnel est adressée au Premier ministre en vue de sa publication au Journal officiel. En application de l'article 62 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61 de la Constitution ne peut être promulguée ni mise en application.
En application de l'article 23 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, le Président de la République peut, à la suite d'une censure partielle, soit promulguer la loi dont la disposition déclarée inconstitutionnelle aura été retirée, soit demander au Parlement une nouvelle délibération. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel assortit parfois le rejet des griefs dirigés contre les dispositions qui lui sont soumises de réserves dont il doit être tenu compte pour l'application de ces dispositions, notamment par le pouvoir réglementaire.
La Constitution de 1958 attribuant compétence exclusive au Conseil constitutionnel pour effectuer le contrôle de constitutionnalité, et ne prévoyant à l’origine qu’un contrôle a priori, les juridictions ordinaires se sont toujours refusées à contrôler a posteriori la conformité de la loi à la Constitution (CE, sect., 6 nov. 1936, Arrighi; Civ. 1re, 1er oct. 1986, n° 84-17.090).
· Contrôle a posteriori
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a finalement inséré dans la Constitution un article 61-1 ouvrant aux justiciables la possibilité de contester la constitutionnalité de dispositions législatives a posteriori, devant les juridictions ordinaires.
Ainsi, depuis le 1er mars 2010, le justiciable peut contester la constitutionnalité de dispositions législatives dans une instance en cours devant une juridiction lorsqu'il estime que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Le Conseil constitutionnel peut alors être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation. Lorsque la question est soulevée devant une juridiction relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, la juridiction transmet la question au Conseil d'État ou à la Cour de cassation si les trois conditions suivantes, énoncées à l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, sont réunies :
– la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
– elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances (le Conseil constitutionnel a précisé que ces changements de circonstances s'entendaient des « changements intervenus, depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative contestée » : v. n° 2009-595 DC du 3 déc. 2009) ;
– la question n'est pas dépourvue de caractère nouveau ou sérieux.
Lorsque la question a été transmise au Conseil d'État ou à la Cour de cassation ou lorsqu'elle a été posée directement devant l'une ou l'autre de ces deux cours suprêmes, celles-ci ont un délai de trois mois pour se prononcer sur le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel est saisi dès lors que les deux premières conditions posées à l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou sérieuse.
Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine par une décision motivée et publiée au Journal officiel.
À noter : Pour être déclarée constitutionnelle, la loi ne doit pas être conforme aux seules dispositions de la Constitution stricto sensu, mais aux dispositions de l’ensemble des textes la complétant et composant ce que l’on nomme le « bloc de constitutionnalité » : les préambules des Constitutions de 1958 et de 1946, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, les principes et les objectifs à valeur constitutionnelle, enfin, la Charte de l’environnement (loi constitutionnelle du 29 mai 2005). L’extension de ce bloc a permis au Conseil constitutionnel d’accroître le domaine de son contrôle, de s’affirmer comme le protecteur des libertés individuelles, et de faire pénétrer les exigences constitutionnelles dans divers domaines du droit privé qui ne peuvent plus ignorer l’influence de la jurisprudence constitutionnelle.
Ainsi la Conseil peut-il, à l’issue de ce contrôle a posteriori, abroger, le cas échéant, la disposition légale non conforme à la Constitution. L’abrogation conduit à une disparition pour l’avenir de la loi, soit à la date de la décision, soit à une date ultérieure fixée par le Conseil (art. 62).
■ La supériorité de la loi sur les règlements
En droit interne, la suprématie de la loi se traduit par le principe de légalité : qu’ils soient d’application ou autonomes, les règlements sont également soumis au respect de la loi qu’ils mettent en œuvre sans pouvoir contredire ses dispositions : c’est ce que l’on appelle le principe de légalité.
L’étendue de la soumission varie toutefois selon qu’il s’agit d’un règlement d’application ou d’un règlement autonome :
Le règlement d’application a pour objet l’exécution d’une loi ordinaire intervenue dans le domaine de la compétence législative (partielle ou totale). Subordonné à la loi, au sens strict, il ne doit pas contredire la loi qu’il met en œuvre ;
Le règlement autonome intervient dans le domaine réservé au pouvoir exécutif pour lequel le législateur n’a pas de compétence (Const. 58, art. 37). Le règlement autonome n’ayant pas à exécuter la loi, au sens strict, il n’y a pas lieu de rechercher s’il est conforme à celle-ci. Néanmoins, le règlement reste soumis au principe de légalité et doit respecter la loi, au sens large. Aussi faut-il s’assurer non seulement de l’absence d’empiètement du règlement sur le domaine réservé de la loi mais aussi de sa conformité à la Constitution ou aux principes généraux du droit.
Le contrôle de la légalité des règlements relève des juridictions administratives, qui peuvent être saisies par les justiciables de deux façons :
– par voie d’action : le recours pour excès de pouvoir vise l’annulation d’un règlement illégal ;
– par voie d’exception : l’exception d’illégalité n’aboutira pas à l’annulation du règlement, mais seulement à sa mise à l’écart pour le litige dans lequel l’exception est invoquée.
L’exception d’illégalité peut être soulevée devant le juge judiciaire, qui doit alors surseoir à statuer en attendant que le juge administratif se prononce sur la légalité du texte litigieux. Cette obligation de surseoir à statuer ne s’applique pas au juge pénal, ni au juge civil lorsqu’il est allégué que le règlement porte atteinte à un droit fondamental de la personne.
Relativement simple à concevoir lorsqu’il s’agit de résoudre les conflits entre les normes écrites internes, la hiérarchie des normes apparaît altérée sous l’influence des normes de source internationale.
Prochain épisode : le renouvellement de la hiérarchie des normes écrites sous l’influence des textes d’origine supranationale.
Références
■ CE, sect., 6 nov. 1936, Arrighi: Lebon 966; D. 1938. 1, concl. Latournerie, note Eisenmann; S. 1937. 33, note Mastre;
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