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[ 14 novembre 2014 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Point sur la protection des sources journalistiques

Le 14 octobre 2014, Valeurs actuelles publiait un article détaillant les méthodes d’investigation de deux journalistes du Monde dans le cadre de l’affaire « Bygmalion ». Dès le lendemain, le directeur du quotidien dénonçait une « atteinte intolérable au secret des sources » et portait plainte pour diffamation. L’occasion est ainsi donnée à Dalloz Actu Étudiant de revenir sur le dispositif actuel de protection du secret des sources journalistiques et ses perspectives d’évolution.

La protection du secret des sources journalistiques, « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » (CEDH 27 mars 1996, Goodwin c/ Royaume-Uni ; v. encore, CEDH 27 nov. 2007, Tillack c/ Belgique ; CEDH, gde ch., 14 sept. 2010, Sanoma Uitgevers B. V. c/ Pays-Bas) et « véritable attribut du droit à l’information » (CEDH 27 nov. 2007, Tillack c/ Belgique, préc., § 65 ; v. aussi, CEDH 28 juin 2012, Ressiot et a. c/ France), selon la jurisprudence européenne, est inscrite, depuis la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010, à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui proclame ainsi : « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de la mission d’information du public ».

Par-delà l’affirmation de principe, le texte apporte quelques précisions sur :

– les conditions de légitimation d’une atteinte au secret des sources : « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources » (L. 1881, art. 2, al. 3), 

– ce qu’il faut entendre par une atteinte indirecte au secret des sources : « Est considérée comme une atteinte indirecte au secret des sources (…) le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources » (L. 1881, art. 2, al. 4) ;

– les conditions d’appréciation de la nécessité des mesures attentatoires au secret des sources dans le cadre d’une procédure pénale : « Au cours d’une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité » (L. 1881, art. 2, al. 5).

On ajoutera que le Code de procédure pénale prévoit, depuis 1993, que « tout journaliste entendu comme témoin sur des information recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine », et que des dispositions spécifiques, remaniées par la loi du 4 janvier 2010 précitée, encadrent les perquisitions menées dans les locaux d’une entreprise de presse ou au domicile d’un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle (C. pr. pén., art. 56-2).

Voilà pour l’arsenal législatif existant, qui a notamment permis la censure de réquisitions visant à des investigations sur des lignes téléphoniques de journalistes (Crim. 6 déc. 2011, affaire dite des « Fadettes du Monde ») ou l’annulation d’une perquisition pratiquée au domicile d’un journaliste constitutive d’une atteinte au secret des sources (Crim. 25 févr. 2014). Plus récemment encore, par un arrêt du 27 juin 2014, la cour d’appel de Paris a annulé les actes d’une commission rogatoire qui visait à identifier la source de journalistes, en précisant que cette atteinte au secret des sources « fai(sai)t nécessairement grief aux requérants, directeur de la publication et journalistes » (Paris, pôle 7, 4e ch. instr., 27 juin 2014).

Dans un futur plus ou moins proche, cet arsenal législatif devrait être renforcé. En tout cas, c’était le sens du projet de loi renforçant la protection du secret des sources, présenté par Christiane Taubira en juin 2013. Ce texte propose, notamment, un meilleur encadrement des atteintes au secret des sources en prévoyant la compétence du juge des libertés et de la détention et en limitant ces atteintes à la prévention ou la répression soit de crimes soit de délits constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation. Ce projet est néanmoins toujours en attente d’examen par l’Assemblée nationale …

 

Références

■ CEDH 27 mars 1996, Goodwin c/ Royaume-Uni, req. no 17488/90, Rec. CEDH p. 1996-II, § 39 ; Sudre et aliiLes grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 5e éd., PUF, 2009, coll. « Thémis-droit », p. 617 s.

■ CEDH 27 nov. 2007, Tillack c/ Belgique, req. no 20477/05.

■ CEDH, gde ch., 14 sept. 2010, Sanoma Uitgevers B. V. c./Pays-Bas, req. no 38224/03, Dalloz actualité, 12 oct. 2010.

 CEDH 28 juin 2012, Ressiot et a. c/ France, nos 15054/07 et 15066/07, § 124, Dalloz actualité, 13 juill. 2012 ; AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2012. 2282, et les obs., note E. Dreyer ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize ; RSC 2012. 603, obs. J. Francillon.

■ Crim. 6 déc. 2011, affaire dite des « Fadettes du Monde », no 11-83.970, Bull. crim. no 248, Dalloz actualité, 20 déc. 2011 ; D. 2012. Pan. 765, obs. E. Dreyer ; RSC 2012. 191, obs. J. Danet Dr. pénal 2012. Chron. 5, obs. O. Mouysset ; Procédures 2012, n° 47, obs. A.-S. Chavent-Leclère

 Crim. 25 févr. 2014, no 13-84.761Dalloz actualité, 5 mars 2014.

■ Paris, pôle 7, 4e ch. instr., 27 juin 2014, RG n°2013/09406, Dalloz actualité, 25 sept. 2014.

■ Rép. pén. Dalloz, V° « Secret professionnel », par B. Py, n° 31.

 Projet de loi renforçant la protection du secret des sourcesDalloz actualité, 21 mai 2013.

■ Loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes.

 Article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

« Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public.

Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public.

Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources. 

Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources. 

Au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. »

■ Article 56-2 du Code de procédure pénale

« Les perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse, d'une entreprise de communication audiovisuelle, d'une entreprise de communication au public en ligne, d'une agence de presse, dans les véhicules professionnels de ces entreprises ou agences ou au domicile d'un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat.

Ces perquisitions sont réalisées sur décision écrite et motivée du magistrat qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, ainsi que les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance de la personne présente en application de l'article 57.

Le magistrat et la personne présente en application de l'article 57 ont seuls le droit de prendre connaissance des documents ou des objets découverts lors de la perquisition préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans cette décision.

Ces dispositions sont édictées à peine de nullité.

Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne portent pas atteinte au secret des sources en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l'information.

La personne présente lors de la perquisition en application de l'article 57 du présent code peut s'opposer à la saisie d'un document ou de tout objet si elle estime que cette saisie serait irrégulière au regard de l'alinéa précédent. Le document ou l'objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections de la personne, qui n'est pas joint au dossier de la procédure. Si d'autres documents ou objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l'article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l'objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l'original ou une copie du dossier de la procédure.

Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours.

A cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que la personne en présence de qui la perquisition a été effectuée. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes. Si le journaliste au domicile duquel la perquisition a été réalisée n'était pas présent lorsque celle-ci a été effectuée, notamment s'il a été fait application du deuxième alinéa de l'article 57, le journaliste peut se présenter devant le juge des libertés et de la détention pour être entendu par ce magistrat et assister, si elle a lieu, à l'ouverture du scellé.

S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir le document ou l'objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure.

Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction. »

 

Auteur :Sabrina Lavric

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