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[ 18 mai 2012 ] Imprimer

Droit pénal général

Point sur la responsabilité pénale des personnes morales

Le principe de la responsabilité pénale des personnes morales a été introduit en 1994. Depuis lors, une jurisprudence pertinente ne cesse de croître en la matière. Dalloz Actu Étudiant revient sur les règles qui régissent celle-ci.

L'article 121-2 du Code pénal, modifié par la loi du 9 mars 2004, prévoit que « les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

On rappellera d’abord le champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales, puis les conditions d’engagements de cette responsabilité.

I. Le champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales

■ Les personnes morales soumises à l’article 121-2 du Code pénal

Tout en affirmant le principe de responsabilité des personnes morales, la loi exclut :

– l’État qui assure la protection des intérêts généraux et qui a la charge de poursuivre et punir les délinquants ;

– le groupement et la société en formation en raison de l'absence de personnalité morale ;

– en cas de fusion absorption, emportant dissolution sans liquidation, la société absorbante, n'ayant pas commis l'infraction, ne peut pas être poursuivie et condamnée, au lieu et place de la société absorbée, car « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait » (Crim. 20 juin 2000).

La responsabilité pénale des personnes morales est ainsi prévue pour :

– les personnes morales de droit privé ayant la personnalité morale qu’elles aient pour but la recherche de profits ou non (sociétés civiles ou commerciales, groupement d'intérêt économique, associations, syndicats, fondations, partis politiques, institutions représentatives du personnel) ;

– les personnes morales de droit public : elles ne sont pas exclues du domaine d’application de la loi toutefois leur responsabilité est soumise à une condition. En effet, les établissements publics, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables que pour les infractions commises dans l'exercice des activités susceptibles de faire l'objet de délégation de service public (ex : l’exploitation d’un théâtre, Crim. 3 avr. 2002).

Peu importe la nationalité de la société : une société étrangère peut être pénalement responsable, si elle a accompli une infraction en France ou relevant de la compétence législative du droit français, à condition d’être dotée de la personnalité juridique.

■ Les infractions concernées

En 1994, le législateur avait posé une limite quant aux infractions susceptibles d’être imputées à une personne morale. Il s’agissait du principe de spécialité, selon lequel une personne morale ne pouvait être pénalement responsable que « dans les cas prévus par la loi ou le règlement » (ex : Crim. 18 avr. 2000). La loi du 9 mars 2004 a supprimé le principe de spécialité à compter du 31 décembre 2005. Désormais, les personnes morales sont responsables de plein droit de l’ensemble des infractions sauf si le législateur exclut expressément cette responsabilité.

En outre une personne morale peut se voir reprocher une infraction consommée ou une infraction tentée, elle peut également être auteur ou complice soit par aide ou assistance, soit par provocation.

II. Les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales

Selon l’article 121-2 du Code pénal, les personnes morales sont responsables des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants.

■ Les personnes morales ne sont responsables que par l’intermédiaire de leurs organes ou représentants

La personne morale n’est pénalement responsable que si les agissements fautifs peuvent être imputés à ses organes ou ses représentants qui sont nécessairement des personnes physiques (Crim. 18 janv. 2000). Les personnes susceptibles d’engager la personne morale sont celles qui exercent certaines fonctions de direction ou d’administration, de gestion ou de contrôle. Il s’agit également de toute personne titulaire d'une délégation de pouvoirs, pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exécution de sa mission (Crim. 30 mai 2000).

Le texte de l'article 121-2 du Code pénal impose que l’infraction ait été commise par une personne physique, afin de rendre responsable la personne morale pour le compte de laquelle les faits ont été réalisés.  L'implication d'une personne physique suppose une identification minimale de cette dernière. Toutefois, la Cour de cassation a admis, depuis 2006, « qu’il n’était pas indispensable d’identifier la personne physique quand l’infraction ne pouvait qu’être imputable à la personne morale ou que résulter de la politique commerciale de la société » (Crim. 20 juin 2006). Elle a ainsi créé une présomption de commission de l'infraction par un organe ou représentant.

Toutefois la Cour de cassation consciente « du dévoiement légale s’opérant de son propre fait », rappelle à l’occasion d’une QPC (non transmise pour absence de faits nouveaux), que « la responsabilité pénale des personnes morales ne peut être engagée que du seul fait d'infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants » (Crim. 27 avr. 2011).

Dans un arrêt encore plus récent où une société a été reconnue coupable des délits de blessures involontaires par personne morale dans le cadre du travail et d’embauche de travailleur sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité , la Cour de cassation est donc revenue sur sa position traditionnelle et a cassé cet arrêt estimant que la cour d’appel n’avait pas établi si les manquements relevés résultaient de l’abstention d’un des organes ou représentants de la société, et s’ils avaient été commis pour le compte de cette société, au sens de l’article 121-2 du Code pénal (Crim. 11 avr. 2012).

La responsabilité des personnes morales s’apparente ainsi à une responsabilité par ricochet. La Cour de cassation énonce que la faute pénale de l'organe ou du représentant suffit à engager la responsabilité pénale de la personne morale, lorsqu'elle a été commise pour le compte de celle-ci, sans que doive être établie une faute distincte à la charge de ladite personne morale. Ainsi s’inspirant de cette jurisprudence, la doctrine a considéré que la responsabilité pénale de la personne morale est une responsabilité indirecte ou par « ricochet » (v. J.-H. Robert). Néanmoins, ce principe connaît un tempérament depuis la loi du 10 juillet 2000. L'objet de cette loi est de redéfinir les contours de la responsabilité pénale en matière d'infractions non intentionnelles afin d'assurer un meilleur équilibre entre le risque d'une pénalisation excessive de la société et celui d'une déresponsabilisation des acteurs sociaux. Cette réforme opère une distinction entre les fautes ayant causé directement un dommage et celles qui n’ont qu’un lien de causalité indirect avec le dommage en matière de délits non intentionnels. Est maintenu le principe d’une responsabilité pénale quelle que soit la gravité de la faute, lorsque le lien entre celle-ci et le dommage est direct. En revanche, lorsque le lien entre la faute et le dommage est indirect seule une faute caractérisée ou la violation délibérée de règles de sécurité justifie la mise en cause de la responsabilité pénale. Dans sa démarche, le législateur cherche à épargner les individus, non à restreindre globalement le champ de la responsabilité pénale. Ces dispositions spéciales ne s’appliquent qu’aux personnes physiques et non aux personnes morales.

La Cour de cassation par un arrêt en date du 24 octobre 2000 a décidé de ne pas étendre l'atténuation de responsabilité aux personnes morales, qui, au contraire, « servent de contrepoids à l'allégement ainsi opéré, permettant de compenser ce qui est désormais en dehors du champ de la répression pour les personnes physiques ». En effet la personne morale peut être tenue pénalement responsable même si aucune faute ne peut-être imputée à une personne physique auteur indirect. Par conséquent la responsabilité pénale de la personne morale est donc autonome de celle des personnes physiques. Toutefois cette solution ne s’applique qu’en matière de délits non intentionnelle (Crim. 24 oct. 2000).

■ Les personnes morales ne sont responsables que des infractions commises pour « leur compte »

Pour engager la responsabilité pénale de la personne morale, il faut non seulement que les organes et représentants de la personne morale commettent des agissements délictueux mais encore que ces agissements aient été commis pour le compte de la personne morale, c’est-à-dire dans son intérêt (Crim.7 juill. 1998). Toutefois, la responsabilité pénale de la personne morale pourra également être engagée lorsque les actes répréhensibles de l’organe ou du représentant auront été commis dans l’exercice d’activités ayant pour objet d’assurer l’organisation et le fonctionnement de la personne morale.

Une appréciation extensive de cette notion de « pour le compte » permet ainsi d’engager la responsabilité de la personne morale non seulement pour des infractions volontaires à but non lucratif comme l’infraction de discrimination dans l’embauche (art. 225-1 et 225-2 C. pén.) mais aussi pour des infractions d’imprudence ou de négligence.<s></s>

■ La question du cumul des poursuites

L’article 121-2 alinéa 3 du Code pénal précise que « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques, auteurs ou complices des faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 ». Cette possibilité de cumul existe pour éviter une complète absorption de la responsabilité pénale des personnes physiques par les personnes morales. Ce cumul des poursuites aurait mérité des précisions, mais le législateur a laissé le soin aux tribunaux de se déterminer selon les circonstances de l’espèce.

Références

■ Code pénal

Article 121-2

« Les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. 

Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public. 

La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3.

Article 121-3

« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. 

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui. 

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. 

Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. 

Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. »

Article 121-4

« Est auteur de l'infraction la personne qui : 

1° Commet les faits incriminés ; 

2° Tente de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit. »

Article 121-5

« La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. »

Article 121-6

« Sera puni comme auteur le complice de l'infraction, au sens de l’article 121-7. »

Article 121-7

« Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. 

Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. »

Article 225-1

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. 

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales. »

Article 225-2

« La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 Euros d'amende lorsqu'elle consiste : 

1° À refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ; 

2° À entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ; 

3° À refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; 

4° À subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 

5° À subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 

6° À refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. 

Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros d'amende. »

■ Crim. 20 juin 2000, n° 99-86.742, D. 2001. 853, obs. Matsopoulou.

■ Crim. 3 avr. 2002, n°01-83.160.

 Crim. 18 avr. 2000, n° 99-85.183.

■ Crim. 18 janv. 2000, n° 99-80.318.

■ Crim. 30 mai 2000, n° 99-84.212.

■ Crim. 20 juin 2006, n°05-85.255.

■ Crim. 27 avr. 2011, n° 11-90.013 QPC, AJ pénal 2011. 589, obs. J. Gallois.

■ Crim. 11 avr. 2012, n°10-86.974.

■ Crim. 24 oct. 2000, n°00-80.378.

■ Crim. 7 juill. 1998, n°97-81.273.

■ J.-H. Robert, Droit pénal général, 6e éd., PUF, coll. « Thémis », 2005, p. 376.

 

Auteur :Y. D.


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