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Point sur : « Les nouveaux quartiers de lutte contre la criminalité organisée »
Tout au long du premier semestre de l’année 2025, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, a affiché une grande fermeté à l’égard des personnes détenues avec, par exemple, l’annonce de la création de prisons de haute sécurité ou l’interdiction des activités « ludiques » en détention. Dès sa prise de fonction, il a fait de la lutte contre le narcotrafic son cheval de bataille et a clairement entendu empêcher les personnes à la tête de réseaux criminels de poursuivre leurs activités en détention. Un régime spécifique de détention a été créé afin que les plus grands narcotrafiquants soient incarcérés dans des quartiers sécurisés nommés quartiers de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) dans les établissements pénitentiaires de Vendin-le Vieil et de Condé-sur-Sarthe. En réalité, ces « nouveaux » quartiers sécurisés semblent tout à la fois constituer un retour en arrière compte tenu de la suppression des anciens quartiers de haute sécurité et opérer un virage sécuritaire quant à la dureté de ces nouvelles conditions d’incarcération.
■ Des nouveaux quartiers de lutte contre la criminalité organisée, pour qui ?
La loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic crée dans le Code pénitentiaire un nouveau chapitre dédié aux « quartiers sécurisés ». Les nouveaux QLCO figurent aux côtés d’autres quartiers spécialisés comme les quartiers de prise en charge des personnes détenues violentes et les quartiers de prise en charge de la radicalisation. Le législateur a fixé des conditions précises pour l’affectation des personnes détenues dans ce type de structure. L’article L. 224-5 du Code pénitentiaire prévoit que seules les personnes majeures qui sont détenues pour des infractions visées aux articles 706-73, 706-73-1 ou 706-74 du Code de procédure pénale peuvent être affectées dans des quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Aucune distinction n’est opérée en fonction du statut de la personne détenue, ce qui signifie que les personnes placées en détention provisoire peuvent aussi y être transférées et que le texte ne vise pas uniquement les personnes condamnées. Si le champ d’application de l’article semble a priori circonscrit car il ne concerne que des infractions spécifiques, il faut tout de même relever que la liste des infractions relevant de la criminalité organisée n’a cessé de s’allonger au fil du temps. Ainsi, un nombre non négligeable de personnes est susceptible d’être affecté dans ces quartiers. Toutefois, le texte précise que cette décision d’affectation s’opère « à titre exceptionnel » et pour « prévenir la poursuite ou l’établissement de liens avec les réseaux de criminalité et de la délinquance organisée ». Cette précision avait été mentionnée à la suite de l’avis émis par le Conseil d’État le 13 mars 2025, le texte ayant été remanié dans le but de mieux délimiter son champ d’application pour garantir la proportionnalité du régime restrictif envisagé.
■ Des nouveaux quartiers de lutte contre la criminalité organisée, pour quoi ?
L’un des principaux objectifs de la loi du 13 juin 2025 est de « toucher le “haut du spectre”, les barons de la drogue n’étant que trop rarement inquiétés et gardant la possibilité de trouver un abri dans des États “refuge” qui ne coopèrent pas avec la France ». Si la création de ces nouveaux quartiers de lutte contre la criminalité organisée ne figurait pas dans la proposition de loi initiale, elle a par la suite été ajoutée par voie d’amendement. Ce dispositif n’est en réalité que le prolongement des autres mesures proposées sur le plan répressif et procédural car il vise à empêcher les individus à la tête d’organisations criminelles de continuer leur trafic depuis leurs lieux de détention. Comme l’énonce l’article L. 224-5 du Code pénitentiaire, le motif du placement est bien d’éviter la création de nouveaux liens avec des narcotrafiquants membres du réseau ou de les rompre s’ils préexistaient à l’incarcération.
Pour autant, était-il nécessaire de créer un nouveau régime de détention ? Il semblerait que non compte tenu de l’existence d’autres régimes spécifiques qui permettent déjà d’isoler des détenus et de réduire les contacts avec l’extérieur, comme le statut de détenu particulièrement signalé créé en 1967, l’isolement administratif ou l’affectation dans des quartiers spécifiques de prise en charge des personnes détenues violentes et de prise en charge de la radicalisation. L’idée de la création de quartiers permettant le regroupement en son sein de détenus particulièrement dangereux avec l’application d’un régime dérogatoire au droit commun n’est pas non plus nouvelle si l’on songe aux anciens quartiers de haute sécurité créés en 1975 et supprimés en 1982. Les nouveaux quartiers de lutte contre la criminalité organisée s’inspirent en réalité du régime de détention italien nommé « il carcero duro » mis en place dans les années quatre-vingt-dix et qui a vocation à s’appliquer aux chefs d’organisations mafieuses.
■ Comment les narcotrafiquants intègrent-ils ces quartiers ?
Le législateur a prévu une procédure d’affectation qui se veut respectueuse de certains principes directeurs de la procédure pénale sans toutefois être vraiment satisfaisante au regard de la grande latitude laissée au garde des Sceaux. En effet, la décision d’affectation relève de sa compétence. Après avis du juge de l’application des peines si la personne est condamnée ou après information du magistrat chargé de l’enquête ou de l’instruction, qui peut s’y opposer dans un délai de 8 jours à compter de la réception de cette information, si la personne est prévenue, le ministre de la Justice peut décider d’affecter, dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée, une personne majeure détenue pour une infraction entrant dans le champ de la délinquance et de la criminalité organisée. La décision d’affectation dans ces quartiers doit être motivée et ne peut intervenir qu’après une procédure contradictoire au cours de laquelle la personne intéressée, qui peut être assistée d’un avocat, présente des observations orales ou écrites. La décision est valable pour un an et peut être renouvelée dans les mêmes conditions sans limitation de durée, ce qui peut apparaître contestable et faire naître un doute sur la conformité de la disposition aux exigences européennes. L’affectation peut donc se poursuivre tant que le garde des Sceaux ne décide pas de mettre fin à la mesure ou que la personne n’en fait pas la demande.
■ Les personnes détenues peuvent-elles contester leur affectation ?
Les détenus qui sont visés par une décision de transfert vers les QLCO peuvent saisir le juge administratif, soit d’un recours au fond, soit en usant des procédures de référés pour contester la décision prise par le garde des Sceaux. Les recours contre les décisions d’affectation se sont multipliés cet été. Plusieurs juridictions ont été saisies notamment à Lille, Caen, Versailles, Amiens et Paris. Si fin août 2025 une vingtaine de détenus avaient déjà saisi la justice administrative, les réponses apportées par les juges se sont toutes avérées décevantes. Le levier que constituent les procédures de référés d’urgence ne semble pas pouvoir être utilement actionné. Certains juges ont pu estimer à plusieurs reprises que les moyens évoqués n’étaient pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision d’affectation du garde des Sceaux. Or, l’existence d’un doute sérieux est l’un des critères permettant au juge de suspendre la décision attaquée. Son absence explique ainsi les nombreuses décisions de rejet des requêtes à fin de suspension de l’exécution de la mesure d’affectation. D’autres juges se sont quant à eux fondés sur l’absence de la condition de l’urgence pour rejeter les requêtes.
La voie judiciaire qui permet aux personnes détenues de contester cette fois-ci leurs conditions de détention ne semble guère plus prospère. Si une juge des libertés et de la détention avait considéré dans un jugement rendu le 18 août dernier que les conditions de détention au nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée de Vendin-le-Vieil étaient inhumaines et dégradantes compte tenu des fréquents réveils (allumage complet de l’éclairage de la cellule toutes les deux heures) lors des rondes de nuit opérées par les surveillants, la Cour d’appel de Douai a finalement infirmé ce jugement dans un arrêt du 1er septembre réalisant une appréciation contraire des faits qui lui étaient soumis. Dès lors, s’il existe théoriquement des recours, il est difficile, en pratique, de contester une décision d’affection du garde des Sceaux.
■ Est-ce que ce régime spécifique de détention respecte les droits fondamentaux des personnes détenues ?
Le nouveau dispositif français largement inspiré du régime pénitentiaire italien soulève des questions principalement sous l’angle des articles 3 (interdiction de la torture) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. La prévision de fouilles systématiques dès lors que le détenu aura été mis en contact physique avec une personne en mission ou en visite dans la prison sans être restée sous la surveillance constante d’un agent de l’administration pénitentiaire interroge quant à sa compatibilité avec l’article 3 de la Convention. La France a été condamnée à plusieurs reprises sur ce fondement, les fouilles pouvant s’analyser en un traitement dégradant. Reste à savoir si les assouplissements prévus par les textes seront suffisants pour éviter une nouvelle condamnation. Quant aux dispositions relatives aux restrictions des contacts (correspondance téléphonique et par courrier), au recours à des parloirs hygiaphones (dispositif toutefois exclu lors de la visite de mineurs de moins de 16 ans sur lesquels le détenu exerce l’autorité parentale, de circonstances familiales exceptionnelles ou de la visite de l’avocat) et à l’exclusion du bénéfice des parloirs familiaux et unité de vie familiale, elles posent la question de la compatibilité des restrictions à la poursuite d’un intérêt légitime. En effet, ce n’est pas parce que la Cour européenne des droits de l’homme a pu considérer que le régime de détention italien respectait les exigences européennes que le régime français serait, quant à lui, forcément jugé conventionnel. L’appréciation in concreto que la Cour réalisera lorsqu’elle sera saisie de ces questions pourrait éventuellement l’amener à considérer que les atteintes aux droits fondamentaux des personnes détenues sont disproportionnées par rapport au but poursuivi et remettre ainsi en cause le régime français.
Références :
■ CE 13 mars 2025, avis, n° 409322
■ CEDH, gr. ch., 17 sept. 2009, Enea c/ Italie, n° 74912/01
■ CEDH 12 juin 2007, Frérot c/ France, n° 70204/01 : D. 2007. 2632, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; ibid. 2008. 1015, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2007. 336, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2008. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; ibid. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; ibid. 404, chron. P. Poncela.
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