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Droit pénal général
Point sur l’outrage et l’injure publique
Saisi sur QPC, le Conseil constitutionnel a récemment affirmé la constitutionalité de l’article 433-5 du Code pénal qui incrimine l’outrage (Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-896 QPC), dont il a estimé qu’il ne faisait pas « doublon » avec l’injure publique. L’occasion de revenir sur la définition de ces deux infractions « voisines ».
■ L'outrage
Aux termes du premier alinéa de l’article 433-5 du Code pénal, « constituent un outrage […] les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie ». L’infraction est punie de 7 500 euros d’amende, peine portée à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende « lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique » (C. pén., art. 433-5, al. 2). L’infraction connaît encore deux causes d’aggravation : la réunion (qui fait passer la peine prévue pour l’outrage à personne chargée d’une mission de service public à six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ; et celle prévue pour l’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende) et le fait qu’il soit commis à l’encontre d’une personne chargée d’une mission de service public « à l’intérieur d’un établissement scolaire ou éducatif, ou à l'occasion des entrées ou sorties des élèves, aux abords d'un tel établissement (faisant passer à la peine à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende).
Si, pour la doctrine classique, l’outrage s’entend de « toute expression dont la signification menaçante, diffamatoire ou injurieuse, est propre à diminuer l'autorité morale de la personne investie d'une des fonctions de caractère public définies par la loi » (V. Delbos, citant le professeur R. Vouin, Rép. pén. Dalloz, vo Outrage, no 2), l’outrage, pour être caractérisé, doit : 1o être adressé à certaines personnes qualifiées ; 2o revêtir la forme d'expression déterminée par la loi et avoir une signification outrageante ; 3o être en relation avec la fonction ; 4o réaliser une atteinte effective à la personne outragée ; 5o procéder d’une intention coupable.
■ L’injure publique
Elle correspond pour sa part à « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective » (L. 29 juill. 1881, art. 29, al. 2) proférée publiquement (par l’un des moyens énoncés par l’art. 23 de la même loi). Elle est punie d’une amende de 12 000 euros lorsqu’elle a été commise envers les particuliers ou envers les corps ou personnes désignés par les articles 30 et 31 de la loi sur la presse, parmi lesquelles figurent notamment les personnes dépositaires ou agents de l’autorité publique et les personnes chargées d’un service ou d’un mandat public (L. 29 juill. 1881, art. 33, al. 1er et 2).
Dans sa décision du 9 avril 2021, le Conseil a tranché la question de l’éventuelle confusion entre ces deux infractions dès lors qu’« un même propos proféré publiquement à l’encontre d’une personne chargée d’une mission de service public ou dépositaire de l’autorité publique peut constituer un outrage ou une injure publique ». Les auteurs de la QPC soutenaient que la différence de régime juridique entre les deux (la première constituant une infraction de droit commun, la seconde une infraction de presse) était de nature à créer une atteinte au principe d’égalité, au droit à un recours juridictionnel effectif, aux droits de la défense ainsi qu’à la liberté d’expression. Le Conseil s’est prononcé sur la violation alléguée du principe d’égalité et du droit à la liberté d’expression.
Sur le grief tiré de la violation du principe d’égalité devant la loi (DDH, art. 6), le Conseil a rappelé que le législateur pouvait différencier entre des agissements de nature différente. Et il a relevé que s’il était question d’une atteinte portée à la dignité des fonctions dans les deux cas, cette atteinte était différente dans sa nature puisque, pour être punissable, l’outrage doit être adressé directement à la personne outragée ou procéder d’une volonté que les propos lui soient rapportés par une personne présente. En d’autres termes, l’outrage n’est punissable que s’il atteint le titulaire des fonctions (Rép. pén. Dalloz, préc., no 56), ce qui suppose à la fois l'intention du prévenu de faire parvenir l'outrage à la personne concernée et la connaissance effective de l'outrage par cette dernière (V. concernant l’outrage à magistrat de l’art. 434-24 C. pén., Crim. 26 oct. 2010, 09-88.460 ; Crim. 1er mars 2016, no 15-82.824). A l’inverse, l’injure publique n’a pas à être adressée directement à l’intéressé ou destinée à lui être rapportée ; il suffit qu’elle procède d’un acte de publication, c’est-à-dire qu’elle ait été mise à disposition du public en général par l’un des moyens énumérés à l’article 23 de la loi sur la presse. Les deux agissements étant de nature différente, le principe d’égalité devant la loi est préservé.
Le Conseil s’est également prononcé sur le grief tiré d’une violation de la liberté d’expression (DDH, art. 11). Sur ce point, et après avoir rappelé que le législateur pouvait édicter des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et donc instituer des incriminations pour réprimer les abus, il estime qu’en réprimant un abus de la liberté d’expression portant atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers, « le législateur n’a pas porté à la liberté d’expression une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée » (jugeant que les propos de nature à porter atteinte à la dignité d’agents publics et au respect dû à leurs fonctions n’entrent pas dans le champ de l’article 10, §1, Conv. EDH, V. Crim. 29 mars 2017, n° 16-80.637 ; pour la condamnation d’un député pour outrage jugée conforme à la Convention, CEDH 9 janv. 2018, Meslot c/ France, n° 50538/12).
La coexistence de deux ensembles législatifs distincts a toujours posé difficultés (V. Delbos, Rép. pén. préc. no 103). Si la ratio legis paraît différente – l’outrage protégeant « d’abord l'ordre public et plus largement des règles du vivre ensemble », l’injure étant destinée à préserver la liberté d'expression (ibid.) – un conflit de qualifications demeure possible et, selon le choix de poursuite opéré, les règles applicables sont différentes, notamment en matière de prescription et de droits de la défense (le régime de la loi sur la presse étant nettement plus favorable aux auteurs que le régime de droit commun). Si la jurisprudence ancienne a eu tendance à faire primer les dispositions du Code pénal sur les règles spéciales prévues par la loi sur la presse (ibid., no 110), la décision du Conseil constitutionnel s’appuie donc sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui consiste à identifier le destinataire des propos pour déterminer le texte applicable.
Références
■ Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-896 QPC
■ Crim. 26 oct. 2010, no 09-88.460 P: D. 2011. 570, note E. Dreyer ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2011. 74, note G. Roussel
■ Crim. 1er mars 2016, no 15-82.824 P: Dalloz actualité 15 mars 2016, obs. S. Lavric ; RSC 2016. 63, obs. Y. Mayaud ; Dr. pénal 2016. Comm. 92, obs. P. Conte
■ Crim. 29 mars 2017, n° 16-80.637 P: Dalloz actualité 3 mai 2017, obs. S. Lavric ; D. 2017. 818 ; AJ pénal 2017. 278, note D. Luciani-Mien ; Légipresse 2017. 245; ibid . 386, Étude A. Serinet ; Dr. pénal 2017, comm. 86, obs. S. Detraz
■ CEDH 9 janv. 2018, Meslot c/ France, n° 50538/12: Dalloz actualité 9 févr. 2018, obs. S. Lavric
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