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[ 8 janvier 2013 ] Imprimer

Droit constitutionnel

Point sur les procédures de levée de l'immunité des députés et sénateurs français, et des députés au Parlement européen

Fin 2012, deux levées d’immunités parlementaires ont été demandées que ce soit au niveau national (pour le sénateur Jean-Noël Guérini) ou au niveau communautaire (pour l’eurodéputée Marine Le Pen, levée demandée par la Chancellerie le 10 déc. 2012), occasion pour Dalloz Actu Étudiant de faire un point sur ces procédures.

■ Levée de l’immunité parlementaire au niveau national

L’article 26 de la Constitution de 1958 assure aux députés et sénateurs un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice afin de préserver leur indépendance. Il existe deux catégories d'immunités.

Outre l’immunité absolue (l’irresponsabilité), dont bénéficient les parlementaires pour les actes liés à leur mandat (Const. 58, art. 26, al. 1er), il existe une seconde catégorie, l’inviolabilité, permettant aux parlementaires d’éviter une entrave à l’exercice de leur mandat pour des actions pénales concernant des infractions en tant que simples citoyens (Const. 58, art. 26, al. 2 s.). Toutefois, ils ne peuvent faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée à laquelle ils appartiennent sauf en cas de crime ou de délit flagrant ou de condamnation définitive. Par ailleurs, le régime de l'inviolabilité ne protège pas les parlementaires contre l'engagement de poursuites (mise en examen).

La demande de levée d’immunité parlementaire au Bureau soit de l’Assemblée nationale, soit du Sénat est faite par le procureur général près la cour d'appel compétente, transmise par le garde des Sceaux au président de l'Assemblée concernée, instruite par une délégation du Bureau puis examinée par le Bureau (Ord. n° 58-1100 du 17 nov. 1958, art. 9 bis). Le Bureau se prononce uniquement sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande mais ne porte aucune appréciation quant au fond du dossier, à l’exactitude des faits, ou à la procédure suivie par le juge. Sa décision est publiée au Journal officiel.

■ Levée de l’immunité parlementaire d’un eurodéputé

Il existe également une irresponsabilité des membres du Parlement européen concernant les opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions. Quant à l’immunité, elle peut être levée par le Parlement européen selon une procédure spécifique mais ne peut être invoquée en cas de flagrant délit (Protocole sur les privilèges et immunité des Communautés européennes, art. 8 et 9). Ainsi, l’autorité compétente d’un État membre adresse au président du Parlement européen (pour mémoire, Martin Schulz depuis janv. 2012) une demande de levée d’immunité d’un eurodéputé ; cette demande est d’abord communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission des affaires juridiques qui l’examine sans délai, présente une proposition motivée dans un rapport, mais ne se prononce pas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l’opportunité d’une poursuite pénale pour les faits reprochés. Ensuite, le rapport de la commission est inscrit d’office en tête de l’ordre du jour de la première séance du Parlement, aucun amendement n’est recevable. À la suite d’un débat, les députés votent pour ou contre la levée de l’immunité du député. Enfin, le Président du Parlement européen communique la décision au député européen concerné et à l’autorité compétente du pays qui a demandé la levée de l’immunité (Règlement intérieur du Parlement européen, art. 6 et 7).

Références

 Article 26 de la Constitution du 4 octobre 1958

« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.

Aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l'assemblée dont il fait partie le requiert.

L'assemblée intéressée est réunie de plein droit pour des séances supplémentaires pour permettre, le cas échéant, l'application de l'alinéa ci-dessus. »

■ Article 9 bis de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

« L'arrestation ou toute autre mesure privative ou restrictive de liberté susceptible d'être décidée à l'encontre d'un membre du Parlement fait, à peine de nullité, l'objet d'une demande d'autorisation formulée par le procureur général près la cour d'appel compétente et transmise par le garde des sceaux, ministre de la justice, au Président de l'assemblée intéressée. Cette demande indique précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués.

L'autorisation donnée par le Bureau de l'assemblée intéressée ne vaut que pour les faits mentionnés dans la demande prévue au premier alinéa. »

■ Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes

Article 8

« Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions. »

Article 9

« Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci:

a) bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur État;

b) ne peuvent, sur le territoire de tout autre État membre, ni être détenus ni faire l'objet de poursuites judiciaires.

L'immunité les couvre également lorsqu'ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent.

L'immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l'immunité d'un de ses membres. »

■ Règlement intérieur du Parlement européen

Article 6. Levée de l'immunité

« 1. Dans l'exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu'assemblée législative démocratique et à assurer l'indépendance des députés dans l'accomplissement de leurs tâches.

2. Toute demande adressée au Président par une autorité compétente d'un État membre en vue de lever l'immunité d'un député est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

3. Toute demande adressée au Président par un député ou un ancien député en vue de défendre l'immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

Le député ou ancien député peut être représenté par un autre député. La demande ne peut être adressée par un autre député sans l'accord du député concerné.

4. Dans les cas où un député est arrêté ou privé de sa liberté de déplacement en violation supposée de ses privilèges et immunités, le Président peut prendre d'urgence, après consultation du président et du rapporteur de la commission compétente, une initiative visant à confirmer les privilèges et immunités du député concerné. Le Président communique son initiative à la commission et en informe le Parlement. »

Article 7. Procédures relatives à l'immunité

« 1. La commission compétente examine sans délai et dans l'ordre dans lequel elles ont été présentées les demandes de levée de l'immunité ou de défense de l'immunité et des privilèges.

2. La commission présente une proposition de décision motivée qui recommande l'adoption ou le rejet de la demande de levée de l'immunité ou de défense de l'immunité et des privilèges.

3. La commission peut demander à l'autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu'elle estime nécessaires pour déterminer s'il convient de lever ou de défendre l'immunité. Les députés concernés se voient offrir la possibilité de s'expliquer; ils peuvent présenter autant de documents et d'éléments d'appréciation écrits qu'ils jugent pertinents. Chacun d'eux peut être représenté par un autre député.

4. Lorsque la demande de levée de l'immunité porte sur plusieurs chefs d'accusation, chacun d'eux peut faire l'objet d'une décision distincte. Le rapport de la commission peut, exceptionnellement, proposer que la levée de l'immunité concerne exclusivement la poursuite de l'action pénale, sans qu'aucune mesure d'arrestation, de détention ni aucune autre mesure empêchant les députés d'exercer les fonctions inhérentes à leur mandat puisse être adoptée contre ceux-ci, tant qu'un jugement définitif n'a pas été rendu.

5. Lorsque des députés sont tenus de comparaître en qualité de témoins ou d'experts, il n'y a pas lieu de demander des levées d'immunité, pour autant:

– qu'ils ne soient pas obligés de comparaître à une date ou à un moment qui empêche ou gêne l'exercice de leur activité parlementaire, ou encore, qu'ils puissent fournir une déclaration écrite ou de toute autre nature qui ne gêne pas l'accomplissement de leurs fonctions parlementaires;

– qu'ils ne soient pas obligés de témoigner au sujet d'informations obtenues confidentiellement dans l'exercice de leur mandat et qu'ils ne jugent pas opportun de divulguer.

6. Dans les cas de défense d'un privilège ou d'une immunité, la commission précise si les circonstances constituent une entrave d'ordre administratif ou autre à la liberté de déplacement des députés se rendant au lieu de réunion du Parlement ou en revenant, d'une part, ou à l'expression d'une opinion ou d'un vote dans l'exercice de leur mandat, d'autre part, ou encore si elles sont assimilables aux aspects de l'article 9 du protocole sur les privilèges et immunités qui ne relèvent pas du droit national, et présente une proposition invitant l'autorité concernée à tirer les conclusions qui s'imposent.

7. La commission peut émettre un avis motivé sur la compétence de l'autorité en question et sur la recevabilité de la demande, mais ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l'opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui lui sont imputés, même dans le cas où l'examen de la demande permet à la commission d'acquérir une connaissance approfondie de l'affaire.

8. Le rapport de la commission est inscrit d'office en tête de l'ordre du jour de la première séance suivant son dépôt. Aucun amendement à la ou aux propositions de décision n'est recevable.

Le débat ne porte que sur les raisons qui militent pour et contre chacune des propositions de levée, de maintien ou de défense d'un privilège ou de l'immunité.

Sans préjudice des dispositions de l'article 151, le député dont les privilèges ou immunités font l'objet d'un examen ne peut intervenir dans le débat.

La ou les propositions de décision contenues dans le rapport sont mises aux voix à l'heure des votes qui suit le débat.

Après examen par le Parlement, il est procédé à un vote séparé sur chacune des propositions contenues dans le rapport. En cas de rejet d'une proposition, la décision contraire est réputée adoptée.

9. Le Président communique immédiatement la décision du Parlement au député concerné et à l'autorité compétente de l'État membre intéressé, en demandant à être informé du déroulement de la procédure et des décisions judiciaires en découlant. Dès que le Président a reçu ces informations, il les communique au Parlement sous la forme qu'il juge la plus appropriée, le cas échéant après consultation de la commission compétente.

10. Lorsque le Président fait usage des pouvoirs que lui confère l'article 6, paragraphe 4, la commission compétente prend acte de l'initiative du Président au cours de sa réunion suivante. Le cas échéant, la commission peut établir un rapport à soumettre au Parlement.

11. La commission traite ces questions et examine tous les documents qu'elle reçoit en observant la plus grande confidentialité.

12. Après consultation des États membres, la commission peut dresser une liste indicative des autorités des États membres habilitées à présenter une demande de levée de l'immunité d'un député.

13. Toute demande relative au champ d'application des privilèges ou immunités d'un député adressée par une autorité compétente est examinée conformément aux dispositions ci-dessus. »

 

Auteur :C. G.


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