Actualité > À la une

À la une

[ 21 octobre 2024 ] Imprimer

Introduction au droit

Point sur la sanction de la règle de droit

Fondée sur la primauté du système juridique étatique, la sanction de la règle de droit par l’autorité publique est très généralement présentée comme la marque de celle-ci, son élément caractéristique. Alors que toute règle de conduite, même non juridique, est générale, impersonnelle, obligatoire et susceptible de sanctions, seule la règle de droit fait l’objet, pour sanctionner sa violation, d’une coercition étatique : la sanction est déterminée et infligée par l’autorité publique. 

Cette conception classique, associant le droit à l’État et à un ordre de contrainte (H. Kelsen, Théorie générale du droit de l’État, 1945, LGDJ, 1997), doit toutefois être relativisée : soustraites à cette contrainte étatique, certaines règles de droit obligent en effet à questionner la pertinence de ce critère dont la portée doit être tempérée.

■ La sanction étatique, critère classique de la règle de droit – Il est fréquent de présenter la sanction comme l’élément caractéristique de la règle de droit. La distinguant des autres règles de conduite sociale, la règle juridique serait d’abord celle susceptible d’être sanctionnée. Cependant, nul n’ignore que le principe d’une sanction n’est pas propre à la règle de droit ; des règles non juridiques sont également assorties de sanctions (règles de bienséance, règles morales, etc.). C’est la raison pour laquelle il est plus exact de présenter la règle de droit comme celle étant assortie d’une sanction étatique. 

En effet, quelle que soit la sanction prévue à la violation de la règle de droit (exécution forcée ; réparation ; punition. - Sur ce point, v. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, 10e éd., n° 33), cette sanction est toujours garantie, in fine, par la force publique. C’est à l’effet d’assurer la primauté du Droit que l’État se voit en principe reconnaître le monopole de la violence légale : soumis au Droit, l’État ne recourt à la contrainte que pour en garantir le respect. En arrière-plan des règles du droit objectif existe ainsi la possibilité de recourir à la contrainte étatique, et celle-ci sert généralement à caractériser la règle de droit. Précisions par ailleurs que son caractère coercitif connaît une double déclinaison : une contrainte matérielle (contrainte sur les biens, en droit civil) ; une contrainte corporelle (emprisonnement, en droit pénal).

Ce recours à la contrainte étatique, et donc le recours à la violence légitime de l’État, serait donc l’élément distinctif de la règle de droit. Le droit ne serait du droit ou du moins, le droit ne serait effectif qu’à la condition de s’inscrire dans un contexte étatique susceptible de sanctionner sa violation. Et ce cadre étatique revêt un caractère contraignant, aucun ne pouvant librement s’y soustraire. 

Pour l’essentiel exacte, cette présentation est toutefois imprécise et partielle.

■ La sanction étatique, critère relatif de la règle de droit – Si l’origine étatique de la sanction confère à la règle de droit son caractère spécifique, cela semble signifier qu’il ne peut exister de droit sans État, et donc sans contrainte, ce qui n’est pas tout à fait exact. Il est vrai que la règle de droit est très généralement assortie d’une sanction étatique mais dans certains cas, correspondant à l’existence d’un droit sans État (droit canon, droit international public, droit du sport) et sans contrainte (la soft law, « droit non sanctionné », v. P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, 4e éd., n°30 s.), ce critère prétendument décisif de la règle juridique que serait la contrainte étatique n’est pas satisfait. Il convient donc d’interroger ce critère tiré de la sanction étatique de la règle de droit.

Certes, en Occident, et notamment en France, le droit est depuis plusieurs siècles associé à l’État, auquel s’adosse en principe l’ensemble des règles juridiques. L’existence d’un droit sans État et/ou sans contrainte est néanmoins observable. Doit-on pourtant les exclure du champ juridique ?  La réponse nous semble devoir être négative. Le droit ne suppose pas nécessairement une contrainte étatique, quoique celle-ci soit la plus fréquente ; en revanche, elle suppose, en tous cas, une contrainte institutionnelle susceptible d’être exercée par des instances et organismes, même non étatiques, détenant un pouvoir de sanction (ONU, fédérations sportives, autorités de régulation). Ainsi demeurent juridiques les règles sanctionnées autrement que par le pouvoir coercitif de l’État. 

Par ailleurs, si le critère de la contrainte reste déterminant pour définir le droit, ce critère pourrait être complété par un critère complémentaire : le recours au juge. Encore peu reconnu en France, ce critère d’origine anglo-américaine définit essentiellement la règle de droit comme celle susceptible d’être mise en œuvre par un juge. Selon cette approche, la règle juridique ne serait pas seulement une règle sanctionnée, elle serait tout autant une règle médiatisée : la règle de droit passe par une médiation humaine, permise par l’existence de ce tiers impartial qu’est le juge, chargé de sa mise en application. À la faveur du litige, le juge, par son pouvoir de dire le droit, va statuer sur la règle et contribuer, par sa mise en œuvre empirique, à en préciser le sens, le « sens » (de la règle) devant alors être entendu dans les deux acceptions du terme : sa signification, d’une part, et sa direction, d’autre part, en ce sens que le juge va déterminer le résultat auquel conduit l’application de la règle en cas de conflit. Sous cet angle, la règle de droit doit être vue comme celle qui suppose, ou permet, l’intervention d’un juge chargé de sa mise en application. Plus large que celui tiré de la contrainte étatique, ce critère permet ainsi d’expliquer que puissent être qualifiées de juridiques l’ensemble des règles, même non étatiques, susceptibles d’être soumises à un juge qui contribuera, par leur mise en œuvre concrète, à en affiner le sens et à en garantir l’effectivité (v. par ex. pour le droit souple, CE, ass., 21 mars 2016, n° 368082 et 24 mars 2021, n° 431786).

Références : 

■ CE, ass., 21 mars 2016, n° 368082 : AJDA 2016. 572 ; ibid. 717, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 715, obs. M.-C. de Montecler ; AJCA 2016. 302, obs. S. Pelé ; Rev. sociétés 2016. 608, note O. Dexant - de Bailliencourt ; RFDA 2016. 497, concl. S. von Coester ; RTD civ. 2016. 571, obs. P. Deumier ; RTD com. 2016. 298, obs. N. Rontchevsky ; ibid. 711, obs. F. Lombard

■ CE, 24 mars 2021, n° 431786

 

Auteur :Merryl Hervieu

Autres À la une


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr