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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Point sur les procès télévisés
Ces derniers jours, la presse s’est largement fait l’écho du procès du champion paralympique Oscar Pistorius retransmis pour partie en direct à la télévision, et en intégralité, et en direct à la radio. Première en Afrique du Sud, un autre procès d’un célèbre sportif avait déjà donné lieu à un procès filmé : celui d’O.J Simpson, footballeur américain, aux États-Unis. Une telle retransmission serait-elle possible en France ?
Aux termes des dispositions de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, l'emploi de tout appareil d'enregistrement permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image dans une salle d'audience, d’une juridiction administrative ou judiciaire, est interdit. Seules des prises de vue avant le début des débats peuvent être autorisées par le président de l’audience à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent.
Le non-respect de ces dispositions est puni d'une amende de 4 500 € ainsi que la cession ou la publication, de quelque manière et par quelque moyen que ce soit, des paroles ou images enregistrées. Selon la chambre criminelle, le délit de publication d'enregistrement effectué sans autorisation à l'audience d'une juridiction est compatible avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (Crim. 8 juin 2010). Cette interdiction permet le respect de l’équilibre entre la liberté d'informer et les autres intérêts en jeu, en particulier la sérénité des débats et le droit à l'image des parties intéressées, la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Néanmoins, les articles L. 221-1 à L. 222-3 du Code du patrimoine (issu de la loi n° 85-699 du 11 juillet 1985 complétée par le décret n° 86-74 du 15 janvier 1986) prévoient, par dérogation, la possibilité d'enregistrer les débats pour permettre la constitution d'archives audiovisuelles de la justice.
Le champ d’application des dispositions relatives à l’enregistrement est limité aux procès présentant un « intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice ». Cette notion a été introduite par la loi no 85-699 du 11 juill. 1985, fruit des travaux menés par la commission, présidée par A. Braunschweig. Celle-ci, qui avait été créée par le garde des Sceaux de l’époque, R. Badinter, déposa son rapport en 1984 avec en toile de fond la perspective du procès de Klaus Barbie. Deux sortes de procès peuvent appartenir à l’histoire de la justice : « les grands procès historiques et politiques d’une part, les procès criminels à caractère extraordinaire d’autre part » (v. J. Pradel).
L’appréciation de cet intérêt relève du pouvoir souverain des juges du fond. Si, la loi a d’abord principalement reçu application lors de procès concernant des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre — tel fut le cas pour les procès de Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon —, elle a aussi permis de filmer les procès de catastrophes. Ainsi, les archives audiovisuelles de la justice constituées dans le cadre de la loi de 1985 contiennent les enregistrements sonores du procès des docteurs Garretta, Allain, Netter et Roux dans le cadre de l’affaire du sang contaminé en première instance et en appel (v. 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris du 22 juin au 23 octobre 1992 ; 13e chambre de la cour d’appel de Paris, du 3 mai au 13 juillet 1993) et du procès de l’explosion de l’usine AZF (Crim. 17 févr. 2009).
▪ Procédure
La décision d’enregistrement, prise soit d'office, soit à la requête d'une des parties ou de ses représentants, ou du Ministère public, suppose uniquement que l'autorité compétente recueille divers avis, émanant des parties ou de leurs représentants, du président de l'audience concernée, du Ministère public ainsi que de la Commission consultative des archives audiovisuelles de la justice. Selon la Cour de cassation, la décision de l'autorité compétente pour décider l'enregistrement audiovisuel ou sonore d'une audience ne revêt pas le caractère d'un acte juridictionnel devant être soumis au débat contradictoire et il suffit qu'aient été recueillies les observations des personnes énumérées à l'article L. 221-3 du Code du patrimoine (Crim. 17 févr. 2009, préc.).
Selon la juridiction concernée, l'autorité compétente pour décider l'enregistrement de l'audience est :
– pour le tribunal des conflits, le vice-président ;
– pour les juridictions de l'ordre administratif, le vice-président pour le Conseil d'État et, pour toute autre juridiction, le président de celle-ci ;
– pour les juridictions de l'ordre judiciaire, le Premier président pour la Cour de cassation ; pour la cour d'appel et pour toute autre juridiction de son ressort, le Premier président de la cour d'appel.
La décision prescrivant ou refusant l'enregistrement d'une audience est motivée et peut faire l'objet d'un recours en annulation, lequel n'a pas d'effet suspensif (C. part., art. R. 221-6).
Les enregistrements sont réalisés dans des conditions ne portant atteinte ni au bon déroulement des débats ni au libre exercice des droits de la défense , et à partir de points fixes. À l’issue du procès, ils sont transmis à l'administration des Archives de France, responsable de leur conservation.
▪ Communication et reproduction
L'enregistrement audiovisuel ou sonore est communicable à des fins historiques ou scientifiques dès que l'instance a pris fin par une décision devenue définitive.
En revanche, la reproduction ou la diffusion de l'enregistrement ne sont libres que lorsque cinquante ans se sont écoulés ou, s’il s’agit des audiences d'un procès pour crime contre l'humanité, dès que ce procès a pris fin par une décision devenue définitive.
La Cour de cassation considère que l'atteinte aux droits de la personnalité (droit à l’image) qui peut résulter, pour la personne qui comparaît devant la juridiction, de la reproduction ou de la diffusion de l'enregistrement audiovisuel des audiences publiques de son procès est justifiée par la loi du 11 juillet 1985, en application de laquelle l'enregistrement est autorisé (Crim. 16 mars 1994). Il en va dès lors de même en matière d’atteinte aux droits à la présomption d'innocence et à l'oubli (Crim. 17 févr. 2009, préc.).
Références
■ Crim. 8 juin 2010, n° 09-87.526, Bull. crim., n° 103.
■ J. Pradel, « Les techniques audiovisuelles, la justice et l'histoire », D. 1986. Chron. 113.
■ 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris du 22 juin au 23 octobre 1992 ; Gaz. Pal. 1993, 1, 259, note J.-P. Delmas Saint-Hilaire.
■ 13e chambre de la cour d’appel de Paris, du 3 mai au 13 juillet 1993, D. 1994. 118 note A. Prothais ; Gaz. Pal. 7 mars 1993, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; Dr. pén. 1994, comm. n°12 obs. J.-H. Robert.
■ Crim. 17 févr. 2009, n° 09-80.558.
■ Crim. 16 mars 1994, n°94-81.062, Bull. crim., n° 105 ; J. Ravanas, « De l'histoire à la mémoire : procès télévisé et droits de la personnalité », JCP G 1995. II. 22547 ; RTD civ. 1994. 831, obs. Hauser.
■ www.archivesdefrance.culture.gouv.fr
■ Article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881
« Dès l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires, l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit. Le président fait procéder à la saisie de tout appareil et du support de la parole ou de l'image utilisés en violation de cette interdiction.
Toutefois, sur demande présentée avant l'audience, le président peut autoriser des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent.
Toute infraction aux dispositions du présent article sera punie de 4 500 euros d'amende. Le tribunal pourra en outre prononcer la confiscation du matériel ayant servi à commettre l'infraction et du support de la parole ou de l'image utilisé.
Est interdite, sous les mêmes peines, la cession ou la publication, de quelque manière et par quelque moyen que ce soit, de tout enregistrement ou document obtenu en violation des dispositions du présent article. »
■ Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme – Liberté d'expression
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Code du patrimoine
« Les audiences publiques devant les juridictions de l'ordre administratif ou judiciaire peuvent faire l'objet d'un enregistrement audiovisuel ou sonore dans les conditions prévues par le présent titre lorsque cet enregistrement présente un intérêt pour la constitution d'archives historiques de la justice. Sous réserve des dispositions de l'article L. 221-4, l'enregistrement est intégral. »
« La décision prévue par l'article L. 221-2 est prise soit d'office, soit à la requête d'une des parties ou de ses représentants ou du ministère public. Sauf urgence, toute requête est présentée, à peine d'irrecevabilité, au plus tard huit jours avant la date fixée pour l'audience dont l'enregistrement est demandé.
Avant toute décision, l'autorité compétente recueille les observations des parties ou de leurs représentants, du président de l'audience dont l'enregistrement est envisagé et du ministère public. Elle fixe le délai dans lequel les observations doivent être présentées et l'avis doit être fourni. »
« La décision prescrivant ou refusant l'enregistrement d'une audience peut, dans les huit jours de sa notification, faire l'objet d'un recours en annulation.
Ce recours, qui n'a pas d'effet suspensif, est porté :
1° Devant le tribunal des conflits, lorsque la décision a été rendue par le vice-président de cette juridiction ;
2° Devant le Conseil d'État, lorsque la décision a été rendue par le vice-président du Conseil d'État ou par le président d'une juridiction administrative ;
3° Devant la Cour de cassation, lorsque la décision a été rendue par le premier président de la Cour de cassation ou d'une cour d'appel.
Le recours est formé, instruit et jugé selon les règles applicables devant la juridiction appelée à statuer ; devant la Cour de cassation, il est fait par simple déclaration au secrétariat-greffe de cette cour et examiné par la chambre compétente à raison de la nature du procès. »
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