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[ 9 novembre 2022 ] Imprimer

Droit pénal général

Point sur la Prise illégale d’intérêts

Récemment, plusieurs responsables politiques ont été mis en cause pour délit de prise illégale d’intérêts : M. Dupont Moretti, ministre de la Justice renvoyé devant la Cour de Justice de la République (CJR), M. Kolher, secrétaire général de la Présidence de la République mis en examen de chef ainsi que M. Arif, ancien ministre délégué aux Anciens combattants actuellement jugé par la même CJR. L’occasion est ainsi donnée de présenter cette infraction de prévention, véritable « bête noire » de la classe politique.

Autrefois appelée « délit d’ingérence », la prise illégale d’intérêts est aujourd’hui définie et réprimée par le Code pénal à l’article 432-12 dans les termes suivants : « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction » (C. pén., art. 432-12, al. 1er). Ces peines principales peuvent notamment s’accompagner d’une peine d’inéligibilité renforcée (C. pén., art. 432-17). Appartenant à la catégorie « des manquements au devoir de probité » (Section III, du Chapitre II du Titre III du Livre IV du Code pénal), le délit de prise illégale d’intérêts vient réprimer la partialité du fonctionnaire qui se trouve à « jouer à la fois les deux rôles incompatibles de surveillants et de surveillés ». Plusieurs conditions sont exigées par le législateur pour caractériser cette atteinte à la probité qui vise à garantir l’impartialité de l’agent public.

Il s’agit tout d’abord d’un délit de fonctions qui suppose que l’auteur soit « une personne exerçant une fonction publique ». Cette personne en activité doit appartenir à l’une des trois catégories suivantes :

- Soit « une personne dépositaire de l'autorité publique », c’est-à-dire une personne titulaire d'un pouvoir de décision et de contrainte sur les individus et les choses dont elle est investie par délégation de la puissance publique (ex : Président de la République, ministres et secrétaires d’État, préfet, inspecteur des impôts, OPJ, directeur des services techniques d'une commune).

- Soit une personne « chargée d'une mission de service public » que la jurisprudence définit comme « toute personne chargée, directement ou indirectement, d'accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, peu important qu'elle ne disposât d'aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique » (Crim., 14 juin 2000, n° 99-84.054). Cette qualité peut s’appliquer à de nombreuses personnes : dirigeant de fait d'une association pour le bien-être des personnes âgées chargée de la gestion de mesures de protection judiciaire, président d’un conseil départemental de la Croix-Rouge, journalistes pigistes d’une chaîne de télévision publique, salarié d’une CCI, etc.

Ou enfin « une personne investie d'un mandat électif public », cette dernière catégorie englobant ainsi tous les élus, à tous les échelons, du local (maire, conseiller) à l'international (député européen), en passant par le national (député, sénateur) sans oublier les personnes ayant accepté un mandat auprès de certains établissements publics.

En marge de ces trois catégories, il faut noter d’une part, la création par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 (n° 2021-1729) d’un délit de prise illégale d’intérêts par un magistrat ou toute personne exerçant des fonctions juridictionnelles (C. pén., art. 432-12-1) et d’autre part, l’existence d’une incrimination de la prise illégale d’intérêts par un ancien fonctionnaire sous l’article 432-13 du Code pénal (plus connu sous le nom de « délit de pantouflage »).

Ensuite, le comportement incriminé consiste dans le fait pour l’agent public à « prendre, recevoir ou conserver » un intérêt illicite dans une affaire dont il a la charge de la surveillance (C. pén., art. 432-12, al. 1). La prise illégale d'intérêts est une infraction formelle qui se consomme par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d'un gain ou d'un avantage personnel (Crim., 21 juin 2000, n° 99-86.871)

L’illustration classique concerne le maire, en charge de la surveillance d’une opération économique, qui participe aux délibérations du conseil municipal qui attribue des subventions à une association dont il est le président, ou bien encore qui recrute sa sœur en qualité de directrice générale des services de la commune (Crim., 4 mars 2020, n° 19-83.390). Tel est également le cas d’un parlementaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, demande une subvention, dans le cadre de la réserve parlementaire, en faveur d'une association dont il est le président (Crim., 27 juin 2018, n° 17-84.804). La prise illégale d’intérêts a pour finalité d’éviter pour l’agent public tout conflit d’intérêts entre l’intérêt général (au travers de l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité) qu’il doit privilégier et ses intérêts particuliers. L’intérêt illicite peut être soit matériel (ex : détention de parts sociales par l’agent public) ou moral (avantage affectif, politique ou amical). On ne parle d’ailleurs plus d’ « intérêt quelconque » depuis la loi du 22 décembre 2021 mais d’« un intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de l’agent public concerné ». Cette modification rédactionnelle devrait conduire les juges à une plus grande motivation sans pour autant s’accompagner d’une quelconque dépénalisation.

Enfin, la prise illégale d’intérêts est une infraction intentionnelle qui suppose chez l'auteur la conscience et la volonté de prendre un intérêt illicite dans une affaire qui est soumise à sa surveillance. En pratique, une présomption de mauvaise foi pèse sur l’agent public en raison de sa qualité professionnelle et de son expérience.

Pour finir, on précisera qu’il existe des faits justificatifs aux bénéfices des élus des petites communes. Ces « prises légales d’intérêts » qui figurent aux alinéas 2 à 5 de l'article 432-12 du Code pénal, visent à concilier l’impératif de moralisation de la vie publique avec les exigences légitimes de certains élus de terrain. Trois opérations sont autorisées par la loi pénale pour « les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués » de ces communes de 3 500 habitants au plus : le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d'un montant annuel fixé à 16 000 euros, l’acquisition d’une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou la conclusion des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement et enfin l’acquisition d’un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Ces dérogations sont strictement encadrées par le Code pénal : l’élu intéressé doit s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à l’opération et ce dernier ne peut se réunir à huis clos.

Références :

■ Crim., 14 juin 2000, n° 99-84.054 P : D. 2000. 216, et les obs. ; RTD com. 2000. 1026, obs. B. Bouloc.

■ Crim., 21 juin 2000, n° 99-86.871 P 

■ Crim., 4 mars 2020, n° 19-83.390 P : AJDA 2020. 550 ; D. 2020. 537 ; AJCT 2020. 489, obs. J. Lasserre Capdeville.

■ Crim., 27 juin 2018, n° 17-84.804 : RTD com. 2018. 1053, obs. L. Saenko.

 

Auteur :Jean-Marie Brigant, Maître de conférences en droit privé Le Mans Université


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