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Introduction au droit
Point sur la hiérarchie des normes : le renouvellement de la hiérarchie traditionnelle des normes (épisode 2)
Il existe une grande diversité de normes écrites au sein de notre droit interne : normes constitutionnelles, plusieurs types de lois, plusieurs types de règlements. Mais à ces textes de source interne viennent s’ajouter des textes de source externe, et notamment des textes d’origine européenne qui se distinguent par une force d’intégration particulière dans les ordres juridiques nationaux.
La conception traditionnelle de la hiérarchie des normes écrites, telle qu’on peut la présenter concernant les textes d’origine interne (v. épisode 1), se trouve profondément renouvelée sous l’influence des normes d’origine supranationale, en particulier des normes européennes. En effet, l’ordre européen n’est pas seulement un ordre international ; il est un ordre juridique intégré à notre ordre juridique interne. L’ordre européen et l’ordre national forment donc un ordre juridique unique. Cette conception moniste, spécifique au droit de l’Union européenne, se distingue de la conception dualiste adoptée pour l’ordre juridique international, selon laquelle l’ordre national et l’ordre international constituent deux systèmes indépendants qui coexistent parallèlement. Sans équivalent, la confusion entre ordre interne et ordre européen conduit à modifier en profondeur la hiérarchie traditionnelle des normes.
Le renouvellement de la hiérarchie des normes par la multiplication des sources externes se traduit par un affaiblissement des normes légales et même constitutionnelles, qui s’exprime par la reconnaissance de la supériorité des normes supranationales sur les lois ordinaires et par la remise en cause de la suprématie de la Constitution.
■ La supériorité des normes supranationales sur les lois ordinaires
Supériorité des traités - Cette supériorité concerne tout d’abord le droit originaire des traités, fondée sur l’article 55 de la Constitution. En cas de conflit, les dispositions du traité prévalent sur les lois de droit interne, qui se trouvent implicitement abrogées. Désormais acquise, l’affirmation de cette supériorité n’est pas toujours allée de soi, en raison de l’utilisation par les juridictions, en cas de conflit entre un traité et une loi, d’un critère chronologique conduisant à appliquer la norme la plus récente, soit potentiellement une loi contraire au traité au motif que celle-ci avait été édictée postérieurement au traité. C’est l’application d’un principe général d’interprétation selon lequel la loi postérieure déroge à la loi antérieure (Lex posterior derogat priori). Puis à l’appui d’un critère hiérarchique, la Cour de cassation a abandonné cette position, afin d’assurer l’effectivité de la supériorité des traités sur les lois internes, même postérieures, contraires à leurs stipulations (Ch. mixte, 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre, n° 73-13.556). Depuis le ralliement du Conseil d’État à la position de la Cour de cassation (CE, ass., 20 oct. 1989, Nicolo, n° 108243), le juge administratif s’autorise également à écarter l’application d’une loi contraire à un traité antérieur, ainsi que l’application d’un acte réglementaire, sans que la loi puisse faire écran à leur incompatibilité.
À noter : À l’inverse d’une loi jugée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, une loi jugée contraire à un traité est seulement inappliquée au litige. La loi contraire au traité pourra donc, théoriquement, continuer à produire ses effets dans l’ordre juridique interne. Cependant, le risque de condamnation de l’État à réparer le préjudice qui résulte pour un particulier « de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France » (CE, ass, 8 févr. 2007, Gardedieu, n° 279522) conduira le Parlement à modifier la loi à l’effet de la rendre compatible avec le traité.
Enfin, le Conseil constitutionnel a aussi pu affirmer que « l’ordre juridique interne défini par la Constitution impose au législateur de respecter les stipulations des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés » (Cons. const. 31 juill. 2017, Accord économique et commercial global CETA, n° 2017-749 DC). L’incompatibilité de la loi et du traité s’analyse donc en une violation par le législateur de son obligation constitutionnelle de respecter les traités.
Supériorité du droit dérivé - La primauté des normes supranationales concerne non seulement le droit originaire, issu des traités, mais également le droit dérivé : les directives et les règlements priment sur les lois nationales, même postérieures. À noter que cette primauté joue, au-delà de l’ordre européen, pour l’ensemble des traités internationaux, tels que la Convention européenne des droits de l’homme ou le Pacte de New-York du 19 déc.1966 relatif aux droits civils et politiques.
L’insertion dans la hiérarchie des normes des textes de source externe entraîne, outre la soumission de la loi ordinaire au traité international, la remise en cause de la suprématie de la Constitution.
■ La suprématie de la Constitution remise en cause
Le conflit entre la Constitution et les traités est envisagé par le texte constitutionnel, mais de manière indirecte : il prévoit d’abord que la plupart des traités ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés par une loi (art. 53), puis son article 54 énonce que si le Conseil constitutionnel, saisi de l’autorisation de ratifier ou d’approuver un engagement international, constate que celui-ci comporte une disposition contraire à la Constitution, ladite autorisation ne peut intervenir qu’après une révision de la Constitution.
Cette dernière disposition pourrait traduire la suprématie des traités sur la Constitution : ce n’est pas le traité qui est amendé pour être conforme à la Constitution, mais cette dernière qui est révisée pour permettre l’intégration du traité dans l’ordre juridique interne (contrairement à ce qui se passe en présence d’une loi ordinaire). Ce point de vue doit toutefois être relativisé : en effet, si la ratification implique une révision constitutionnelle dont le constituant ne veut pas, il lui suffit de ne pas ratifier le traité. Et dans tous les cas, la soumission de la Constitution par sa mise en conformité avec le traité est volontaire : prévue par la Constitution elle-même, elle ne peut traduire l’infériorité de celle-ci ; au contraire, le fait qu’une disposition constitutionnelle puisse interdire la ratification du traité traduirait la prééminence de la Constitution. Il s’en déduit que la Constitution est supérieure au traité, mais que cette supériorité n’est que relative.
Il n’en demeure pas moins que, même relative, la primauté de la Constitution sur les traités internationaux est consacrée sans ambiguïté par les Hautes juridictions (Ass. plén. 2 juin 2000, Fraisse, n° 99-60.274 ; CE, ass., 30 oct. 1998, Sarran, Levacher et autres, n° 200286 et 200287).
Cependant, la supériorité de la Constitution sur les traités internationaux joue dans l’ordre interne, et non dans l’ordre international. En effet, dans l’ordre international, un État ne peut se prévaloir de sa Constitution pour refuser d’appliquer un traité, en raison de la conception dualiste de l’ordre juridique adoptée qui conduit à considérer l’ordre national et l’ordre international comme deux systèmes autonomes.
De surcroît, la question du maintien de la supériorité de la Constitution sur le droit de l’Union européenne se pose dès lors que l’ordre européen est intégré au nôtre. Comme tout traité, les traités formant le droit originaire ne peuvent pas être ratifiés s’ils ne sont pas conformes à la Constitution. Ils sont donc inférieurs à la Constitution. Mais de tels traités, une fois ratifiés, s’intègrent dans notre ordre juridique interne (CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ Enel, aff. 6/64: « à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en vigueur du traité et qui s’impose à leurs juridictions » ; CE, 19 nov. 2004, n°2004-505 DC, Traité établissant une Constitution pour l’Europe : le constituant a « consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international »). En raison de cette spécificité, l’ordre juridique européen est directement applicable aux ressortissants des États membres et s’impose à leurs juridictions (Ch. mixte, Jacques Vabre., préc.).
Est alors soulevée la question de savoir si la reconnaissance de l’intégration de cet ordre juridique européen dans l’ordre national implique une supériorité du droit dérivé sur la Constitution. En effet, les traités de l’Union européenne, une fois intégrés en droit interne, donnent aux instances européennes le pouvoir d’édicter une réglementation, par voie de directives et de règlements. Ce droit dérivé est susceptible de heurter la Constitution d’un État, comme la France. Son application, malgré sa contrariété à la Constitution, conduirait à reconnaître la supériorité du droit dérivé sur la Constitution.
Or il est essentiel de retenir que les juges européens et les juges français n’adoptent pas la même position sur ce sujet.
► Les juges européens considèrent que le droit dérivé prime sur la Constitution des États membres (CJCE, 17 déc. 1970, Internationale Handelgesellschaft, aff. 11-70 : « l’invocation d’atteintes portées, soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la Constitution d’un État membre, soit aux principes d’une structure constitutionnelle, ne saurait affecter la validité d’un acte communautaire ou son effet sur le territoire de cet État » ; adde, CJCE, 11 janv. 2000, Tanja Kreil, aff. C-285/98).
► Les juges internes ne reconnaissent pas cette supériorité. Cette divergence est d’abord exprimée par le Conseil constitutionnel : lorsqu’il admet le principe d’intégration du droit de l’Union dans l’ordre interne (Cons. const. 19 nov. 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n° 2004-505 DC), c’est pour mieux rappeler la place de la Constitution française au sommet de l'ordre juridique interne (Cons. const. 20 déc. 2007, Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, n° 2007-560 DC) ; et lorsqu’il décide que l’article 88-1 de la Constitution pose une exigence de transposition, c’est pour mieux ouvrir la voie à un contrôle indirect de constitutionnalité des directives européennes (Cons. const. 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, n° 2004-496 DC).
Bien plus, le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il accepterait de censurer une loi transposant une directive dès lors qu’elle heurterait « une règle » ou « un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » (Cons. const. 27 juill. 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, n° 2006-540 DC). Ce qui revient à dire que la Constitution prime sur le droit dérivé.
Le Conseil d’État s’est ensuite inspiré de cette jurisprudence constitutionnelle en décidant que le juge administratif peut, dans le cadre du contrôle d’un décret de transposition, annuler une directive contraire à un principe constitutionnel n’ayant pas d’équivalent communautaire (CE, 8 févr. 2007, Sté. Arcelor, n° 287110).
Références :
■ Ch. mixte, 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre, n° 73-13.556
■ CE, ass., 20 oct. 1989, Nicolo, n° 108243 : AJDA 2014. 100, entretien M. Long ; D. 1990. 135, note P. Sabourin ; ibid. 57, chron. R. Kovar ; RFDA 1990. 267, chron. D. Ruzié ; Rev. crit. DIP 1990. 125, concl. P. Frydman ; ibid. 139, note P. Lagarde ; RTD com. 1990. 193, obs. C. Debbasch
■ CE, ass, 8 févr. 2007, Gardedieu, n° 279522 : AJDA 2007. 585, chron. F. Lenica et J. Boucher ; ibid. 1097, tribune P. Cassia ; D. 2007. 659, et les obs. ; ibid. 1214, chron. G. Clamour ; RFDA 2007. 361, concl. L. Derepas ; ibid. 525, note D. Pouyaud ; ibid. 789, note M. Canedo-Paris ; RTD civ. 2007. 297, obs. J.-P. Marguénaud
■ Cons. const. 31 juill. 2017, Accord économique et commercial global CETA, n° 2017-749 DC : AJDA 2017. 2008, note B. Bonnet ; D. 2017. 1656, et les obs. ; ibid. 2378, point de vue J. Roux
■ Ass. plén., 2 juin 2000, Fraisse, n° 99-60.274 : D. 2000. 865, note B. Mathieu et M. Verpeaux ; ibid. 2001. 1636, chron. B. Beignier et S. Mouton ; RTD civ. 2000. 672, obs. R. Libchaber
■ CE, ass., 30 oct. 1998, Sarran, Levacher et autres, n° 200286 et 200287 : AJDA 1998. 1039 ; ibid. 962, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; ibid. 2014. 114, chron. P. Fombeur ; D. 2000. 152, note E. Aubin ; RFDA 1998. 1081, concl. C. Maugüé ; ibid. 1094, note D. Alland ; ibid. 1999. 57, étude L. Dubouis ; ibid. 67, note B. Mathieu et M. Verpeaux ; ibid. 77, étude O. Gohin ; RTD civ. 1999. 232, obs. N. Molfessis
■ CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ Enel, aff. 6/64 : RTD eur. 2021. 589, étude Amedeo Arena ; Rev. UE 2015. 554, étude Y. Petit ; ibid. 562, étude S. Van Raepenbusch ; ibid. 570, étude A. Vauchez ; ibid. 649, étude J.-D. Mouton
■ CE, 19 nov. 2004, n° 2004-505 DC : AJDA 2005. 211, note O. Dord ; ibid. 219, note D. Chamussy ; D. 2004. 3075, chron. B. Mathieu ; ibid. 2005. 100, point de vue D. Chagnollaud ; ibid. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2005. 1, étude H. Labayle et J.-L. Sauron ; ibid. 30, note C. Maugüé ; ibid. 34, note F. Sudre ; ibid. 239, étude B. Genevois ; RTD eur. 2005. 557, étude V. Champeil-Desplats
■ CJCE, 17 déc. 1970, Internationale Handelgesellschaft, aff. 11-70 : Rev. UE 2015. 562, étude S. Van Raepenbusch
■ CJCE, 11 janv. 2000, Tanja Kreil, aff. C-285/98 : AJDA 2000. 307, chron. H. Chavrier, H. Legal et G. de Bergues ; D. 2000. 192, obs. J. Rideau ; RFDA 2000. 342, étude A. Haquet
■ Cons. const. 20 déc. 2007, Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, n° 2007-560 DC : Constitutions 2010. 53, obs. A. Levade ; RTD eur. 2008. 5, étude J. Roux
■ Cons. const. 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, n° 2004-496 DC : AJDA 2004. 1534, note J. Arrighi de Casanova ; ibid. 1937 ; ibid. 1385, tribune P. Cassia ; ibid. 1497, tribune M. Verpeaux ; ibid. 1537, note M. Gautier et F. Melleray, note D. Chamussy ; ibid. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; D. 2005. 199, note S. Mouton ; ibid. 2004. 1739, chron. B. Mathieu ; ibid. 3089, chron. D. Bailleul ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2004. 651, note B. Genevois ; ibid. 2005. 465, étude P. Cassia ; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de Munagorri ; RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar ; ibid. 2005. 597, étude E. Sales
■ Cons. const. 27 juill. 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, n° 2006-540 DC : D. 2006. 2157, chron. C. Castets-Renard ; ibid. 2878, chron. X. Magnon ; ibid. 2007. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino ; RTD civ. 2006. 791, obs. T. Revet ; ibid. 2007. 80, obs. R. Encinas de Munagorri
■ CE, 8 févr. 2007, Sté. Arcelor, n° 287110 : AJDA 2007. 577, chron. F. Lenica et J. Boucher ; ibid. 1097, tribune P. Cassia ; D. 2007. 2272, note M. Verpeaux ; ibid. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino ; ibid. 2742, chron. P. Deumier ; RDI 2007. 130, obs. L. Fonbaustier ; RFDA 2007. 384, concl. M. Guyomar ; ibid. 564, note A. Levade ; ibid. 578, note X. Magnon ; ibid. 596, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; ibid. 789, note M. Canedo-Paris ; ibid. 2008. 780, chron. T. Haas et C. Santulli ; Constitutions 2010. 58, obs. A. Levade ; RTD civ. 2007. 299, obs. P. Remy-Corlay ; RTD eur. 2007. 378, note P. Cassia ; ibid. 2008. 835, chron. D. Ritleng, A. Bouveresse et J.-P. Kovar
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