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Droit des obligations
Point sur la nullité : distinction avec les sanctions voisines
Lorsqu’une condition de formation du contrat fait défaut, l’accord de volontés ne peut valablement créer des effets de droit car un contrat ne peut faire naître des obligations que dans les limites prévues par la loi. Cette carence est alors sanctionnée par la nullité du contrat, « sanction prononcée par le juge et consistant dans la disparition rétroactive de l’acte juridique qui ne remplit pas les conditions requises pour sa formation » (Lexique des termes juridiques, Dalloz, éd. 2024-2025).
■ Distinction de la nullité et de l’inexistence
L’inexistence correspond à l’hypothèse d’un acte juridique atteint d’un vice d’une telle ampleur que l’acte ainsi vicié ne peut recevoir aucune reconnaissance juridique. Eu égard à la gravité du vice affectant la convention, les règles applicables à l’inexistence du contrat se distinguent du régime afférent à la nullité : l’intervention du juge n’est pas nécessaire pour constater l’inexistence de l’acte, la possibilité de l’invoquer est soustraite à la prescription, et l’inexistence ne peut jamais être couverte par la confirmation.
Ce concept de l’inexistence fut créé par la doctrine du XIXe siècle en droit du mariage afin de contourner la règle selon laquelle il ne saurait y avoir de nullité sans texte. Pour sanctionner des imperfections notoires jadis liées, par exemple, à l’identité de sexe des époux, le mariage était dit « inexistant ». Ultérieurement, la notion fut étendue à l’ensemble des actes juridiques au point d’intégrer le droit commun des contrats par la reconnaissance de l’inexistence du contrat sans objet ou auquel le consentement fait totalement défaut. On admet depuis que si la chose qui fait l’objet d’une des prestations du contrat n’existe pas lors de la conclusion de celui-ci, ce contrat n’existe pas. On considère également que l’absence totale de consentement au contrat, qui empêche la rencontre des volontés, rend ce contrat inexistant (exemple de l’erreur-obstacle).
Désormais acquise, la notion d’inexistence est toutefois contestée par la doctrine majoritaire, dénonçant la difficulté, chaque fois qu’existe une apparence de contrat, de se dispenser de l’intervention du juge. Il est vrai que dans sa mise en œuvre, la sanction de l’inexistence de l’acte se rapproche de la nullité en ce qu’elle ne semble pas pouvoir être prononcée sans juge. Le terme « inexistence » est en vérité utilisé en jurisprudence pour souligner la gravité du vice, sans qu’une spécificité de régime juridique n’y soit véritablement attachée (v. pour un ex. Civ. 3e, 21 mai 2014, n° 13-16.591).
La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 n’a pas modifié les choses sur ce point.
■ Distinction de la nullité et du réputé non écrit
La technique du réputé non écrit, souvent utilisée par le législateur contemporain (v. par ex. C. civ., art. 1170, 1171 et 1184 al. 2 ; C. consom. L. 241-1 ; C. monét. fin., art. L. 112-1), correspond à « une forme d’inexistence partielle (…) frappant une clause seulement du contrat » (T. Genicon, « Réputé non écrit », in Dictionnaire du contrat, LGDJ, 2018), justifiant l’inanité du recours au juge.
La convention est donc par principe maintenue : elle se trouve simplement expurgée de la clause illicite qui l’affecte, voire de la seule partie illicite de celle-ci.
La spécificité de cette sanction reste discutée en doctrine (J. Calais-Auloy et H. Temple, Droit de la consommation, 9e éd., Dalloz, n° 177 : « Pour nous, une clause réputée non écrite est une clause nulle » ; Y. Picod, Droit de la consommation, 4e éd., Sirey, n° 324, estimant que cette sanction « peut être assimilée à une nullité partielle » ; comp. L. et J. Vogel, Droit de la consommation. Traité de droit économique, t. 3, Bruylant, 2017, n° 428, admettant que « cette sanction automatique se distingue de la nullité, qui ne peut être prononcée que par un juge », mais ajoutant qu’« en pratique, la distinction entre ces deux régimes ne revêt qu’une importance relative puisque le consommateur ou les associations agréées sont tenues d’agir en justice pour obtenir la suppression des clauses abusives »).
Elle se caractérise toutefois par deux traits dominants, qui la distinguent de la nullité, même partielle : d’une part, le juge doit soulever d’office l’éviction de la clause litigieuse sans disposer de pouvoir d’appréciation (Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476 et 21-16.044) ; d’autre part, l’action en suppression échappe à la prescription (v. dans le cas des clauses abusives, Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169 : La demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’est pas soumise à la prescription quinquennale).
■ Distinction de la nullité et de la caducité
La caducité est la sanction de la disparition d’un élément essentiel à la validité du contrat, postérieurement à sa formation, en raison de la survenance d’un événement indépendant de la volonté des parties. Le contrat est donc valablement formé, mais un vice apparaît par la suite, au stade de son exécution. C’est pourquoi en principe, contrairement à la nullité qui est par essence rétroactive (art. 1178, al. 2), la caducité n’opère, quant à elle, que pour l’avenir, bien qu’elle puisse dans certains cas donner lieu à des restitutions (C. civ., art. 1187, par renvoi aux art. 1352 à 1352-9).
Cette sanction a été codifiée par l’ordonnance du 10 février 2016 : les articles 1186 et 1187 du Code civil consacrent désormais les hypothèses principales de caducité : disparition d’un élément essentiel du contrat ; cas des contrats interdépendants, qui entremêlent sans les confondre les deux sanctions (v. réc. Com. 7 mai 2025, n° 24-14.277 : en cas de contrats interdépendants, la nullité de l’un de ces contrats n’entraîne pas nécessairement la caducité des autres). Ces textes nouveaux développent également les traits essentiels de son régime juridique.
■ Distinction de la nullité et de l’opposabilité
L’inopposabilité est la sanction consistant dans l’inefficacité d’un acte à l’égard des tiers. Le contrat est valablement formé entre les parties, mais celles-ci n’ayant pas respecté les conditions nécessaires pour lui faire produire des effets à l’égard des tiers, l’acte ne leur est pas opposable. Il en résulte que contrairement à la nullité, l’inopposabilité n’a pas pour effet d’anéantir l’acte, qui demeure valable entre les parties et continue de les contraindre. L’inopposabilité a seulement pour effet de rendre l’acte inefficace pour les tiers. Il en va ainsi, par exemple, d’une vente d’immeuble qui n’a pas fait l’objet d’une mesure de publicité foncière.
Références :
■ Civ. 3e, 21 mai 2014, n° 13-16.591 : D. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki
■ Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476 et 21-16.044 : AJDI 2023. 46
■ Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169 : D. 2019. 1033, note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDP 2019, n° 04, p. 81, obs. E. Bazin ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau
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