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Droit des personnes
Point sur le transsexualisme
Mots-clefs : Transsexualisme, État civil, Identité sexuelle, Changement de sexe, Mariage
Le transsexualisme est un trouble de l’identité sexuelle, caractérisé par une opposition entre d’une part le sexe anatomique, chromosomique et hormonal, et d’autre part, le sexe psychologique et psycho-social. Plus précisément, ce syndrome a été défini par le professeur Küss comme « le sentiment profond inébranlable d’appartenir au sexe opposé », révélant une discordance indépassable entre la dimension subjective du sexe et sa réalité objective. Problématique pour celui qui le subit, le transsexualisme l’est également pour le juriste. En principe, pour le droit, on est homme ou femme, tout individu devant impérativement être rattaché à l’un ou l’autre des deux sexes, celui-ci étant mentionné dans l’acte de naissance. Toutefois, afin de respecter le droit du transsexuel au respect de sa vie privée, ce principe traditionnel a dû être aménagé. Ainsi le changement de sexe juridique a-t-il finalement été admis. Les conséquences sont immenses. Dalloz Actu Étudiant fait le point.
▪ Le changement de sexe juridique
En vertu du principe d’indisponibilité de l’état des personnes, la Cour de cassation s’est longtemps opposée aux demandes de modification de la mention relative au sexe sur l’état civil des transsexuels (v. arrêts du 16 déc. 1975 et 21mai 1990). Cette solution était critiquable : d’une part, son fondement était maladroitement exploité, le principe d’indisponibilité de l’état des personnes ne faisant évidemment pas obstacle à toutes les modifications de l’état (changement de nom, de filiation, de domicile) ; d’autre part, elle ignorait le droit au respect de la vie privée du transsexuel, ainsi contraint de faire apparaître son ambiguïté sexuelle chaque fois qu’un document officiel lui était demandé. C’est d’ailleurs sur le fondement de ce droit que la France fut condamnée en 1992 par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt du 25 mars 1992), conduisant la Haute cour, réunie en Assemblée plénière, à opérer, le 11 décembre 1992, un revirement de jurisprudence : « lorsqu’à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères des son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence ». La protection de la vie privée du transsexuel, garantie de son intégration sociale, prenait ainsi le pas sur le principe d’indisponibilité.
La modification juridique du sexe supposait toutefois la réunion de cinq conditions cumulatives : le syndrome du transsexualisme, un traitement médico-chirurgical suivi dans un but thérapeutique, une perte du sexe anatomique d'origine, une apparence physique proche de l'autre sexe, enfin, un comportement social correspondant à cette nouvelle apparence. De surcroît, la réalité du syndrome du transsexualisme devait être établie par une expertise judiciaire. Ces solutions étaient peu discutées en jurisprudence comme en doctrine jusqu'à la publication, en 2009, du rapport de M. Thomas Hammarberg; commissaire aux droits de l'homme près le Conseil de l'Europe, recommandant d' « instaurer des procédures rapides et transparentes de changement de nom et de sexe sur les extraits d'acte de naissance, certes d'identité, passeports, diplômes et autres documents officiels ».
Conformément à cette volonté d'assouplissement des conditions du changement, une circulaire du ministère de la Justice du 14 mai 2010 (circ. DACS, n° CIV/07/10) appela le ministère public à donner un avis favorable aux demandes de changement d'état civil présentées par les transsexuels sans exiger ni expertise judiciaire ni ablation des organes génitaux, pourvu que fussent démontrées la réalité du transsexualisme et l'irréversibilité des effets des traitements hormonaux pratiqués . Dans deux arrêts rendus le 7 juin 2012, la Cour de cassation renouvela en conséquence sa position : le caractère obligatoire de l'expertise judiciaire paraît bien être abandonné, la nécessité de prouver la réalité du syndrome transsexuel étant quant à elle maintenue ; enfin, à l'exigence d'un traitement hormono-chirurgical est substituée celle de l'irréversibilité de la transformation de l'apparence de la personne demanderesse. Cette solution récente pourrait constituer une inflexion jurisprudentielle majeure.
▪ Les conséquences juridiques du changement
Le changement de sexe à l’état civil emporte des conséquences tant sur le passé que sur le futur du transsexuel. Sur son passé tout d’abord, la modification du sexe ne pouvant, en cas de mariage et de filiation antérieurs au changement, rester sans incidence. Concernant le mariage, dont la validité continue de dépendre, en France, de la différence de sexe des époux, le mariage conclu par le transsexuel avant son opération ne pourra donc être maintenu. Quoiqu’elle ne joue pas de plein droit en droit positif, la caducité du mariage apparaît comme la solution la plus adaptée puisqu’à la différence de la nullité, anéantissement rétroactif d’un acte en l’absence d’une condition de validité requise lors de sa formation, la caducité fait disparaître pour l’avenir un acte en raison de la perte, postérieure à sa formation, d’un élément essentiel à sa validité. Or, au moment de sa formation, le mariage du transsexuel, répondant à la condition de différenciation sexuelle, était bien valable. Aussi le divorce est-il naturellement envisageable ; à ce propos, soulignons que l’opération de conversion sexuelle, parce qu’elle est thérapeutique, n’est pas en soi fautive. Concernant la filiation du transsexuel, celle-ci sera, en revanche, maintenue, le jugement modifiant son état civil, non déclaratif mais constitutif, n’ayant d’effet que pour l’avenir (v. Paris, 2 juill.1998).
Le changement de sexe a ensuite des répercussions sur le futur du transsexuel. La question de son droit au mariage avec une personne d’un sexe génétiquement identique, malgré la différenciation sexuelle apparente, s’est posée. A priori, en droit français, rien ne s’y oppose, à condition, toutefois, d’avoir obtenu la modification de son état civil et dissous son éventuel mariage passé (v. Papeete, 1er sept. 2011). De surcroît, les juges européens soutiennent un tel droit, comme le prouve notamment l’arrêt Goodwin. Dans le prolongement de son droit au mariage, la possibilité pour le transsexuel de fonder une famille est également admise. D’une part, les techniques de procréations médicalement assistées sont ouvertes aux transsexuels masculins (v. C. civ. art.311-19 s.) et depuis la loi de bioéthique n° 94-654 du 29 juillet 1994, l’action en contestation de la filiation de l’enfant né d’une PMA est interdite. D’autre part, le transsexuel peut tenter d’adopter un enfant, seul ou avec son conjoint, le refus d’agrément motivé par le transsexualisme encourant le grief de la discrimination sexuelle.
Références
■ Civ. 1re, 16 déc.1975, n° 73-10.615, JCP 1976. II. 18503 ; civ. 1re 21 mai 1990, n° 88-12.829, D. 1991. 169, rapp. Massip ; JCP 1990. II. 21588, rapp. Massip, concl. Flippo ; RTD civ. 1991. 289, obs. J. Hauser : par quatre arrêts, la Cour accepte le changement de prénom du transsexuel mais non la modification de la mention du sexe sur l’état civil, le transsexualisme, même médicalement reconnu, ne pouvant, selon elle, s’analyser en un véritable changement de sexe.
■ CEDH 25 mars 1992, B. c. France, JCP 1992. II. 21955, note T. Garé ; D.1993.101, note J.-P. Marguénaud ; RTD civ.1992, obs. J. Hauser.
■ Ass. plén. 11 déc.1992, n° 91-11.900, JCP 1993. II. 21991, concl. Jéol, note G. Mémeteau ; Gaz. Pal. 1993, 1.180 ; RTD civ.1993.325, obs. J. Hauser.
■ Paris, 2 juill.1998, JCP 1999. II.10005, note Th. Garé ; Dr.fam., 1999, n°13, note P. Murat.
■ CEDH 11 juill.2002, arrêt Goodwin, n° 28957/95.
■ Papeete, 1er sept.2011, JCP 2011.1132, note P. Gourdon, le maire ayant refusé de célébrer le mariage du transsexuel ayant pourtant obtenu un changement d’état civil a été condamné par la cour d’appel pour discrimination fondée sur le sexe.
■ Civ. 1re, 7 juin 2012, n° 10-26.947 et n° 11-22.490.
■ Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.
■ Circ. DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010 relative aux demandes de changement de sexe à l’état civil.
■ Th. Hammarberg, Droits de l'homme et identité de genre, Rapp. Cons. eur., oct. 2009 pour la version française, p. 43.
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