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Droit de la responsabilité civile
Point sur la nouvelle directive européenne (UE) 2024/2853 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux
Tout en conservant certains éléments du régime antérieur, la nouvelle directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, ayant pour principal objectif d’adapter le régime applicable aux évolutions liées aux nouvelles technologies, innove par l’ampleur des modifications apportées au dispositif existant.
La directive européenne du 25 juillet 1985 relative aux produits défectueux vient d’être révisée et abrogée par la directive (UE) 2024/2853 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024. Entrée en vigueur le 8 décembre 2024, la nouvelle directive conduit à adapter le régime actuel aux évolutions liées aux technologies émergentes comme l’intelligence artificielle, à l’expansion de la numérisation des échanges, à l’essor de nouveaux modèles d’entreprise et à la mondialisation des chaînes d’approvisionnement. L’objectif final tient dans le renforcement, dans ce contexte économique et numérique nouveau, de la protection des victimes, en facilitant l’accès à leur indemnisation. Sa transposition en droit interne, prévue le 9 décembre 2026, modifiera de manière significative le régime de responsabilité existant. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici les principales modifications apportées :
● Élargissement de la notion de produit (art. 4) : confirmation de l’intégration, dans le champ d’application de la notion, de l’électricité (art. 2 Dir. 1985) et des logiciels (v. déjà, Commission européenne, Question écrite n° 706/88, 5 juill. 1988 et réponse, 15 nov. 1988, JOCE 8 mai), excepté les logiciels open source, sans finalité commerciale (protection de l’innovation) ; extension de la notion de produit à ses composants, même incorporels, pour y inclure les fichiers de fabrication numériques, les services numériques intégrés ou interconnectés : inclusion de ces produits incorporels dans le champ de la notion de produit. La directive vise ainsi à offrir la garantie que la responsabilité des logiciels défectueux, des applications et de l’IA sera engagée, tout en protégeant l’innovation des start-ups du secteur numérique.
● Réinterprétation de la notion de défaut (art. 7) : défini dans un sens conforme au droit antérieur comme le défaut de sécurité, intrinsèque (lié au produit lui-même) ou extrinsèque (présentation, emballage, etc.), à laquelle le consommateur moyen peut légitimement s’attendre ; ajout d’éléments nouveaux de définition, compte tenu du développement de l’IA : capacité du produit à poursuivre son apprentissage ou à acquérir de nouvelles caractéristiques après sa mise sur le marché (ie produits intégrant une solution d’IA), effet raisonnablement prévisible sur le produit d’autres produits utilisés conjointement, exigences applicables en matière de cybersécurité.
● Extension de la liste des préjudices indemnisables (art. 6) : réparabilité inchangée des atteintes corporelles et des dommages aux biens, autres que le produit défectueux lui-même, causés à la victime directe ou aux victimes par ricochet ; innovation liée à la consécration de dommages inédits : atteinte médicalement reconnue à la santé psychologique, destruction ou corruption de données utilisées à des fins autres que professionnelles (ex : suppression de fichiers numériques d’un disque dur). Outre ceux déjà prévus dans la directive n° 85/374/CEE, ces nouveaux dommages consistant dans la perte des données et l’impact psychologique du produit défectueux pourront donc être indemnisés. En revanche, conformément aux exclusions antérieures, les dommages causés à des biens professionnels, les préjudices purement économiques et les préjudices moraux ne sont pas indemnisables.
● Extension de la liste des personnes responsables (art. 8) : outre le producteur, l’importateur ou le fournisseur (remplacé par le distributeur) du produit ou d’un composant intégré au produit ou interconnecté, déjà susceptibles d’être désignés comme responsables par le régime actuel, d’autres opérateurs économiques pourront être visés : le représentant légal basé dans l’UE du fabricant étranger ou l’entreprise importatrice du produit basée dans l’UE, leur mandataire ou encore le « prestataire de services d’exécution des commandes » (ie une personne intervenue dans la chaîne de distribution du produit pour fournir des services connexes). En outre, lorsqu’aucun de ces opérateurs ne pourra être identifié, la victime pourra agir contre un distributeur du produit ou un fournisseur de plateforme en ligne procédant à la vente du produit défectueux. L’objectif de la nouvelle Directive est de garantir qu’il y aura toujours une entreprise basée dans l’UE pour répondre des dommages.
● Aménagement du régime probatoire (art. 9) : confirmation du mode de preuve par présomption pour établir la preuve du défaut et/ou du lien de causalité, notamment en cas de complexité technique ou scientifique de l’affaire (v. déjà, Civ. 1re, 22 mai 2008, nos 05-20.317 et 06-10.967 ; CJUE, 21 juin 2017, aff. C-621/15). Outre ce recours aux présomptions, le texte prévoit de nouvelles règles de preuve favorables à la victime, fondées sur le pouvoir d’injonction judiciaire. Principalement, cette mesure spécifique est prévue : à la condition d’établir des éléments rendant « plausible » sa demande en réparation, la victime pourra demander au juge d’ordonner au défendeur de divulguer les éléments de preuve pertinents dont il dispose (ex : éléments de preuve de la défectuosité d’un système d’IA).
● Restriction des causes d’exonération (art. 11) : maintien des causes antérieures liées à l’apparition du défaut du produit après sa mise sur le marché, à la conformité du produit aux exigences légales et au risque de développement ; modification majeure par l’exclusion de la première cause possible d’exonération (apparition du défaut postérieure à sa mise sur le marché, à sa mise en service ou à disposition) au cas où le défaut du produit est dû à certains éléments relevant du « contrôle du fabricant » (logiciels, y compris leurs mises à jour ou mises à niveau) ; révision du moyen d’exonération tiré du risque de développement, possible si l’état des connaissances au moment de la mise sur le marché ne permettait pas au fabricant de connaître l’existence du défaut pendant le temps où le produit était sous son contrôle. À noter que cette double référence au « contrôle du fabricant » pour définir les causes de son exonération s’accommode mal avec les particularités de l’IA, ayant vocation à s’affranchir du contrôle humain, que le texte entend pourtant appréhender.
● Révision des délais (art. 17) : maintien du délai décennal de forclusion, mais modification de son point de départ en présence d’un produit substantiellement modifié, fixé à la date de la nouvelle mise à disposition ou mise en service ; création d’un nouveau délai butoir de vingt-cinq ans dans les cas où, en raison de la période de latence de lésions corporelles, la victime n’aurait pas pu agir dans le délai de dix ans. Cette disposition vise les dommages corporels dont les symptômes sont d’apparition lente (ex : exposition à l’amiante, à des produits de santé ou phytosanitaires).
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