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[ 2 octobre 2017 ] Imprimer

Procédure civile

Portée de l’obligation de motivation

Mots-clefs : Résidence, Droit à un procès équitable, Motivation, Pièces, Argumentation

La cour d’appel n’est pas tenue de suivre en détail l’argumentation du demandeur au pourvoi, ni de s’expliquer sur les pièces qu’elle décide d’écarter.

Un jugement avait fixé la résidence d’un enfant au domicile de la mère, avec un droit de visite en lieu neutre au profit du père. Le procureur de la République avait ensuite ordonné le placement de l’enfant à l’aide sociale à l’enfance. En appel, la cour prononce la main levée du placement, confie l’enfant à la mère et limite le droit de visite du père. Ce dernier forme alors un pourvoi en cassation.

Le 14 septembre 2017, en application de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, le pourvoi est rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation. Selon elle, l’exigence d’un procès équitable ne contraint pas le juge à suivre en détail l’argumentation qui lui est soumise. Elle ne l’oblige pas non plus à justifier les pièces qu’il décide d’écarter. L’obligation de motivation, c’est-à-dire de fonder en droit et en fait une décision, est à nouveau précisée. L’arrêt est riche en enseignements.

D’abord, il contient les fondements de l’obligation de motivation, principe à valeur constitutionnelle (Cons. const. 3 nov. 1977, no 77-101 L). D’un côté, le demandeur au pourvoi mentionne une violation de l’article 455 du Code de procédure civile, en vertu duquel : « Le jugement doit être motivé », et dont la violation est sanctionnée par la nullité (C. pr. civ., art. 458). D’un autre côté, la haute juridiction se réfère à l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme dont découle implicitement l’obligation de motivation (CEDH 30 nov. 1987, H. c/ Belgique, no 8950/80). 

Ensuite, il reflète la dualité de ladite obligation qui revêt deux caractères. Le premier est d’ordre quantitatif. Le juge doit analyser, même de façon sommaire, les éléments de preuve produits (Civ. 3e, 20 déc. 1995, no 94-12.594. Com. 29 juin 2010, no 09-68.115). Il lui est interdit de statuer par des considérations générales (Civ. 1re, 17 févr. 2004, no 02-10.755). Il ne peut pas non plus se déterminer sur la seule allégation d’une partie ou sur des pièces qu’il n’analyse pas (Soc. 1er févr. 1996, no 94-15.354). Il n’est cependant pas tenu de s’expliquer spécialement sur les éléments de preuve qu’il décide d’écarter (Civ. 1re, 3 juin 1998, no 96-15.833. Com. 9 févr. 2010, no 08-18.067). La Cour le confirme. 

Le second est d’ordre qualitatif. Le juge a l’obligation d’expliquer clairement les raisons qui le conduisent à se déterminer. A titre d’illustration, les motifs ne doivent pas être contradictoires. Le pourvoi le rappelle. La Cour écarte toutefois cet argument considérant que les juges n’étaient pas tenus de suivre dans le détail l’argumentation du demandeur au pourvoi. 

Enfin, la décision illustre la souplesse de l’appréciation de l’obligation de motivation. La Cour de cassation affirme à deux reprises que la cour d’appel « n’était pas tenue de s’expliquer sur les pièces qu’elle décidait d’écarter ». En outre, elle autorise le juge à motiver sa décision en reprenant à son compte une partie des arguments avancés par l'une des parties (V. également, Com. 16 juill. 1991, no 89-21.860).

Les juges font ici corps avec la Cour européenne des droits de l’homme qui octroie aux juridictions internes une marge d’appréciation dans le choix des arguments et l’admission des preuves (CEDH 1er juill. 2003, Suominen c/ Finlande, no 37801/97). Elles n’ont pas à détailler leur réponse pour chaque argument (CEDH 19 avr. 1994, Van de Hurk c/ Pays-Bas, n16034/90. CEDH 21 janv. 1999, García Ruiz c/ Espagne, no 30544/96. CEDH 29 août 2000, Jahnke et Lenoble c/ France, no 40490/8. CEDH 21 févr. 1986, James et a. c/ Royaume Uni, n° 8793/79. CEDH, gr. ch., 12 févr. 2004, Perez c/ France, no 47287/99). Seul les moyens décisifs pour l’issue de la procédure exige une réponse spécifique et explicite (CEDH 9 déc. 1994, Ruiz Torija c/ Espagne, no 18390/91. CEDH 9 déc. 1994, Hiro Balani c/ Espagne, no 18064-91).

La Cour de cassation apprécie donc, dans cet arrêt, sous l’angle du droit au procès équitable, la portée de l’obligation de motivation, à défaut de laquelle il n’y aurait pas d’équité. 

Civ. 1re, 14 septembre 2017, no 17-12.518

Références

■Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Article 6 § 1 

« Droit à un procès équitable 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique,  lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

■ Cons. const. 3 nov. 1977, no 77-101 L.

■ CEDH 30 nov. 1987, H. c/ Belgique, no 8950/80.

■ Civ. 3e, 20 déc. 1995, no 94-12.594. 

■ Com. 29 juin 2010, no 09-68.115.

■ Civ. 1re, 17 févr. 2004, no 02-10.755 P : D. 2004. 824, concl. F. Cavarroc ; RTD civ. 2004. 367, obs. J.-P. Marguénaud.

■ Soc. 1er févr. 1996, no 94-15.354 P : Dr. soc. 1996. 414, concl. P. Lyon-Caen.

■ Civ. 1re, 3 juin 1998, no 96-15.833.

■ Com. 9 févr. 2010, no 08-18.067.

■ Com. 16 juill. 1991, no 89-21.860 P : D. 1992. 117, obs. A. Bénabent ; RDI 1992. 70, obs. P. Malinvaud et B. Boubli.

■ CEDH 1er juill. 2003, Suominen c/ Finlande, no 37801/97.

■ CEDH 19 avr. 1994, Van de Hurk c/ Pays-Bas, n16034/90. 

■ CEDH 21 janv. 1999, García Ruiz c/ Espagne, no 30544/96. 

■ CEDH 29 août 2000, Jahnke et Lenoble c/ France, no 40490/8. 

■ CEDH 21 févr. 1986, James et a. c/ Royaume Uni, n° 8793/79. 

■ CEDH, gr. ch., 12 févr. 2004, Perez c/ France, no 47287/99 : D. 2004. 734; RSC 2004. 698, obs. F. Massias.

■ CEDH 9 déc. 1994, Ruiz Torija c/ Espagne, no 18390/91 : D. 1996. 202, obs. N. Fricero.

■ CEDH 9 déc. 1994, Hiro Balani c/ Espagne, no 18064-91 : D. 1996. 202, obs. N. Fricero.

 

Auteur :P. M.

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