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Droit des obligations
Point sur la stipulation pour autrui
La stipulation pour autrui consiste dans l’opération par laquelle l’un des contractants (le stipulant) demande à son cocontractant (le promettant) d’exécuter une prestation à l’égard d’un tiers (le bénéficiaire), lequel n’est pas partie au contrat. C’est par exemple le cas de l’assurance-vie : un individu (le stipulant) contracte avec un assureur (le promettant) afin qu’à son décès, un capital soit versé à ses enfants (tiers bénéficiaires).
Cette opération constitue une véritable exception à l’effet relatif du contrat, puisque le tiers devient créancier du promettant sans avoir la qualité de partie au contrat. À l’origine cantonnée à des hypothèses restreintes, cette technique contractuelle a connu un essor important, principalement lié au recours croissant aux assurances sur la vie, dont elle constitue le support. En réponse à cet essor, la jurisprudence a bâti un régime propre à la stipulation pour autrui, que l’ordonnance du 10 février 2016 a codifié (C. civ., art. 1205 s.). Exhaustives, les nouvelles dispositions consacrées à la stipulation pour autrui en précisent à la fois les conditions et les effets (Pour un exposé complet, v. Stéphanie Porchy-Simon, Droit des obligations, Dalloz, 16 e éd., n° 408 s.).
Conditions de la stipulation pour autrui
→ Rapport juridique préalable entre stipulant et promettant
La stipulation pour autrui ne peut exister par elle-même. Elle doit nécessairement se greffer sur une convention préexistante. Si la nature du contrat est indifférente (assurance, donation, etc.), sa conformité aux conditions de validité prévues par le droit commun des contrats est en revanche exigée : le contrat initial doit être valablement formé puisque les droits du tiers bénéficiaire naissent de cette convention originaire.
→ Stipulation expresse du contrat
La stipulation pour autrui résulte en principe d’une clause expresse du contrat originaire. Une jurisprudence ancienne avait toutefois admis des stipulations pour autrui tacites, par exemple dans le cadre du contrat de transport, pour lequel certains juges avaient considéré que le contrat comprenait une stipulation tacite transmettant aux héritiers l’action en responsabilité dont la victime décédée disposait à l’égard du transporteur (Civ. 6 déc. 1932, GAJC, vol.2, n°278). Non sans un certain artifice, cette analyse permettait l’indemnisation des victimes indirectes qui, par ce biais, pouvaient bénéficier de l’obligation de sécurité reconnue au contractant dans le contrat principal. Elle apparaissait toutefois en nette régression dans la jurisprudence récente et antérieure à la réforme, celle-ci préférant recourir à d’autres méthodes pour faire bénéficier les tiers victimes du contenu obligationnel du contrat, comme l’abandon de la relativité de la faute contractuelle. Le caractère exprès de la stipulation pour autrui reste donc une condition nécessaire à la validité de la stipulation, ce qui se comprend au regard de l’exception que celle-ci apporte au principe de la relativité contractuelle : il convient donc de restreindre le champ d’application de ce mécanisme dérogatoire aux seules stipulations expressément prévues par les parties.
→ Stipulation faite au profit d’un tiers
Les termes de l’ancien article 1121 du Code civil, qui visaient une stipulation faite « au profit d’un tiers », étaient traditionnellement interprétés comme ne reconnaissant l’existence d’une stipulation pour autrui que dans les cas où la stipulation fait naître un droit de créance à son bénéfice. Cette technique était en revanche exclue à l’égard d’une dette. Cette solution traditionnelle avait toutefois connu une inflexion à la suite d’une décision de la Cour de cassation du 8 décembre 1987, selon laquelle « la stipulation pour autrui n’exclut pas, dans le cas d’une acceptation par le bénéficiaire, qu’il soit tenu de certaines obligations » (Civ. 1re, 8 déc. 1987, n° 85-11.769). L’interprétation de cet arrêt est demeurée controversée : certains y ont vu une dérogation directe à l’ancien article 1121, quand d’autres l’ont interprété de manière plus nuancée, observant qu’une dette pouvait être mise à la charge du tiers à la condition que ce dernier l’ait acceptée. La stipulation pour autrui ne pourrait donc, en elle-même, donner naissance qu’à un seul droit de créance, mais par exception, le consentement du bénéficiaire permettrait de mettre à sa charge une obligation. Cette solution semble corroborée par le l’article 1205, al. 2, du Code civil, qui définit la stipulation pour autrui comme l’opération par laquelle le promettant s’engage à accomplir une prestation au profit d’un tiers.
→ Désignation du tiers bénéficiaire
La désignation du bénéficiaire n’est pas une condition de validité de la stipulation pour autrui. À défaut, les sommes retournent simplement dans le patrimoine du stipulant. Cette désignation conditionne toutefois l’exécution de la stipulation au profit du tiers.
Le tiers bénéficiaire est librement choisi par le stipulant. S’il ne doit pas nécessairement être désigné nominativement, il est toutefois requis, a minima, de le rendre déterminable par des critères de reconnaissance : par exemple, la désignation des enfants ou du conjoint du stipulant, sans plus de précision, est valable.
Le bénéfice de la stipulation est alors attribué à la personne ayant la qualité de bénéficiaire lors de l’exécution. Toutefois, le stipulant peut choisir une personne future, par exemple un enfant à naître, dès lors que celui-ci aura été au moins conçu lors de l’exécution.
Une fois désigné, le bénéficiaire peut aussi bien accepter que refuser le bénéfice de la stipulation. L’acceptation est libre dans sa forme mais doit être faite au plus tard au jour de l’exécution de la stipulation. Le tiers a toutefois intérêt à accepter au jour de sa désignation car le stipulant ne peut plus, à compter de cette date, procéder à sa révocation.
Ces solutions, essentiellement dégagées par la jurisprudence antérieure à la réforme, sont désormais codifiées aux articles 1205 s. du Code civil.
Effets de la stipulation pour autrui
→ Effets dans les rapports stipulant / promettant
Les rapports entre le stipulant et le promettant sont identiques à ceux résultant de toute convention, puisqu’ils sont parties au même contrat. Chacun doit donc exécuter ses obligations conformément à ce qui est stipulé dans l’acte. La seule particularité est que le promettant exécute sa prestation non pas au profit de son cocontractant mais du tiers bénéficiaire (jurispr. constante confirmée par C. civ., art. 1205, al. 2).
En cas d’inexécution de ses obligations par le promettant, le stipulant peut intenter contre lui toutes les actions offertes par le droit commun : exécution forcée, responsabilité, résolution, etc. La solution s’impose bien que le stipulant ne subisse pas directement les effets de l’inexécution, car le promettant s’est aussi et d’abord engagé à son égard (C. civ., art. 1209).
→ Effets dans les rapports promettant / tiers bénéficiaire
Droits directs du bénéficiaire contre le promettant. Le particularisme de la stipulation pour autrui réside dans l’obligation du promettant d’exécuter la prestation promise au contrat directement au profit du tiers bénéficiaire. Ce dernier bénéficie donc d’un droit direct contre le promettant qui n’exécute pas sa promesse, sans avoir à passer par l’intermédiaire du stipulant (C. civ., art. 1206, al. 1). Ainsi le bénéficiaire d’une assurance sur la vie peut-il intenter directement une action en exécution forcée contre l’assureur. Bien que n’étant pas partie au contrat, il est en effet son créancier. Le tiers ne peut cependant exercer une action en résolution du contrat, qui n’appartient qu’au stipulant.
L’existence de ce droit direct explique que les créanciers du stipulant n’aient aucun droit sur les sommes dues au bénéficiaire. En effet, dès le jour de la stipulation, cette créance ne figure plus dans le patrimoine du stipulant : elle est directement acquise par le bénéficiaire. Ses droits ne peuvent donc plus être affectés par l’éventuelle dégradation de la situation financière du stipulant.
Moyens de défense du promettant. En exécutant sa prestation à l’égard du tiers bénéficiaire, le promettant exécute l’obligation née du contrat qui le lie au stipulant. Les droits du bénéficiaire dépendent donc de la validité et de l’efficacité de cette convention. Par conséquent, le promettant peut lui opposer toutes les exceptions nées du contrat principal : si par exemple, cet acte est entaché d’une cause de nullité, le promettant pourra soulever ce moyen de défense pour refuser d’exécuter son obligation à l’égard du tiers bénéficiaire.
→ Effets dans les rapports tiers bénéficiaire / stipulant
Alors qu’ils sont la raison d’être de la stipulation pour autrui, les rapports entre le stipulant et le tiers bénéficiaire ont longtemps été ignorés par le Code civil, faute pour le tiers bénéficiaire d’être le créancier du stipulant. L’ordonnance du 10 février 2016 a quelque peu modifié les choses en introduisant dans le Code civil des règles relatives à la révocation de la stipulation pour autrui, qui prive donc le bénéficiaire des droits qui en découlent. Ainsi, selon l’article 1207, cette révocation, dont le texte aménage par ailleurs les modalités pratiques, ne peut émaner que du stipulant ou, après son décès, de ses héritiers. Cette révocation produit alors un effet rétroactif, le tiers étant « censé n’avoir jamais bénéficié de la stipulation faite à son profit » (C. civ., art. 1207, al. 5).
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