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Droit des obligations
Point sur le prix du contrat
La détermination du prix du contrat fait souvent l’objet de vifs débats entre les cocontractants. Voici un point sur sa détermination et sa validité.
Détermination de la prestation du contrat - Pour que le contrat soit valable, encore faut-il que le contractant sache ce à quoi il s’engage. C’est pourquoi la détermination de l’objet a toujours été une condition essentielle de sa validité. En effet, dès avant la réforme de 2016, la jurisprudence avait posé un certain nombre de règles encadrant la détermination du contenu de l’objet sur le fondement de l’ancien article 1129 du Code civil, selon lequel « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce. La quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle soit déterminée ». Pour l’essentiel, les nouveaux articles 1163 s. du Code civil entérinent et complètent les anciennes règles prétoriennes, substituant toutefois au terme d’objet celui de « prestation ». Conformément à la jurisprudence antérieure, il résulte de ces règles que, d’une manière générale, la prestation doit être déterminée, ou déterminable. D’origine jurisprudentielle, puis légale, cette exigence générale reste d’une mise en œuvre difficile lorsqu’elle s’applique au prix du contrat. Lorsqu’elle soulève la question du prix de la prestation, la condition de validité du contrat liée à l’exigence de détermination de son contenu et, en particulier, de la prestation promise, appelle de plus amples observations (v. pour un exposé complet de la question, S. Porchy-Simon, Droit des obligations, Dalloz, 2024, n° 222 s.).
Cas particulier du prix du contrat – Bien que l’on puisse hésiter à qualifier le prix de prestation, sa détermination est certainement nécessaire à la validité et à l’exécution de la convention.
Certes, avant la réforme du droit des contrats, aucun texte de portée générale n’exigeait que le prix du contrat fût déterminé au stade de sa formation. Toutefois, certains contrats se trouvaient déjà soumis par plusieurs dispositions spéciales dérogatoires à la théorie générale du contrat à la nécessité d’un prix déterminé (ex. pour la vente, C. civ., art. 1591). Dans ces cas particuliers, la jurisprudence empruntait les règles gouvernant les choses de genre : le prix ne pouvant être fixé par le juge, il devait être déterminé ou déterminable, selon des critères objectifs indépendants de la volonté des parties (ex. pour la vente, Req., 7 janv. 1925, GAJC, vol. 2, n° 262).
Bien que cette question reste débattue au sein de la doctrine, il semble que cette solution ait été modifiée par l’article 1163 du Code civil, qui consacre de manière générale l’exigence de détermination de la prestation dès la conclusion du contrat, et ce sans réserver de dérogations particulières pour le prix. Ce qui revient à dire qu’en droit commun du contrat, le prix doit être déterminé, ou déterminable, dès le stade de la formation du contrat, pour tous les contrats conclus à partir du 1er octobre 2016.
Des exceptions sont toutefois réservées dans les cas spécifiques des contrats-cadres et des prestations de service. D’une importance capitale en pratique, des règles spéciales ont en effet été posées pour régir le prix de ces contrats qui, bien avant la réforme, avaient fait l’objet de jurisprudences dérogatoires au droit commun.
Règles propres au prix de la prestation de service – Traditionnelle, la nécessité d’un prix déterminé dans les contrats ayant pour objet une prestation de service, tels les contrats de louage d’ouvrage ou de services, s’explique par l’impossibilité objective de fixer un prix définitif avant l’accomplissement de la prestation. La jurisprudence considérait alors que la détermination du prix lors de la formation du contrat n’était pas une condition de validité du contrat de prestation de service, et admettait que les parties s’accordent sur son montant seulement après l’exécution de la prestation. Si aucun accord ne parvenait à être trouvé, le prix était alors fixé par le juge (Civ. 3e, 24 janv. 1978, n° 76-12.056 ; Civ. 1re, 28 nov. 2000, n° 98-17.560).
Depuis l’ordonnance du 10 février 2016, le nouvel article 1165 du Code civil (modifié par une disposition interprétative de la loi de ratification du 20 avril 2018) renouvelle ces règles. Selon ce texte, « (d)ans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat ». Contrairement à la jurisprudence antérieure, le texte n’exige donc pas la fixation du prix au jour de la conclusion du contrat. Il reconnaît en revanche au créancier un pouvoir nouveau de fixation unilatérale du prix en l’absence d’accord avec le débiteur avant l’exécution, prix dont il doit, en cas de demande, pouvoir justifier le montant. Le juge se voit ainsi privé de son pouvoir traditionnel de détermination du prix, son rôle se cantonnant désormais soit à l’attribution de dommages et intérêts en cas d’abus dans la fixation de celui-ci, soit à la décision de résoudre le contrat.
Règles propres au contrat-cadre – L’évolution du régime applicable au prix des contrats-cadres est notable. Il faut dire que la configuration contractuelle est ici singulière, et complexe. Spécifiques, les contrats dits de distribution prennent la forme d’ensembles contractuels entremêlant des conventions multiples. Le plus souvent, un contrat-cadre est conclu entre un commerçant et un producteur. Le commerçant s’engage à s’approvisionner auprès du producteur pendant une certaine période, à des prix déterminés en fonction des tarifs pratiqués par ce dernier. En contrepartie, le producteur octroie au distributeur divers avantages : aide à l’installation sous forme de prêt ou de garantie bancaire, assistance commerciale, etc. En exécution de cette convention cadre, des contrats d’application sont conclus, par lesquels le commerçant se fournit auprès du fabricant. Cette organisation contractuelle est désormais explicitement prévue par l’article 1111 du Code civil : le contrat-cadre, qui est « l’accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures », donne naissance à des contrats d’application, qui « en précisent les modalités d’exécution ».
Pendant longtemps, la jurisprudence admettait la validité de telles conventions même sans prix déterminé, mais à partir des années soixante-dix, elle entreprit une véritable chasse à l’indétermination du prix. Après avoir connu plusieurs étapes, dont certaines ont révolutionné la matière, cette évolution a été parachevée par la réforme du droit des contrats.
■ Solutions antérieures à la réforme
Nullité pour indétermination du prix. Prenant conscience que de telles relations contractuelles pouvaient donner lieu à des abus au détriment des commerçants placés en état de faiblesse par rapport au « maître du prix », les juges ont entrepris d’annuler les contrats-cadres pour absence de prix :
Com. 11 oct. 1978, n° 77-11.624 : arrêt de principe admettant l’annulation de la convention cadre pour indétermination du prix fixé en référence au tarif fournisseur, sur le fondement de l’article 1129 du Code civil.
Civ. 1re, 22 janv. 1991, n° 88-15.961 : arrêt cantonnant la nullité pour indétermination du prix aux seuls contrats-cadres comportant des obligations de donner.
Admission de la détermination unilatérale du prix. Par les arrêts Alcatel (Civ. 1re, 29 nov. 1994, n° 91-21.009), la Cour de cassation valide la détermination du prix par les tarifs du fournisseur, déplaçant la question de la détermination du prix du stade de la formation du contrat à celui de son exécution.
Admission de l’indétermination du prix. Par quatre arrêts de revirement en date du 1er décembre 1995, l’Assemblée plénière juge que l’article 1129 n’est plus applicable à la détermination du prix et considère que la clause d’un contrat faisant référence au tarif en vigueur au jour des commandes d’approvisionnement à intervenir n’affecte pas la validité du contrat, seul l’abus dans la fixation du prix pouvant donner lieu à résiliation ou indemnisation. Le revirement est total : l’absence de prix laisse inchangée la validité de la convention sous la réserve, au demeurant importante, des textes spéciaux faisant expressément dépendre la validité du contrat (ex. vente, bail) de la fixation de son prix.
■ Solutions issues de l’ordonnance du 10 févr. 2016
Modification du droit antérieur. Aux termes du nouvel article 1164 du code civil, « (d)ans les contrats-cadres, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. ». Si dans le prolongement de la jurisprudence antérieure, le prix des prestations futures peut toujours être déterminé unilatéralement par le maître du prix, c’est à la nouvelle condition que les parties aient préalablement donné leur accord pour un tel mode de fixation. Le maître du prix doit en outre, en cas de contestation, pouvoir apporter la justification du tarif pratiqué, ce qui constitue également une nouveauté par rapport à la jurisprudence antérieure.
Maintien du droit antérieur. L’abus éventuel dans la fixation du prix est en revanche sanctionné, à l’instar de la jurisprudence ancienne, par l’octroi de dommages et intérêts ou par la résolution judiciaire du contrat. À noter, enfin, que sur ce point, le pouvoir judiciaire de révision du prix abusivement fixé qui avait été proposé par le projet d’ordonnance de février 2015 n’a pas été retenu (art. 1163).
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