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[ 25 avril 2022 ] Imprimer

Droit pénal général

Policiers brûlés à Viry-Châtillon : condamnation définitive pour tentative de meurtre à l’occasion d’une scène unique de violence

Lorsque des violences ont été exercées volontairement et simultanément, avec une intention d’homicide, par plusieurs accusés, au cours d’une scène unique, l’infraction peut être appréciée dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire pour les juges du fond de préciser la nature des violences exercées par chacun des accusés sur chacune des victimes.

Crim. 23 mars 2022, n° 21-82.958 B

Le 8 octobre 2016, dans l’une des cités les plus sensibles d’Île-de-France, plusieurs individus avaient attaqué à coups de pavés et cocktails Molotov des policiers qui patrouillaient à bord de leur véhicule. Dans cet arrêt du 23 mars 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’assises des mineurs de Paris, qui pour tentative de meurtre aggravé, avait condamné l’ensemble des coauteurs, mineurs au moment des faits, à 18 ans de réclusion criminelle.

Pour la cour d’assises, les faits constituaient une scène unique de violence, qui doit être appréciée dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de préciser les faits et gestes de chacun des participants.

Au moyen de son pourvoi, l’un des prévenus contestait cette décision. Selon lui, la cour d’assises l’avait condamné pour tentative de meurtre aggravé sans caractériser ni l’élément matériel de la tentative, ni le moindre acte positif susceptible de causer la mort des policiers. En d’autres termes, il n’était pas auteur au sens de l’article 121-4 du code pénal, en ce qu’il n’avait ni commis, ni tenté de commettre une infraction en l’occurrence ici, une tentative de meurtre aggravé. Selon lui, sa participation ne pouvait pas être appréciée de manière globale et indivisible mais au contraire, les juges devaient prouver que son comportement avait de manière certaine causé le dommage.

Au cœur des débats se situaient donc des notions centrales de droit pénal général que sont notamment la définition de l’auteur d’une infraction, la caractérisation de la tentative de meurtre à travers la preuve des éléments matériel et intentionnel mais aussi et surtout, une théorie bien connue des pénalistes qui s’illustre en matière de violences commises en groupe, à savoir : la scène unique de violence. Dans ces situations où plusieurs personnes sont impliquées, la démonstration tant de l’existence, que de la certitude du lien de causalité peut parfois poser difficulté. Dans ces cas, il est en effet très difficile de savoir qui est à l’origine du dommage constitutif de l’infraction. Commises à plusieurs, les violences sont si proches les unes des autres qu’il devient très difficile, voire impossible, de les démêler et de les appréhender dans leur matérialité propre. Elles échappent à toute individualisation par les circonstances mêmes de leur réalisation. La solution en jurisprudence consiste alors à les considérer comme une seule action commune, la pluralité des violences se fondant dans une seule et unique scène.

Comme l’explique le Professeur Mayaud (Y. Mayaud, Rép. pén., v° Violences volontaires – L’action violente, déc. 2021, n° 55 à 68, spéc. n° 62), la scène unique de violence est l’équivalent en matière intentionnelle des fautes conjuguées dans le domaine non intentionnel, lorsque les faits ne permettent pas de préciser la part prise par chacun des prévenus dans une action partagée de coups ou de blessures sur la même victime. Il en résulte une forte incertitude, qui devrait générer, au bénéfice du doute, des décisions d'irresponsabilité. Mais, depuis de nombreuses années, la Cour de cassation rejette cette solution. Elle décide que « lorsque des blessures ont été faites volontairement par plusieurs prévenus au cours d'une scène unique de violence, l'infraction peut être appréciée dans son ensemble, sans qu'il soit nécessaire, pour les juges du fond, de préciser la nature des coups portés par chacun des prévenus à chacune des victimes » (Crim. 13 juin 1972, n° 71-92.246 ; Crim. 10 avr. 1975, n° 74-92.978).

Est en conséquence justifié « l'arrêt qui, sans pouvoir préciser la part individuellement prise par chacun des prévenus dans une scène unique de violences et la nature des coups portés par chacun, constate du moins, appréciant l'infraction dans son ensemble, que chacun d'entre eux a exercé des violences sur la victime » (Crim. 19 nov. 1958, n° 56-38.57). Ces formules sont reprises dans l’arrêt commenté mais adaptées cette fois-ci à la tentative de meurtre : « Lorsque des violences ont été exercées volontairement et simultanément, dans une intention homicide, par plusieurs accusés, au cours d’une scène unique, l’infraction peut être appréciée dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire pour les juges du fond de préciser la nature des violences exercées par chacun des accusés sur chacune des victimes ».

Bien que connues, ces formules sont très révélatrices de l’opération réductrice au cœur de cette théorie et qui était très précisément dénoncée par le pourvoi. En apparence, cette théorie pourrait mettre en échec à la fois le principe de responsabilité pénale personnelle en consacrant une responsabilité pénale collective incarnée par le groupe d’individus, mais aussi la présomption d’innocence en ne respectant pas la règle in dubio pro reo qui veut que le doute profite au prévenu.

Au moyen de son pourvoi l’intéressé considérait à ce titre que la cour d’assises n’avait pas justifié sa décision au regard des articles 121-4121-5221-1 et 221-4 du code pénal en ce qu’elle n’avait pas caractérisé le comportement matériel individuel du prévenu. Elle le condamnait pourtant à 18 ans de réclusion criminelle sans rapporter la preuve de son implication directe et personnelle et donc sans preuve de l’imputation des coups ou du lancer du cocktail Molotov directement dans l’habitacle du véhicule.

Mais en réalité, la notion de scène unique de violence ne relève pas d’une responsabilité collective, qui ferait de chacun des prévenus un responsable pour tous. Conformément au principe de responsabilité pénale personnelle, chaque prévenu se voit reproché son propre fait, tiré de sa participation à l’action commune génératrice du dommage : ici, l’appartenance à la bande de la « Serpente », la préparation des cocktails Molotov, la dissimulation des visages par des cagoules, et surtout, le fait pour les seize prévenus vêtus de noir « d’arriver groupés, en courant, à l’arrière d’un des véhicules de police », tout en étant « porteurs de pavés et de douzaine de cocktails Molotov déjà allumés, lancés à très courte distance dans l’habitable du véhicule qui s’est immédiatement embrasé alors que deux policiers se trouvaient à l’intérieur ».

La Cour de cassation en conclut alors que « les violences ont été exercées volontairement et simultanément, dans une intention homicide (…) sans qu’il soit nécessaire pour les juges du fond de préciser la nature des violences exercées par chacun des accusés sur chacune des victimes ». Ainsi, les comportements de tous les prévenus sont saisis dans ce qu’ils incarnent une action unique, globale et « inextricable » afin d’apprécier une seule et même infraction, dérivée de cette unité d’ensemble (X. Pin, Droit pénal général, coll. « Cours », Dalloz, 2022, n° 190).

Les conséquences en sont importantes pour le prévenu. D’abord, en termes de participation, puisqu’il n’est pas considéré comme auteur d’une infraction qui serait différente en fonction de chaque protagoniste, mais comme un des coauteurs d’une infraction unique. Ensuite, en termes de qualification, puisque comme les autres agresseurs, il est poursuivi sous l’incrimination correspondant au dommage effectivement subi par les policiers, ici une tentative de meurtre aggravée. Enfin en termes de condamnation, ayant participé à cette scène unique meurtrière, il encourt alors la réclusion criminelle à perpétuité.

Références :

■ Crim. 13 juin 1972, n° 71-92.246D. 1972. Somm. 202 ; RSC 1973. 879, obs. Larguier.

■ Crim. 10 avr. 1975, n° 74-92.978

■ Crim. 19 nov. 1958, n° 56-38.57 

 

 

Auteur :Laura Pignatel


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