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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Point sur la liberté d’expression de l’avocat
Mots-clefs : Liberté d'expression de l'avocat, Déontologie, Devoir de modération, Devoir de délicatesse, Secret professionnel
Napoléon, qui n’avait rétabli qu’à regret, en 1810, l’ordre des avocats, disait « je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat s’il s’en sert contre le gouvernement ». De façon moins véhémente, la Cour de cassation a, depuis lors, précisé les contours de la liberté d’expression des avocats. De sa jurisprudence, désormais fournie, émergent deux questions centrales en la matière : celle du lien du contentieux disciplinaire des avocats avec l’instance pénale et celle de l’étendue de la liberté d’expression de l’avocat ; Dalloz Actu Étudiant fait le point.
■ Le contentieux disciplinaire des avocats et l’instance pénale : la question procédurale de l’indépendance des contentieux
La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 assoit la compétence des conseils de discipline sur les « infractions et fautes commises par les avocats » (art. 22). La question du cumul des poursuites, voire des sanctions, s’est naturellement posée : un avocat qui fait l’objet de poursuites pénales sera naturellement exposé aux poursuites disciplinaires, mais celles-ci ne répondent pas, en théorie du moins, aux mêmes fonctions. C’est la raison pour laquelle l’influence de l’immunité pénale de l’avocat sur sa responsabilité disciplinaire a dû être mesurée : l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit en effet que « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». Cette disposition protège l’avocat pour les plaidoiries ou les conclusions qu’il peut déposer à l’audience relativement aux infractions portant à l’honneur ou à la considération. En revanche, si le propos est discriminatoire ou tenu hors du prétoire, l’immunité ne joue plus. Mais une telle immunité couvre les seules poursuites pénales ; l’action disciplinaire est indépendante de l’action publique devant les juridictions pénales, la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l’état » ne s’appliquant pas en matière disciplinaire (v. Civ. 1re, 15 mai 1984). Partant, le conseil de discipline n’a non seulement pas à surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge pénal, mais il peut également se prononcer en faveur d’une sanction quand bien même une relaxe aurait été décidée au pénal. Enfin, ce principe d’indépendance conduit à l’admission d’un cumul de sanctions sans méconnaître les dispositions de l’article 4 du protocole additionnel n°7 de la Convention européenne des droits de l’homme selon lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi de cet État » (v. Civ. 1re, 2 avr. 1997).
■ Liberté d’expression de l’avocat
La liberté d’expression de l’avocat n’est pas absolue. La principale limite qui lui est opposée réside dans le devoir de modération et de délicatesse qui incombe à l’avocat. Aussi est-il tenu par le principe du secret professionnel, seconde limite nécessaire au droit de s’exprimer librement.
■ Liberté d’expression et devoir de modération et de délicatesse
Dans l'exercice de sa liberté d'expression, l'avocat reste soumis aux devoirs de modération et de délicatesse édictés par les règles déontologiques de sa profession. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle plusieurs fois précisé qu’hors du prétoire, les propos qui constituent un manquement à l’honneur et à la délicatesse ne peuvent bénéficier de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et doivent être sanctionnés (Civ. 1re, 14 oct. 2010 et Civ. 1re, 4 mai 2012). Pour résoudre le conflit entre la liberté d’expression de l’avocat et les devoirs que lui imposent ses règles déontologiques, les juges internes comme européens ont érigé, ces dernières années, plusieurs critères significatifs pour déterminer la mesure de la protection de la libre expression de l’avocat. Le critère principal réside dans le manquement à la délicatesse et à la modération ; un tel manquement est retenu lorsque des propos violents sont tenus ad hominem et qu’ils portent une atteinte excessive à autrui ou au pouvoir judiciaire sans être, par ailleurs, soutenus par un objectif informatif ou par l’expression d’une idée, d’une réflexion plus générale (v. CEDH 20 mai 1998, Schöpfer c. Suisse et Civ.1re, 28 mars 2008). À l’aune des critères retenus, n’ont notamment pas été protégés des écrits ou des propos outrageants, étrangers à la cause, notamment des déclarations racistes visant uniquement à mettre en cause l’impartialité des jurés (v. Civ. 1re, 5 avr. 2012), ou bien encore un communiqué de presse d'un avocat contestant les conditions de la tenue d'un procès (v. Crim. 3 déc. 2002)
■ Liberté d’expression et secret professionnel
La liberté d’expression de l’avocat doit également être analysée au regard des contraintes du secret professionnel qui s’imposent à lui. Pour la libérale Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 15 déc. 2011, Mor c. France), la liberté d’expression de l’avocat, en raison de sa position centrale dans l’administration de la justice et en sa qualité d’intermédiaire entre justiciables et tribunaux, doit impérativement être préservée, sous certaines réserves ne pouvant être, dans une société démocratique, qu’exceptionnelles. Dans l’ordre interne, les juges se montrent moins flexibles. Ainsi, la première chambre civile a-t-elle récemment jugé que si l’avocat est en droit de violer le secret professionnel lorsqu’il s’agit d’assurer sa propre défense, cette autorisation ne s’étend pas aux documents couverts par le secret médical qui ont été remis à l’avocat par la personne concernée. L’idée que les droits de la défense ne sauraient être mis en échec par le secret professionnel (v. Douai, 26 oct. 1951) trouve ici un tempérament important. Il ressort, en effet, de l’arrêt rapporté que d’autres secrets professionnels, comme le secret médical, peuvent constituer une limite à la faculté de l’avocat d’outrepasser son propre secret afin de se défendre en justice.
Notons enfin que la violation du secret professionnel peut être imposée par la loi à l’avocat alors même que ce dernier aurait aimé pouvoir garder sa liberté de non-expression… En effet, l’obligation de déclaration de soupçons que la loi fait, notamment, peser sur l’avocat, oblige ce dernier à déclarer toute transaction qui lui semble suspecte dans le but d’améliorer la lutte contre le blanchiment de capitaux. Selon ce dispositif, d’origine européenne, les avocats-conseils, s’ils participent à la préparation ou à la réalisation de transactions financières et immobilières ou lorsqu’ils agissent au nom et pour le compte de leur client dans ce type de transactions, sont contraints de violer le secret professionnel dans le cas d’opérations suspectes. Cette obligation de déclaration reste, pour l’heure, parfaitement ineffective. Le signe, sans doute, de l’indépendance de cette profession ; le révélateur, peut-être, de la crainte de l’avocat de se voir effectivement couper la langue par un client mécontent…
Références
■ À paraître : Code de l’avocat 2013, 2e éd., Dalloz.
■ Article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques
« Un conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel connaît des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s'y trouvent établis.
Toutefois, le Conseil de l'ordre du barreau de Paris siégeant comme conseil de discipline connaît des infractions et fautes commises par les avocats qui y sont inscrits.
L'instance disciplinaire compétente en application des alinéas qui précèdent connaît également des infractions et fautes commises par un ancien avocat, dès lors qu'à l'époque des faits il était inscrit au tableau ou sur la liste des avocats honoraires de l'un des barreaux établis dans le ressort de l'instance disciplinaire. »
■ Article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l'une de ces deux assemblées.
Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l'alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.
Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.
Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers. »
■ Civ. 1re, 15 mai 1984, n°83-12.721, D.1985. IR. 106, obs. A. Brunois.
■ Civ. 1re, 2 avr. 1997, n° 95-13.599, Bull. civ. I, n° 115, JCP. 1997. IV. 1119.
■ Civ. 1re, 28 mars 2008, n°05-18.598.
■ Civ. 1re, 14 oct. 2010, n°09-16.495 09-69.266.
■ Civ. 1re, 5 avr. 2012, n°11-11.044.
■ Civ. 3e, 4 mai 2012, n°11-30.193.
■ Crim. 3 déc. 2002, n° 01-85.466, Bull. crim., n° 217.
■ CEDH 20 mai 1998, Schöpfer c. Suisse, n° 56/1997/840/1046, §29, D. 1999. 272, obs. N. Fricero.
■ CEDH 15 déc. 2011, Mor c. France, n° 28198/09, D. 2012. 667, note L. François.
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