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Droit des obligations
Point sur l’exécution forcée en nature
Notion et distinction avec l’exécution par équivalent – L’exécution forcée en nature est l’exercice par le créancier d’un moyen de contraindre le débiteur à exécuter son obligation.
Elle recouvre un ensemble de mesures destinées à satisfaire le créancier (destruction/reconstruction, mise en conformité, cessation de l’illicite, etc.). Quelle que soit la mesure ordonnée, il s’agit dans tous les cas de satisfaire le créancier de l’obligation inexécutée, et non de réparer son préjudice. Il n’est pas ici question de réparation, mais d’exécution (v. réc. Civ. 1re, 18 déc. 2024, n° 24-14.750, « l’exécution forcée en nature (est) distincte d’une réparation en nature du préjudice résultant de l’inexécution contractuelle »). La demande en exécution forcée en nature, tout comme celle qui tend à la résolution du contrat, ne se situe donc pas dans le champ de la responsabilité. C’est pourquoi on distingue la notion d’exécution forcée en nature, d’une part, de l’obligation de son exécution par équivalent, soit d’une réparation pécuniaire du dommage, et, d’autre part, de la réparation en nature du dommage, soit l’obligation pour le débiteur de supprimer, de réduire ou de compenser le préjudice subi par le créancier du fait de l’inexécution de son obligation.
Toutes les mesures ordonnées sur le fondement du droit du créancier à l’exécution forcée en nature visent au respect du contrat, et non à la réparation d’un dommage. Partant, l’intérêt pour le créancier est double : non seulement l’exécution forcée s’impose au juge, mais elle le dispense de rapporter la preuve d’un préjudice, seule la preuve de l’inexécution étant exigée.
Qualification de droit subjectif – Tant que l’exécution du contrat est possible, les parties se doivent d’y procéder, débiteur et créancier, comme l’expriment deux maximes traditionnelles. Pacta sunt servanda (Les conventions doivent être respectées) et Nemo potest proprio facto se ad obligatione liberare (Personne ne peut se libérer d’une obligation par son propre fait). En outre, le principe est expressément consacré à l’article 1221 du Code civil selon lequel « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature (..) ». Il est aussi rappelé à l’article 1341 du même code dans une formule proche de celle de l’article L. 111-1, alinéa 1er, du Code des procédures civiles d’exécution : « Le créancier a droit à l’exécution de l’obligation. Il peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi ».
Sous réserve qu’il ait lui-même exécuté sa part de la convention et que celle du débiteur soit encore possible, le créancier a donc toujours le droit d’exiger l’exécution des prestations promises. Et pour cause. Ce droit est un droit subjectif. En n’exécutant pas (ou mal) ses obligations, le débiteur a violé le droit subjectif du créancier : sa créance née du contrat. Celui-ci, dont l’intérêt est atteint, a donc droit à être protégé complètement et directement du seul fait de cette inexécution, dans la seule mesure où celle-ci est caractérisée, ce dont le créancier devra rapporter la preuve. Davantage encore que la force obligatoire du contrat (C. civ., art. 1103), qui fonde le principe même d’une sanction de l’inexécution, la violation du droit subjectif du créancier appelle l’exécution forcée en nature, seule à même d’obtenir effectivement la prestation qui lui a été promise. C’est la raison pour laquelle en droit positif, l’exécution forcée en nature a une place particulièrement forte. Par principe, le créancier peut ainsi toujours obtenir du juge qu’il contraigne le débiteur à exécuter son obligation en nature. Par analogie, lorsqu’elle est possible, sa (fausse) jumelle qu’est la réparation en nature ne peut être refusée au créancier qui la demande, du moins lorsque les parties au contrat s’accordent sur une modalité de réparation en nature (Civ. 3e, 16 janv. 2025, n° 23-17.265).
Domaine – L’exécution forcée en nature peut être sollicitée non seulement pour contraindre le débiteur à exécuter l’obligation originaire et principale du contrat, mais également pour obtenir une mesure correctrice d’une exécution défectueuse, ou bien encore la cessation de l’illicite. Dès lors que les mesures ordonnées ont un fondement identique – le droit de créance – et un but commun – la satisfaction du créancier -, elles relèvent de l’exécution forcée en nature et doivent être soumises au même régime (C. civ., art. 1221 et 1231). Il en va ainsi que l’objet de l’obligation soit une prestation en nature ou une somme d’argent. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle clairement affirmé que « le créancier d’une obligation contractuelle de somme d’argent demeurée inexécutée est toujours en droit de préférer le paiement du prix au versement de dommages-intérêts ou à la résolution de la convention » (Civ. 1re, 9 juill. 2003, n° 00-22.202). Ce droit s’étend d’ailleurs à l’inexécution de n’importe quel engagement contractuel (« La partie envers laquelle un engagement contractuel n’a point été exécuté a la faculté de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsque celle-ci est possible », Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 06-13.983). L’exécution forcée en nature est donc a priori possible pour toutes les obligations, même celles de ne pas faire (sauf inexécution définitive).
En raison de sa distinction avec la réparation en nature, l’exécution forcée en nature se cantonne toutefois aux seules obligations prévues au contrat, à l’exclusion des obligations implicites et accessoires à l’obligation contractuelle principale (Civ. 1re, 18 déc. 2024, préc.).
Conditions – Obligatoirement certaine (incontestable dans son existence), exigible (arrivée du terme prévu pour son exécution) et liquide en cas d’obligation monétaire, la créance doit, de surcroît, être constatée dans un titre exécutoire, soit dans un acte notarié ou une décision de justice. Si l’inexécution de la créance par le débiteur doit naturellement être constatée, peu importe en revanche l’étendue et la gravité de l’inexécution (mauvaise, totale, partielle, etc.) et l’existence d’un préjudice, indifférent. Enfin, l’exécution forcée ne peut être sollicitée qu’après que le débiteur a été mis en demeure par le créancier d’exécuter son obligation (C. civ., art. 1221) ; ce n’est donc qu’à défaut d’exécution volontaire à la suite de la mise en demeure que le créancier pourra demander l’exécution du contrat.
Limites – L’exécution forcée connaît deux limites visées par l’article 1221 du Code civil. La première réside dans l’impossibilité de la mettre en œuvre, la seconde dans le coût disproportionné que celle-ci engendrerait pour son débiteur.
° L’impossibilité d’exécution en nature peut être matérielle (ex : destruction des biens à restituer), juridique (ex : réglementation interdisant la livraison du bien promis) ou judiciaire (ex : délai de grâce accordé par le juge au débiteur). Contrairement à une idée répandue, la démonstration d’un cas de force majeure n’est pas nécessaire (Civ. 1re, 18 déc. 2024, préc.) ; il suffit que l’exécution en nature soit matériellement, juridiquement ou judiciairement impossible. Mais le plus souvent, l’impossibilité est morale. Ainsi des obligations de faire à caractère personnel : par exemple, un peintre ne peut être condamné à livrer un tableau, de même qu’un enseignant ne peut être contraint de dispenser un cours. En raison d’une impossibilité morale, cette catégorie particulière d’obligations n’est susceptible que d’une exécution par équivalent.
° Le coût disproportionné de l’exécution en nature s’oppose également à l’exécution forcée en nature, que l’article 1221 du Code civil écarte lorsqu’il « existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ». Les magistrats sont ainsi appelés à contrôler la proportionnalité de la sanction de l’exécution forcée. Fondé sur la notion d’abus, ce contrôle vise à éviter d’ordonner l’exécution dans des hypothèses où une exécution par équivalent pourrait pleinement satisfaire le créancier, alors que l’exécution forcée en nature serait disproportionnée (v. par ex. Civ. 3e, 13 juill. 2022, n° 21-16.407). Cependant, cette limite est cantonnée à la sphère contractuelle, sans pouvoir s’étendre à la matière extra-contractuelle (Civ. 3e, 4 avr. 2024, n° 22-21.132).
Références :
■ Civ. 1re, 18 déc. 2024, n° 24-14.750 : D. 2025. 172, note T. Genicon
■ Civ. 3e, 16 janv. 2025, n° 23-17.265 : D. 2025. 151
■ Civ. 1re, 9 juill. 2003, n° 00-22.202 : RTD civ. 2003. 709, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 06-13.983 : D. 2007. 1119, note O. Gout ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2007. 342, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Civ. 3e, 13 juill. 2022, n° 21-16.407 : D. 2022. 1647, note T. Genicon ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RDI 2022. 591, obs. J.-L. Bergel
■ Civ. 3e, 4 avr. 2024, n° 22-21.132 : D. 2024. 1311, note M. Cormier ; ibid. 1489, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler ; ibid. 2180, chron. M.-L. Aldigé, A.-C. Schmitt, A.-C. Vernimmen et J.-F. Zedda ; AJDI 2024. 634, obs. G. Tredez ; RTD civ. 2024. 661, obs. P. Jourdain
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