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Droit des personnes
Point sur la nationalité
Selon la définition donnée par la Cour internationale de justice, la nationalité constitue le lien juridique entre l’État et la personne fondé sur un fait social de rattachement, une « solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments joints à une réciprocité de droits et de devoirs » (CIJ, 6 avr. 1955, Nottebohm – Liechtenstein c. Guatemala, Rec.CIJ, p.4). Traduction du lien juridique entre un État et une population, la nationalité apparaît à la fois comme l’expression d’une liberté exercée par l’État (1), souverain dans la détermination des règles devant gouverner son attribution, en même temps que la réalisation d’un droit (2), appartenant à toute personne ayant droit « à » une nationalité.
1. La nationalité, l’expression d’une liberté
La nationalité est d’abord une manifestation de la souveraineté des États. Les règles d’attribution de la nationalité relèvent en effet de la liberté souveraine des États, qui peuvent en définir et en modifier les critères discrétionnairement. Historiquement, il ressort que quatre critères sont susceptibles de jouer un rôle dans l’attribution de la nationalité :
- Le lieu de naissance (principe du jus soli)
- Le lien de filiation (principe du jus sanguinis)
- Le lieu de résidence (passée, présente ou future)
- Le statut matrimonial, soit la nationalité du conjoint.
Ces critères sont librement utilisés par les États, qui peuvent en ajouter d’autres, comme le fait d’investir économiquement dans le pays ; en effet, les règles d’attribution de la nationalité relèvent traditionnellement de la souveraineté nationale et sont faiblement encadrées par le droit international.
L’exemple français illustre particulièrement bien cette liberté dont jouit l’État dans l’édiction des règles d’attribution de la nationalité. En effet, toutes les combinaisons possibles des critères disponibles ont, au gré des époques et des circonstances, été décidées. Sous la Révolution française, le principe était celui d’un jus soli fort qui a permis la naturalisation presque automatique d’étrangers résidant en France. Cet état du droit a été amendé par le Code civil napoléonien, dans un sens patriarcal : la nationalité devint ainsi un droit personnel se transmettant par la filiation paternelle, à l’instar du nom. Or ce droit du sang a été remis en cause à la fin du 19e siècle, face au double phénomène d’une immigration massive et de la conscription. Puis cette nouvelle approche sera de nouveau battue en brèche avec le développement, à partir des années 1920, d’une conception raciale de la nationalité française, fondée sur le postulat de degrés d’assimilabilité variables des étrangers selon leur origine nationale ou ethnique. Elle s’incarna tout particulièrement dans la politique de Vichy (dénaturalisation des Juifs par ex.). La Libération rompit cependant avec cette logique et renoua avec le droit du sol, qui domine depuis 1945 le droit de la nationalité française. Dans une approche extensive, le droit du sol justifie l’attribution automatique de la nationalité française à raison de la naissance sur le sol français. À noter qu’à rebours de l’opinion couramment répandue, le droit français a fait le choix d’une approche restrictive du droit du sol : en effet, les mineurs nés en France de parents étrangers doivent demander la nationalité française ; elle n’est donc pas automatique (C. civ., art. 21-11), sauf dans le cas où le demandeur satisfait non seulement le critère de la naissance sur le sol français, mais également celui tiré de la résidence effective en France (présente et passée) : « tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins 5 ans, depuis l’âge de 11 ans » (C. civ., art. 21-7). À noter que la loi Immigration du 26 janvier 2024 avait entendu mettre fin à l’automaticité de l’acquisition de la nationalité française même dans le cas où le demandeur remplirait la double condition de naissance et de résidence en France. Son obtention devait en effet se doubler d’une « manifestation de volonté » d’acquérir la nationalité française. Considérée comme un cavalier législatif, cette disposition a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel. Au-delà de la fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés et résidant en France, le principe même du droit du sol reste contesté ; ainsi, lors de la campagne des dernières élections législatives consécutives à la dissolution de l’Assemblée nationale, le président du RN annonçait sa suppression pure et simple. Reste en revanche inchangée la possibilité d’acquérir la nationalité française par naturalisation. Celle-ci résulte toutefois d’une décision discrétionnaire de l’autorité administrative, qui peut la refuser même lorsque les conditions sont réunies (C. civ., art. 21-14-1 : résidence effective en France depuis au moins 5 ans, régularité du séjour, absence de condamnations pénales).
Fruit d’un choix souverain des États, l’attribution d’une nationalité n’est toutefois plus à leur parfaite discrétion ; en effet, le droit international vient poser plusieurs limites à la liberté des États, qui tiennent essentiellement à la reconnaissance d’un droit « à » une nationalité.
2. La nationalité, la réalisation d’un droit
La nationalité renvoie aussi au droit des personnes à une nationalité. En ce sens, il convient d’observer que si les règles d’attribution de la nationalité sont du ressort de la souveraineté des États, qui peuvent donc les modifier librement, comme les variations historiques du droit français l’attestent, le droit international, et notamment le droit européen des droits de l’homme, viennent poser plusieurs limites.
D’abord, certains traités internationaux reconnaissent expressément le droit à une nationalité. Ainsi, tant le Pacte international de 1966 sur les droits civils et politiques que la Convention de New York sur les droits de l’enfant posent le principe d’un droit de l’enfant à acquérir une nationalité ; de même, la Convention sur la nationalité adoptée par le Conseil de l’Europe en 1997 (auj entrée en vigueur signée mais non ratifiée par la France) affirme que chaque individu a droit à une nationalité, que l’apatridie doit être évitée, et la perte arbitraire de la nationalité interdite.
Dans la même perspective de fixer des limites à la souveraineté des États, ce sont ensuite les juges internationaux qui viennent au soutien de ce droit à une nationalité. Dans l’arrêt Nottenbohm (CIJ 6 avr.1955, préc.), la Cour de justice a ainsi exigé que la nationalité soit fondée sur un rattachement effectif de l’individu à l’État dont il a la nationalité. Plus récemment, la Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé que, bien qu’aucune disposition de la Convention ne garantisse le droit d’acquérir une nationalité ou une citoyenneté particulière, « un refus arbitraire d’octroyer la nationalité (peut), dans certaines conditions, poser un problème sous l’angle de l’article 8 de la Convention en raison de l’impact d’un tel refus sur la vie privée de l’individu » (CEDH, 11 oct. 2011, Genovese c. Malte, n° 53124/09). En effet, dans la jurisprudence européenne, la vie privée est un concept suffisamment large pour englober tous les aspects de l’identité sociale d’une personne. La solution a été reprise par le juge administratif (CE, 12 déc. 2014, Association Juristes pour l’enfance, n° 367324). Quant à la Cour de justice de l’Union européenne, elle confirme également le lien entre le droit à une nationalité et d’autres droits et libertés fondamentales, ainsi que le droit à une vie familiale normale et la liberté de circulation garantie par le droit européen (CJUE, GC, 12 mars 2019, Tjebbes, C-221/17).
Références :
■ CIJ, 6 avr. 1955, Nottebohm – Liechtenstein c. Guatemala, Rec.CIJ, p.4 :
■ CEDH, 11 oct. 2011, Genovese c. Malte, n° 53124/09 : AJ fam. 2011. 551, obs. M. Rouillard ; Rev. crit. DIP 2012. 61, étude F. Marchadier
■ CE, 12 déc. 2014, Association Juristes pour l’enfance, n° 367324 : AJDA 2015. 357, note J. Lepoutre ; ibid. 2014. 2451 ; D. 2015. 355, et les obs. ; ibid. 352, concl. X. Domino ; ibid. 357, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 450, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2015. 53, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2015. 163, concl. X. Domino ; RTD civ. 2015. 114, obs. J. Hauser
■ CJUE, GC, 12 mars 2019, Tjebbes, C-221/17 : AJDA 2019. 1047, chron. P. Bonneville, S. Markarian, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2019. 875, note J. Lepoutre ; ibid. 2020. 298, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RTD eur. 2019. 709, obs. E. Pataut
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