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[ 13 avril 2010 ] Imprimer

Droit administratif général

Port du voile intégral : de fortes incertitudes juridiques pèsent sur une interdiction générale

Mots-clefs : Voile intégral, Conseil d’État, Rapport, Interdiction générale et absolue, Dissimulation du visage

La Section du rapport et des études du Conseil d’État a remis, à la demande du Premier ministre, un rapport relatif aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, le 30 mars 2010.

Ce rapport aborde la question du voile d’un point de vue strictement juridique. Les aspects politiques et sociologiques de la pratique du port du voile intégral sur le territoire national avaient été traités par la Mission d’information de l’Assemblée nationale.

Le Conseil d’État a posé la question suivante : peut-on juridiquement envisager, pour quels motifs et avec quelles limites, d’interdire le port du voile intégral en tant que tel, ou est-on conduit de manière plus générale, à discuter de l’interdiction de la dissimulation du visage dont cette tenue est une des formes ?

Selon le Conseil d’État, l’interdiction générale et absolue du seul voile intégral sur le territoire national ne peut être envisagée. Aucun fondement juridique ne pourrait réellement le justifier. Si le principe de laïcité permet d’interdire le port de signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires publics, c’est en raison de la nature particulière de ce service et de la vulnérabilité des enfants. Il ne saurait permettre de prohiber de manière générale qu’une personne exprime ses convictions religieuses dans la sphère publique, si elle ne fait pas acte de prosélytisme. Par ailleurs, l’invocation de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, comme fondement d’une interdiction générale du port du voile intégral dans l’espace public, est incertaine. En effet, le principe de dignité implique le respect de la liberté individuelle. Or, il apparaît que le port du voile intégral serait volontaire dans la majorité des cas. Quant au principe d’égalité entre les hommes et les femmes, il n’a pas vocation à être opposé à la personne elle-même, à l’exercice de sa liberté personnelle. Enfin, la sécurité publique n’est pas non plus menacée par le port du voile intégral en tant que tel.

Etablissement d’une règle fondée sur le principe de sécurité publique

La question d’une interdiction générale sous toutes ses formes de la dissimulation volontaire du visage dans l’ensemble de l’espace public présenterait également un risque juridique (mise en cause de la liberté personnelle…), selon le Conseil d’État. Néanmoins, une règle applicable à tous pourrait être envisageable si elle se fondait sur le principe de sécurité publique, composante de l’ordre public, et l’exigence de lutte contre la fraude. Elle devrait alors être circonscrite à des circonstances particulières de temps et de lieux. Ainsi le Conseil d’État envisage-t-il deux dispositifs :

-          le premier consiste à confier au préfet un pouvoir de police spéciale portant sur l’interdiction de la dissimulation du visage et susceptible d’être exercé en tout lieu ouvert au public dès lors que la sauvegarde de l’ordre public l’exige, en fonction des circonstances locales ;

-          le second dispositif envisagé porte sur une interdiction permanente de toute dissimulation volontaire du visage définie par la loi ou le règlement dans certaines circonstances. Ainsi, pourrait-il en être lorsque l’entrée et la circulation dans certains lieux nécessitent des vérifications liées à l’identité et à l’âge ou lorsque la délivrance de certains biens et services impose l’identification des individus.

Mécanisme de sanctions envisagés

Enfin, l’instauration d’une interdiction de la dissimulation du visage devrait être assortie d’un mécanisme de sanctions :

-          le premier type de sanction consisterait en une injonction de médiation sociale. Les personnes ne respectant pas l’obligation de découvrir leur visage auraient un entretien ou participeraient à des actions organisées par des associations investies dans la défense des droits de la femme ou dans la prévention de la délinquance ;

-          le second mécanisme de sanctions serait une incrimination pénale spécifique pour quiconque imposerait à autrui, par violence, menace ou contrainte de se dissimuler le visage.

Le Conseil d’État ne formule en l’espèce pas de proposition mais donne un éclairage juridique et suggère des pistes juridiquement possibles. Les pouvoirs publics décideront ensuite de l’opportunité de légiférer et du contenu éventuel des dispositions législatives et réglementaires. Notons également que la résolution sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte sera débattue le 11 mai prochain à l’Assemblée nationale.

Rapport de la Section du rapport et des études du Conseil d’État adopté par l’assemblée générale plénière, le jeudi 25 mars 2010.

Références

Laïcité

« Principe d’organisation et de fonctionnement des services de l’État et de toutes les autres personnes publiques, selon lequel l’État est non confessionnel. Toute une série de conséquences en sont tirées. Notamment, il ne doit favoriser ou défavoriser la propagation des croyances ou des règles de vie en société d’aucune religion, spécialement, s’accorde-t-on à penser, dans le cadre de l’enseignement primaire et secondaire.

Pour des raisons historiques, ce principe ne s’applique pas dans les départements d’Alsace-Lorraine avec un contenu aussi large qu’ailleurs. »

Atteinte à la dignité de la personne humaine

« Manquement à la considération due à la personne humaine, sous forme notamment de discriminations, de proxénétisme, de recours à la prostitution d’un mineur, de conditions abusives de travail ou d’hébergement, de bizutage, ou de violation de sépulture. »

Ordre public

« Vaste conception d’ensemble de la vie en commun sur le plan politique et juridique. Son contenu varie évidemment du tout au tout selon les régimes. À l’ordre public s’opposent, d’un point de vue dialectique, les libertés individuelles dites publiques ou fondamentales et spécialement la liberté de se déplacer, l’inviolabilité du domicile, la liberté de pensée, la liberté d’exprimer sa pensée. L’un des points les plus délicats est celui de l’affrontement de l’ordre public et de la morale. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

Rapport n° 2262 du 26 janv. 2010, AJDA 2010. 124.

 

Auteur :C. G.


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