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[ 19 novembre 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

Portée de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : « particulière vulnérabilité de la victime » v. « insanité d’esprit du testateur »

Mots-clefs : Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, Primauté du criminel sur le civil, Motifs nécessaires, Dispositif, Particulière vulnérabilité, Abus de faiblesse, Insanité d’esprit, Consentement, Manifestation de la volonté, Nullité du testament

Dans un arrêt du 24 octobre 2012, la Cour de cassation rappelle que  l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé. Ainsi, la reconnaissance par le juge pénal de la particulière vulnérabilité d’une personne, incapable de manifester sa volonté, s’impose au juge civil saisi d’une action en nullité d’un testament.

Le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, proclamé par la Cour de cassation en 1855, souffre d’une absence de définition et de consécration légales qui rend difficile le dessin de ses contours. Il est constant, et la Cour le rappelle dans l’attendu de principe de son arrêt du 24 octobre 2012, que cette règle « s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé ». Si la règle ne s’attache en principe qu’au dispositif de la décision (Civ. 2e, 18 févr. 1971), la Cour de cassation estime traditionnellement et réaffirme dans cet arrêt qu’elle s’étend également aux « motifs qui en sont le soutien nécessaire ».

En l’espèce, la demanderesse au pourvoi s’était vue instituer légataire universelle de sa tante par testament olographe le 20 novembre 1996. Or, le testament est révoqué par son auteur qui en rédige un second le 24 septembre 2003 instituant cette fois une autre femme, légataire universelle. Condamnés du chef d’abus de faiblesse perpétré au préjudice de la rédactrice du testament par le tribunal de grande instance d’Arras statuant en matière correctionnelle, la dernière légataire en date et son époux sont ensuite assignés devant les juridictions civiles par l’ex-légataire qui demande notamment l’annulation du testament du 24 septembre 2003 pour cause d’insanité d’esprit de la testatrice.

La demanderesse reproche à la cour d’appel de Douai d’avoir estimé, pour rejeter l’application du principe d’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, qu’il n’y avait pas d’identité entre la particulière vulnérabilité de la victime, élément constitutif de l’infraction d’abus de faiblesse, à l’époque où elle a rédigé le testament, et l’obnubilation de l’intelligence ou de la faculté de discernement nécessaire à l’annulation de l’acte litigieux. La demanderesse devait donc prouver l’insanité d’esprit au moment de la signature de l’acte.

La Cour de cassation n’identifie pas expressément la particulière vulnérabilité de la victime à l’insanité d’esprit mais censure toutefois la cour d’appel qui n’a pas tenu compte du fait que pour déclarer les prévenus coupables d’abus de faiblesse, « la juridiction pénale avait retenu, par un motif qui en était le soutien nécessaire, que [Mme] X. ne pouvait manifester sa volonté, caractérisant son insanité d’esprit lors de la rédaction du second testament ». À partir du moment où le juge pénal reconnaît clairement une impossibilité d’exprimer le consentement à un acte, le juge civil doit en tenir compte malgré les nuances qui peuvent exister entre la notion pénale de « particulière vulnérabilité » et l’ « insanité d’esprit », notion plus familière au juge civil. Les réalités auxquelles renvoient ces deux notions se recouvrent alors.

Cette solution, en étendant à l’instance civile les conséquences de la reconnaissance de l’incapacité pour la victime de manifester sa volonté, semble conforme au but de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. Ce principe tend à éviter les contradictions et à garantir la cohérence des décisions de justice entre juridictions civiles et juridictions pénales.

Cette décision témoigne en outre du fait que la portée du principe d’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil est très étendue. La détermination de cette portée fait d’ailleurs l’objet d’une jurisprudence abondante et casuistique qui oblige le juge civil à connaître avec précision les décisions de son homologue pénal. Ainsi, la Cour, pour des faits similaires à ceux de l’espèce commentée, avait accordé l’autorité de la chose jugée à la constatation par le juge pénal de l’insanité d’esprit en dépit de la relaxe des prévenus des chefs d’abus de faiblesse (Civ. 2e, 5 juillet 2006). La portée de l’autorité de la chose jugée s’attache donc aux qualifications opérées par le juge pénal alors même que ce dernier ne tire aucune conséquence répressive de ses propres constatations. Le juge civil n’est pas tenu par le seul dispositif de la décision.

Il convient de retenir que cette règle est moins vigoureuse depuis l’adoption du principe de dualité des fautes civiles et pénales (v. Civ. 2e, 10 mai 2012). En effet, depuis la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels qui modifie l’article 4-1 du Code de procédure pénale, l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait plus obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles sur le fondement de l’article 1383 du Code civil si l’existence d’une faute civile est établie. Le juge civil retrouve donc une certaine autonomie vis-à-vis du juge pénal.

Civ. 1re, 24 oct. 2012, n° 11-20.442, F-P+B+I

Références

 Civ. 2e, 10 mai 2012, n° 11-14.739.

 Civ. 2e, 5 juill. 2006, n°05-13.885.

 Civ. 2e, 18 févr. 1971, n°69-14.803.

 Article 4-1 du Code de procédure pénale

« L'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie. »

 Article 1383 du Code civil

« Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

 

Auteur :C.D.d.B.


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