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[ 2 avril 2020 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Portée de l’autorité du pénal sur le civil

En cas d'appel d'un jugement correctionnel ayant déclaré le prévenu coupable des faits reprochés, dont la responsabilité est alors acquise, l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s’étend pas à l'indemnisation du préjudice résultant de cette infraction.

Un homme est agressé par un inconnu à son domicile. Un tribunal correctionnel déclare l’auteur des faits coupable de violences avec arme ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à huit jours. Mais après avoir repris le travail, la victime est de nouveau arrêtée en raison d’un syndrome post-traumatique sévère. Après que celle-ci se soit constituée partie civile, le tribunal correctionnel, statuant sur la seule action civile, condamne le prévenu à lui verser une certaine somme en réparation de son préjudice corporel. La partie civile saisit une commission d’indemnisation des victimes d’infractions aux fins de réparation de son préjudice.

La cour d’appel déclare irrecevable la demande d’indemnisation aux motifs que celle-ci se fonde sur l’article 706-3 du Code de procédure pénale, qui dispose que « toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d’une infraction, peut obtenir la réparation intégrale des dommages résultant des atteintes à la personne, lorsque, notamment, ces faits ont entraîné une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois. Or, les décisions pénales ayant au civil l’autorité absolue de la chose jugée concernant la qualification du fait incriminé, le jugement correctionnel ayant retenu une incapacité totale de travail (ITT) inférieure à huit jours, en l’occurrence cinq jours, les juges du second degré considèrent qu’une telle qualification ne permet pas l’application du texte précité.

Un pourvoi est formé par la partie civile, au moyen que « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements nouveaux sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice », en l’occurrence, l’incapacité totale professionnelle due au syndrome post-traumatique apparu postérieurement au jugement.

La Haute juridiction, au visa des articles 1355 du Code civil, 4 et 706-3 du Code de procédure pénale, censure l’arrêt d’appel. Elle énonce qu’il « résulte des deux premiers de ces textes que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s’étend qu’à ce qui a été nécessairement décidé par le juge répressif quant à l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, à sa qualification et à l’innocence ou la culpabilité de celui à qui le fait est imputé ».

Ainsi, l’autorité de la chose jugée attachée au jugement reconnaissant coupable le prévenu, ne faisait pas obstacle à ce qu’il fût jugé, que les faits dénoncés avaient entraîné, pour la victime, une incapacité totale de travail personnel supérieure à celle retenue par le juge répressif pour l’application du texte pénal d’incrimination. La cour d’appel aurait alors dû rechercher si l’incapacité totale de travail personnel était égale ou supérieure à un mois.

Il est depuis longtemps acquis que s’il n’est pas permis aux juges civils de méconnaître ce qui a été jugé par une juridiction répressive soit quant à l’existence du fait qui forme la base commune de l’action pénale et de l’action civile, soit quant à la participation du contrevenant à ce même fait, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’à ce qui a été nécessairement jugé à cet égard et les tribunaux civils conservent leur entière liberté d’appréciation toutes les fois qu’ils ne décident rien d’inconciliable avec ce qui a été jugé au criminel (Req. 15 janv. 1945), notamment lorsque leurs décisions statuent, accessoirement à l’action pénale, sur des dommages-intérêts, ces décisions, n’intervenant que dans un intérêt purement privé, restant soumises au principe de la relativité de la chose jugée (Com. 22 juill. 1952; dans le même sens, Civ. 2e, 3 mai 2006, n° 05-11.339) comme au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond du montant à allouer en réparation du préjudice, qu’ils restent libres d’évaluer, dans la limite toutefois des faits constatés par le juge pénal (v. Crim. 1er juin 2016, n° 15-80.721, reprochant à la cour d’appel de s’être « interdit(e) d'apprécier elle-même le montant du dommage » en ayant fixé le montant des dommages-intérêts dus par une personne déclarée coupable de recel d'abus de biens sociaux à celui retenu par la condamnation pénale). 

Ainsi, en l’espèce, bien que le jugement correctionnel, ayant déclaré le prévenu coupable des faits qui lui étaient reprochés, ait retenu une durée d’ITT incompatible avec la demande d’indemnisation du préjudice fondée sur l’article 706-3 du Code de procédure pénale, l’autorité de la chose jugée de sa décision, cantonnée à la décision de culpabilité du prévenu, ne s’opposait pas au réexamen des faits en cause d’appel, ie la durée d’incapacité de travail, pour que fût apprécié le bien-fondé de l’action indemnitaire engagée sur une base distincte de celle fondatrice de l’action pénale. En effet, le seul fait formant la base commune des deux actions et ayant fait l’objet d’une décision pénale définitive concernait le fait délictueux des violences constatées et condamnées. Mais l’appel interjeté l’ayant été dans la limite des seules dispositions civiles du jugement correctionnel ayant déclaré le prévenu coupable des faits reproché, si la responsabilité du prévenu était par ce jugement acquise, l'indemnisation du préjudice lié à l’ITT résultant de ses agissements, restait quant à lui en discussion, dans la limite des faits constatés par le juge pénal (Crim. 1er juin 2016, préc.).

Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-12.720

Références

■ Req. 15 janv. 1945 : D. 1945. 220

■ Com. 22 juill. 1952 : D. 1952. 746

■ Civ. 2e, 3 mai 2006, n° 05-11.339 P : D. 2006. 1400

■ Crim. 1er juin 2016, n° 15-80.721 P : D. 2016. 1257 ; Rev. sociétés 2017. 240, note B. Bouloc ; RTD com. 2016. 877, obs. B. Bouloc

 

Auteur :Merryl Hervieu

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