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Droit européen et de l'Union européenne
Point sur la répartition des compétences dans le cadre de la procédure en manquement
Mots-clefs : Procédure en manquement, Cour de justice, Commission, Compétences, Répartition
Un arrêt récemment rendu par la Cour de justice concernant une décision de la Commission à l’encontre du Portugal (CJUE 15 janv. 2014, Commission c. Portugal) constitue l’occasion de faire le point sur la répartition des compétences entre la Commission européenne et la Cour de justice concernant la procédure en manquement.
Dans cette affaire, la Commission avait unilatéralement décidé que le Portugal ne s’était pas conformé à un arrêt de la Cour de justice et qu’ainsi le manquement perdurait. Cette décision avait entraîné une pénalité financière plus lourde pour le Portugal. Cet État a alors contesté cette décision de la Commission pour défaut de compétence. La Cour de justice a effectivement jugé que la Commission n’avait pas la compétence pour constater un manquement, cette compétence appartenant exclusivement à la Cour de justice au terme d’une procédure complexe.
La procédure en manquement est prévue aux articles 258, 259 et 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La finalité de cette procédure est d’obliger, le plus rapidement possible, l’État à respecter ses engagements à l’égard de l’Union.
Cette procédure n’a pas d’équivalent en droit français.
Ce recours est réservé à la Commission et aux États membres. Les particuliers en sont exclus.
Le recours en manquement est la voie de droit par laquelle la Cour de justice constate la violation par l’État, par action ou par omission, de ses obligations à l’égard du droit de l’Union.
Cette procédure comprend deux phases distinctes :
– une phase administrative menée par la Commission ;
– une phase juridictionnelle, menée par la Cour de justice.
Ces deux phases peuvent se dérouler successivement à deux reprises en cas de refus de l’État de se mettre en conformité avec le droit de l’Union afin d’obtenir des sanctions financières.
▪ La phase administrative
La phase administrative est à l’initiative de la Commission (TFUE, art. 258) ou d’un État membre (TFUE, art. 259). L’hypothèse d’une initiative provenant d’un État membre est rare, sans doute par peur de représailles, mais elle existe (CJUE 16 oct. 2012, Hongrie c. Slovaquie).
Quel que soit l’auteur de l’initiative, la Commission conduit toujours cette phase qui se déroule en deux temps (article 258 TFUE), le rythme de cette phase relevant du pouvoir discrétionnaire de la Commission :
– dans un premier temps, la Commission adresse une mise en demeure à l’État membre soupçonné de ne pas respecter ses obligations. La Commission prévoit alors un délai pendant lequel l’État peut répondre ;
– dans un second temps, si la Commission n’est pas satisfaite de la réponse et qu’elle estime que le manquement existe réellement, elle adopte un avis motivé. Cet avis impose un délai qui doit permettre à l’État membre de prendre les mesures nécessaires.
▪ La phase juridictionnelle (TFUE, art. 258)
En l’absence de réaction suffisante de l’État membre selon la Commission par rapport aux griefs formulés dans l’avis motivé, la Commission peut saisir la Cour de justice. C’est une simple faculté, et non une obligation.
Le but de cette saisine est que la Cour constate l’existence d’un manque à toute obligation du droit de l’Union, c’est-à-dire manquement à un traité, à la Charte des droits fondamentaux, à une directive, à un règlement, à une décision, à une jurisprudence de la Cour.
Il appartient à la Commission d’apporter la preuve du manquement.
Dans sa décision, la Cour peut alors constater ou non le manquement. Si la Cour constate le manquement, il s’agit d’un arrêt déclaratoire. En effet, la Cour ne fait que constater, elle ne peut pas annuler un texte national, elle ne peut pas adopter une injonction. L’exécution de l’arrêt dépend de la bonne volonté de l’État membre. Aucun recours d’un tiers n’est ouvert pour obliger l’État à agir, seule la Commission peut envisager une nouvelle procédure pour demander à la Cour de prononcer des sanctions financières qui s’avèrent réellement contraignantes.
▪ La demande d’une sanction financière par la Commission (TFUE, art. 260, § 3)
En cas d’inexécution insuffisante de l’arrêt en déclaration de manquement dans un délai raisonnable, la Commission peut ouvrir une nouvelle procédure, reprenant les phases administrative et juridictionnelle.
La phase administrative est cette fois plus courte depuis le traité de Lisbonne, puisque la Commission doit seulement prendre une mise en demeure, l’avis motivé n’est plus exigé.
Si l’État n’agit pas davantage, la Commission peut saisir une seconde fois la Cour afin de demander la condamnation de l’État à des sanctions financières à une astreinte et à une somme forfaitaire. L’article 260 TFUE stipule que l’État peut être condamné à une astreinte ou à une somme forfaitaire, mais la Cour a eu une interprétation plus contraignante en reconnaissant la possibilité de cumuler les deux sanctions (CJCE 12 juin 2005, Commission c. France).
Pour la Cour, l’astreinte est destinée à obliger l’État à se conformer à ses obligations le plus rapidement possibles. La somme forfaitaire correspond à une amende et à un objet dissuasif.
La Commission propose chaque fois le montant mais la Cour de justice n’est pas tenue par la demande et le montant. Le pouvoir d’appréciation du juge joue ainsi pleinement, notamment la Cour s’appuie sur des circonstances aggravantes (durée de l’infraction, gravité) et des circonstances atténuantes (première violation, influence faible sur le marché intérieur). Ces sanctions donnent lieu au prononcé d’un nouvel arrêt.
La détermination finale de l’astreinte dépend d’une décision de la Commission qui calcule le temps pendant lequel l’État ne s’est pas conformé à l’arrêt instituant à l’astreinte.
Dès lors que l’État a pris les mesures qui apparaissent nécessaires, il n’est pas de la compétence de la Commission d’évaluer la comptabilité des mesures adoptées. Si la Commission a un doute sur la conformité des mesures, elle doit ouvrir une nouvelle procédure.
Seule la Cour est habilitée à constater un manquement après une procédure contradictoire. La procédure devant la Cour est en effet instituée afin de garantir les droits de la défense de l’État et une décision intervenant d’une institution impartiale et indépendante.
Références
■ CJUE 15 janv. 2014, Commission c. Portugal, C-292/11P, Dalloz actualité, 4 févr. 2014.
■ CJUE 16 oct. 2012, Hongrie c. Slovaquie, C-364/10.
■ CJCE 12 juin 2005, Commission c. France, C-304/02.
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 258 (ex-article 226 TCE)
« Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations.
Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne. »
Article 259 (ex-article 227 TCE)
« Chacun des États membres peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne s'il estime qu'un autre État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités.
Avant qu'un État membre n'introduise, contre un autre État membre, un recours fondé sur une prétendue violation des obligations qui lui incombent en vertu des traités, il doit en saisir la Commission. La Commission émet un avis motivé après que les États intéressés ont été mis en mesure de présenter contradictoirement leurs observations écrites et orales. Si la Commission n'a pas émis l'avis dans un délai de trois mois à compter de la demande, l'absence d'avis ne fait pas obstacle à la saisine de la Cour. »
Article 260 (ex-article 228 TCE)
« 1. Si la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour.
2. Si la Commission estime que l'État membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour, elle peut saisir la Cour, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Elle indique le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'État membre concerné qu'elle estime adapté aux circonstances.
Si la Cour reconnaît que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte.
Cette procédure est sans préjudice de l'article 259.
3. Lorsque la Commission saisit la Cour d'un recours en vertu de l'article 258, estimant que l'État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer des mesures de transposition d'une directive adoptée conformément à une procédure législative, elle peut, lorsqu'elle le considère approprié, indiquer le montant d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte à payer par cet État, qu'elle estime adapté aux circonstances. Si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l'État membre concerné le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission. L'obligation de paiement prend effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt. »
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