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[ 13 juin 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Point sur les différentes catégories de tiers

Enjeu : portée de l’effet relatif du contrat – Expression de l’effet relatif du contrat, le célèbre article 1165 anc. du Code civil disposait que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 ». Cette règle a été reprise, dans l’ordonnance du 10 février 2016, à l’article 1199, al. 1er, du Code civil, selon lequel « le contrat ne crée d’obligations qu’entre parties ».

Le principe semble simple : corollaire et revers de la force obligatoire, la convention oblige les parties, mais reste sans effet à l’égard des tiers. Toutefois, sa portée reste incertaine en raison du flou entourant, en droit positif, les notions de partie et de tiers, que la dernière réforme du 10 février 2016 n’a qu’imparfaitement clarifiées.

Relativité de la distinction des parties et des tiers – L’examen des situations respectives des tiers et des parties montre la porosité de la frontière qui les sépare en principe. S’il existe des tiers absolus, d’autres sont souvent liés aux parties, voire même assimilés aux parties. 

Ces trois catégories de tiers, à l’égard desquels l’effet relatif du contrat s’apprécie différemment, doivent donc être identifiées.

-        Les tiers absolus

Les penitus extranei (ou tiers absolus) sont les personnes totalement étrangères au contrat, et directement concernées par son effet relatif. En effet, l’article 1199 du Code civil est rédigé en considération des seuls penitus extranei. Cette catégorie regroupe tous ceux qui n’ont aucun lien avec les parties, soit les personnes absolument extérieures à la convention. Celles-ci ne sont donc pas soumises à son effet obligatoire, et ne peuvent se voir imposer une obligation ou reconnaître un droit par ce contrat qui ne les concerne d’aucune manière. 

Cette première catégorie de tiers est d’abord illustrée par la représentation parfaite. La représentation est dite parfaite lorsque le représentant agit en révélant sa qualité aux tiers (C. civ., art. 1154, al. 1er). Elle est dès lors régie par un principe de transparence. Même si le représenté est physiquement absent lors de la conclusion du contrat, il a dès l’origine la qualité de partie et se trouve donc soumis aux effets obligatoires de la convention. Le représentant est, quant à lui, un tiers absolu qui ne peut être tenu des obligations nées du contrat, pour lequel il exerce un seul pouvoir de représentation. Ainsi qu’en dispose désormais l’article 1154, al. 1er du Code civil, « (l)orsque le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté, celui-ci est seul tenu de l’engagement ainsi contracté ».

La situation des créanciers chirographaires relève également de cette catégorie des tiers absolus, même si cette appartenance a pu être discutée. En effet, le contrat passé par le débiteur impacte la situation du créancier chirographaire puisque cet acte est de nature à affecter la consistance de son droit de gage général. Raison pour laquelle le créancier chirographaire est autorisé à exercer à l’encontre du débiteur des actions visant à la conservation de ses droits (actions oblique et paulienne). Cette répercussion n’est toutefois qu’indirecte. Elle résulte en effet du mécanisme même du droit de gage, qui fait subir au créancier non titulaire d’une sûreté les variations du patrimoine de son débiteur. Sous cette réserve, les créanciers chirographaires des parties continuent d’être assimilés aux petitus extranei visés par la loi, dès lors que le contrat passé par son débiteur ne leur confère jamais directement de droits ou obligations issus de la convention.

Enfin, à cette première catégorie de tiers, la jurisprudence veille à rattacher les membres d’un groupe de contrats non translatifs de propriété : malgré l’unité économique des contrats groupés, les « contractants extrêmes » restent, en l’absence de lien contractuel, des tiers absolus les uns par rapport aux autres (depuis Ass. plén., 12 juill. 1991, rendu au visa de l’anc. art. 1165 pour écarter la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle entre un sous-traitant et un maître d’ouvrage).

-        Les tiers liés aux parties

Cette catégorie repose sur un postulat identique : le cas où un bien est transmis à un tiers à la faveur d’une convention passée sans lui. Les droits et actions attachés à ce bien, nés d’un contrat auquel le tiers n’est pas partie, peuvent-ils néanmoins produire effet à son égard ? Par exemple, lors de deux ventes successives, le second acheteur, tiers à la première vente, peut-il bénéficier des droits et actions relatifs au bien transmis, mais créés par la convention liant l’acheteur et le vendeur originaire ? La solution est claire concernant les droits réels. L’effet erga omnes attachée à cette catégorie justifie la transmission des droits et actions à tous les acquéreurs successifs du bien, même tiers à l’acte créateur du droit réel. En revanche, concernant les droits personnels, la jurisprudence est moins nette. 

La difficulté est née de la situation des ayants cause particuliers. L’ayant cause à titre particulier est la personne ayant recueilli un droit déterminé d’une autre personne, appelée son auteur. Par exemple, l’acheteur est l’ayant cause à titre particulier du vendeur, puisqu’il a acquis de ce dernier le droit de propriété sur la chose. En vertu de la relativité contractuelle, l’ayant cause particulier devrait être traité comme un tiers absolu aux contrats passés par son auteur sur le bien. C’est d’ailleurs en ce sens que doit être comprise la jurisprudence de la Cour de cassation consacrant le principe d’intransmissibilité à l’ayant cause particulier des dettes contractuelles de son auteur (depuis Civ. 15 janv. 1918, DP 1918.1.17). La solution s’impose car on ne peut devenir débiteur contre son gré, sauf disposition légale ou contractuelle contraire (ex : cession de dette). Sous cette réserve, la jurisprudence admet, sur le fondement de l’accessoire, la transmissibilité de nombreux droits de créance à l’ayant cause particulier, dont toutes les actions en garantie (non-conformité, vices cachés, etc.) attachées à la chose et qui appartenaient à son auteur (depuis Ass. plén., 7 févr. 1986, n° 84-15.189). Le sous-acquéreur peut alors agir directement contre le fabricant dans le cadre de l’action en garantie relative à la chose livrée. Il en va de même de l’action résolutoire qui, dans les chaînes translatives de propriété, se transmet au sous-acquéreur (Civ. 1re, 20 mai 2010, n° 09-10.086). Ainsi, dans les groupes de contrats translatifs de propriété, les contractants extrêmes ne sont plus des tiers absolus : le droit de créance né du premier contrat peut être transmis aux propriétaires successifs de la chose, lorsqu’il en est l’accessoire. 

Le législateur semble également favorable à cette extension aux tiers des effets du contrat : par exemple, l’article 1743 al. 1er du Code civil prévoit, sous certaines conditions, la transmission du bail à l’acquéreur de l’immeuble. L’ayant cause particulier sera donc soumis passivement (mise à disposition du local) et activement (perception du loyer) à l’effet obligatoire du bail auquel il n’était originairement pas partie. Des solutions voisines sont consacrées concernant le contrat de travail, lors de la transmission de l’entreprise, (C. trav., art. L. 1224-1), ou du contrat d’assurance, en cas de vente de la chose à laquelle il était attaché (C. assur., art. L. 121-10).

-        Les tiers assimilés aux parties

Cette dernière catégorie regroupe tous les cas où une personne revêtant à l’origine de la convention la qualité de tiers acquiert, en cours d’exécution, celle de partie. Ainsi en est-il des ayants cause à titre universel, de la partie imparfaitement représentée, et du cessionnaire.

Les ayants cause à titre universel sont les personnes ayant vocation à recueillir tout ou partie du patrimoine du défunt, tels ses héritiers ou légataires. Ces personnes n’ont pas la qualité de partie lors de la conclusion du contrat, mais sont susceptibles de l’acquérir après le décès du contractant. Jusqu’à la réforme du droit des contrats, cette règle était expressément prévue par l’article 1122 anc. du Code civil, aux termes duquel « on est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause (…) ». Cette règle n’a pas été reprise formellement par les textes issus de l’ordonnance du 10 février 2016, mais cette lacune laisse inchangé ce principe, qui constitue l’application particulière des règles du droit des successions. Selon l’article 724 du Code civil, les ayants cause recueillant le patrimoine du défunt sont en effet investis des droits et actions qui le composent, dont ceux naissant d’un contrat conclu par le de cujus. Ils sont donc considérés comme des parties, et non plus comme des tiers, au jour de l’exécution de la convention (v. réc. Civ. 1re, 21 mai 2025, n° 23-10.119).

L’hypothèse de la représentation imparfaite témoigne également de cette assimilation des tiers aux parties. La représentation est imparfaite lorsque le représentant agit sans révéler sa qualité au tiers (l’hypothèse recoupant pour partie la technique de la simulation). C’est alors le représentant qui est engagé par le contrat et revêt la qualité de partie (C. civ., art. 1154, al. 2).

Enfin, appartient à cette dernière catégorie le tiers cessionnaire qui revêt, après la cession, la qualité de partie. La cession de contrat a en effet pour objet le remplacement d’une partie par un tiers en cours d’exécution du contrat, par la cession même de la qualité de contractant. Une des parties (le cédant) va céder son obligation, dans son double aspect actif et passif, à un tiers cessionnaire qui peut, à certaines conditions, le remplacer dans le contrat. À l’issue de la cession, si le cédé a expressément déchargé le cédant, seul le cessionnaire sera considéré comme partie au contrat, et soumis aux effets obligatoires de la convention. Le cédant, quant à lui, aura pour l’avenir la qualité de tiers. 

Références :

■ Civ. 15 janv. 1918, DP 1918.1.17

■ Ass. plén., 7 févr. 1986, n° 84-15.189 :

■ Civ. 1re, 20 mai 2010, n° 09-10.086 : D. 2010. 1757, obs. X. Delpech, note O. Deshayes ; RTD civ. 2010. 554, obs. B. Fages ; RTD com. 2011. 165, obs. B. Bouloc

■ Civ. 1re, 21 mai 2025, n° 23-10.119 D. 2025. 951

 

Auteur :Merryl Hervieu


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