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Droit du travail - relations individuelles
Point sur les mesures en faveur de l’accès à l’emploi local en Nouvelle-Calédonie
La loi du pays calédonienne n° 2010-9 du 27 juillet 2010 relative à la protection, à la promotion et au soutien de l’emploi local constitue une singularité du paysage juridique et du droit du travail français.
Pour tenir compte de l’étroitesse du marché du travail calédonien, elle offre aux citoyens de Nouvelle-Calédonie et aux personnes qui y sont installées durablement une priorité sur tout autre travailleur dans l’accès à l’emploi local du secteur privé. Un tel dispositif peut susciter la curiosité et la perplexité de l’observateur de l’Hexagone. En contradiction avec le principe constitutionnel d’égalité, heurtant la liberté d’entreprendre et d’embauche de l’employeur, l’organisation par la loi d’une préférence locale questionne la notion de discrimination positive, tout en interrogeant celle, inédite, de citoyenneté calédonienne. Pour ces diverses raisons, la loi du pays de 2010 mérite que les étudiants en droit, et les juristes en général, y prêtent attention – au-delà de l’occasion qu’elle donne d’évoquer l’archipel ultra-marin autrement qu’à travers le prisme des évènements insurrectionnels de mai 2024.
Contexte de la loi. Cette loi du pays ne peut être comprise qu’à la lumière du triple contexte dans lequel elle s’inscrit et qui accroit l’intérêt d’en découvrir son contenu : juridique d’abord, historique ensuite, économique et social enfin.
La Nouvelle-Calédonie bénéficie d’un statut juridique qui lui est propre, issu du titre XIII de la Constitution du 4 octobre 1958 complété par la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, l’autorisant à exercer une compétence législative dans les domaines qui lui ont été transférés. Aussi des lois du pays peuvent-elles être adoptées par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie pour régir les matières correspondant aux compétences que le pays exerce, ce qui est notamment le cas des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité sociale depuis le 1er janvier 2000.
Le statut juridique de la Nouvelle-Calédonie découle de l’histoire mouvementée de l’archipel, liée à son passé colonial, aux évènements du début des années 1980 (notamment ceux de la Grotte d’Ouvéa) et aux accords politiques qui s’en sont suivis, portant en eux l’espoir d’une paix durable en Nouvelle-Calédonie – au demeurant largement mis à mal par la crise débutée le 13 mai dernier. Parmi ces accords politiques figure celui conclu le 5 mai 1998 sur la Nouvelle-Calédonie, communément appelé Accord de Nouméa et dont la valeur est constitutionnelle. Il fut le premier à affirmer, dès son Préambule (al. 5), que « des dispositions seront définies pour favoriser l'accès à l'emploi local des personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie », l’accord faisant référence quelques lignes plus haut au peuple kanak, « population d’origine », mais aussi aux différentes communautés qui « ont acquis par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement ». Un ancrage juridique plus précis fut donné à cette volonté politique, avec la loi organique du 19 mars 1999 dont l’article 24 envisage d’accorder des droits spécifiques en matière d’accès à l’emploi salarié aux citoyens calédoniens et aux personnes justifiant d’une durée de résidence suffisante (les mêmes droits sont envisagés pour l’accès à l’emploi dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie) – durée que le législateur du pays était invité par le Conseil Constitutionnel, dans une réserve d’interprétation, à « fixer pour chaque type d’activité professionnelle et chaque secteur d’activité », « en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en relation directe avec la promotion de l'emploi local » (Cons. constit., 15 mars 1999, n° 99-410/DC).
Si ces textes et, dans leur prolongement, le Code du travail de la Nouvelle-Calédonie, visent à protéger et promouvoir l’emploi local, c’est « afin de tenir compte de l'étroitesse du marché du travail », « la taille de la Nouvelle-Calédonie et ses équilibres économiques et sociaux ne permett(ant) pas d'ouvrir largement » celui-ci (al. 4 et 5 Préambule de l’Accord de Nouméa ; art. Lp. 450 C. trav. NC). « En d’autres termes, comme il n’y a pas suffisamment de travail pour tous, le marché ne peut être ouvert largement » (A.-M. Gavard, « Protection, promotion et soutien de l’emploi local en Nouvelle-Calédonie », Dr. Soc. 2013. 154). Ces éléments de justification conservent leur acuité aujourd’hui. La crise que connait la filière nickel ainsi que les destructions, en mai 2024, des entreprises et de l’appareil productif du territoire sont de nature à accroitre l’intérêt d’un accès prioritaire à l’emploi local en ce qu’elles amplifient les difficultés d’insertion professionnelle sur le territoire, dont l’isolement géographique dans le pacifique empêche toute mobilité pour trouver un emploi dans un bassin plus dynamique.
Bénéficiaires de la protection. La préférence sur le marché du travail est accordée par la loi à deux catégories de bénéficiaires : les citoyens calédoniens, d’une part, et les personnes durablement établies sur le territoire, d’autre part, avec une hiérarchie expressément affirmée entre eux (art. Lp. 451-1 et s. C. trav. NC). La priorité repose d’abord sur la notion de citoyenneté calédonienne – au sens que la loi organique du 19 mars 1999 en donne, en référence à la constitution du corps électoral restreint appelé à élire les membres du congrès et des assemblées de province (art. 188) – et ce n’est qu’en l’absence seulement de candidats répondant à ce critère que peuvent être recrutés des « non-citoyens » calédoniens, à conditions qu’ils justifient d’une durée de résidence suffisante.
Surprenante pour quiconque rattache le terme citoyen à l’appartenance et à l’unité nationales, la citoyenneté calédonienne ne peut être saisie qu’au travers du processus de décolonisation porté par l’accord de Nouméa, qui la conçoit comme le moyen d’asseoir le destin commun du peuple kanak d’origine et des communautés diverses issues de la colonisation (Préambule, al. 4).
Quant à la durée de résidence, le législateur en a fixé cinq catégories, variant de zéro à dix ans selon le degré de difficulté de recrutement local que connait l’activité professionnelle concernée par l’offre d’emploi (art. Lp. 451-2 C. trav. NC). Un tableau des activités professionnelles (TAP), défini par un accord collectif interprofessionnel, décline ensuite ces durées par secteur d’activité, pour chaque emploi ou métier. À titre d’illustration, un emploi de boucher devra être pourvu, faute de candidat citoyen calédonien, par une personne justifiant de 10 ans de résidence tandis que la durée sera d’au moins 3 ans pour un préparateur en pharmacie.
Cadre juridique des procédures d’embauche. Concrètement, lorsqu’un chef d’entreprise projette de recruter un salarié en contrat de travail – quelle qu’en soit la nature (sont cependant exclus certains CDD et les contrats de travail temporaires de courte durée) – il doit déposer l’offre d’emploi auprès du service public de placement, en ayant pris soin de faire référence au TAP et de mentionner les compétences, qualifications et expériences requises. Il est exigé en effet que la priorité ait lieu « à égalité de compétences compte tenu des qualifications et de l’expérience professionnelle requises pour occuper l’emploi » (art. Lp. 451-2 C. trav. NC), sans aucune précision sur ces notions. Autrement dit, parmi toutes les candidatures reçues qui répondent aux conditions de qualification et de compétence énoncées dans l’offre d’emploi, l’employeur doit donner priorité aux personnes visées par le dispositif législatif. En l’absence de candidatures prioritaires, il pourra recouvrir sa pleine liberté d’embauche. De façon à sécuriser la procédure de recrutement, l’employeur est invité, préalablement à la conclusion du contrat de travail, à consulter la commission paritaire de l’emploi local (CPEL) afin de faire constater la carence de candidature répondant aux spécifications de l’offre d’emploi. La CPEL, composée à parité de représentants des organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau de la Nouvelle-Calédonie, est en effet dotée d’un rôle de contrôle de la conformité des recrutements (art. Lp. 451-11 et s. C. trav. NC) : en amont avec la procédure de constat de carence à la demande de l’employeur ; mais aussi en aval dès lors que toute action en justice doit obligatoirement être précédée de sa saisine pour avis sur la conformité de l’embauche.
Sanctions juridiques. En cas d’avis non-conforme émis par la CPEL, l’employeur doit mettre fin au contrat de travail conclu en méconnaissance de la loi. Celle-ci facilite la mesure de licenciement en lui conférant de droit une cause réelle et sérieuse (art. Lp. 451-16 C. trav. NC). Cependant, si la rupture du contrat par l’employeur est tardive (après échéance de la mise en demeure adressée par l'autorité administrative suivant l’avis de non-conformité), le salarié licencié aura droit au versement d’une indemnité forfaitaire de six mois de salaire. L’employeur encourt également une amende administrative (art. Lp. 451-15 C. trav. NC).
Des tentatives de contournement du dispositif en faveur de l’emploi local sont constatées à travers la conclusion de contrats de prestations de services avec des travailleurs indépendants ne remplissant pas les conditions pour être des candidats prioritaires au sens de la loi de 2010. En conséquence, afin de rendre effectives les mesures en faveur de l’accès à l’emploi local, « le législateur local doit légiférer simultanément sur les emplois salariés, mais aussi non-salariés » (N. Meyer, « Emploi local », in G. Giraudeau et M. Maisonneuve (dir.), Dictionnaire des Outre-mer, Lexis-Nexis, 2021 ; et sur le bilan de la loi : N. Meyer, « L’expérience de la loi calédonienne », in Y. Guenzoui (dir.), Identité, peuple et emploi en Polynésie française, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, 2023, p. 23). Mais là n’est pas le seul défi qui attend la Nouvelle-Calédonie.
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