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[ 18 janvier 2023 ] Imprimer

Droit de la famille

Possession d’état : l’absence avérée de lien biologique n’empêche pas l’établissement de la filiation

Saisie d’une demande d’avis, la première chambre civile de la Cour de cassation considère que la circonstance que le demandeur à l’action en constatation de la possession d’état ne soit pas le père biologique de l’enfant ne représente pas, en soi, un obstacle au succès de sa prétention.

Civ. 1re, 23 nov. 2022, n° 22-70.013 B

Dès lors qu’elle est constatée dans un acte de notoriété, la possession d’état permet l’établissement d’un lien de filiation dont la particularité tient dans sa dimension essentiellement sociologique. En effet, « la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir » (C. civ., art. 311-1), dont les relations mutuelles du prétendu parent et de l’enfant (tractatus), du nom que ce dernier porte (nomen) et de l’opinion favorable de l’entourage et de la collectivité sur la réalité de cette filiation (fama). S’il n’est pas indispensable que tous ces éléments soient réunis pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une possession d’état, il convient, afin que celle-ci produire ses effets, qu’elle revête certaines qualités dont la réunion est cette fois impérative : en vertu de l’article 311-2 du Code civil, « elle doit être continue, paisible, publique et non équivoque ».

C’est sur la caractérisation de ces deux derniers éléments que le tribunal de Mulhouse est venu interroger la Cour de cassation, après avoir été saisi d’une action en constatation de la possession d’état de père d’un homme à l’égard d’une enfant mineure placée dans une maison d’enfants à caractère social. Le tribunal entendait être éclairé sur le point de savoir si l’absence avérée de lien biologique, notamment auprès de l’organisme public dans lequel était placée l’enfant, entre celle-ci et le demandeur, empêchait de caractériser la publicité et l’univocité exigées de la possession d’état et ainsi, de constater l’existence de leur lien de filiation dans un acte de notoriété : « Dans la mesure où l’article 311-1 du code civil prévoit que la réunion suffisante de faits caractérisant la possession d’état est censée « révéler » le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir, une filiation à l’égard d’un demandeur dont il est constant qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant peut-elle être établie dans le cadre de l’action en constatation de la possession d’état prévue à l’article 330 du code civil ? ».

Autrement dit, la possession d’état peut-elle être constatée dans un acte de notoriété alors même que le lien de filiation qu’elle est censée révéler est contredit par l’absence notoire de lien biologique entre l’enfant et le demandeur ?

Après avoir rappelé les dispositions précitées de l’article 311-1 du Code civil énumérant les principaux faits révélant un lien de filiation (famatractatus et nomen) et celles de l’article 311-2 qui en précisent les caractères (continue, paisible, publique et non équivoque), la Cour de cassation considère que la possession d’état étant fondée sur l’apparence d’une réalité biologique et correspondant à une réalité affective, matérielle et sociale, « la circonstance que le demandeur à l’action en constatation de la possession d’état ne soit pas le père biologique de l’enfant ne représente pas, en soi, un obstacle au succès de sa prétention ».

L’affirmation est conforme à la notion de filiation, qui se présente comme un lien de droit et non comme un lien de fait (biologique) (« la filiation est un lien de droit (et) en cela, elle diffère du lien charnel, lien biologique, qui en est le support », A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, PUF, 1996, p. 231). Elle l’est également, voire d’autant plus, à la filiation par possession d’état, qui repose sur une réalité affective et sociologique distincte de la réalité biologique. La Cour de cassation souligne ainsi que la possession d’état est « fondée sur l’apparence d’une réalité biologique », et non sur la réalité biologique elle-même. Il est donc indifférent que le demandeur soit biologiquement le géniteur de l’enfant, dès lors que leur lien prend l’apparence d’une filiation biologique révélant, conformément à l’exigence légale, une relation de nature filiale. Ne pas être le père biologique d’un enfant n’empêche donc pas d’en être le père juridique à la condition, au demeurant essentielle, de réunir les conditions de la possession d'état posées par les articles 311-1 et 311-2 du Code civil. Ainsi la Cour de cassation renforce-t-elle la dimension factuelle, affective et sociologique de ce mode de filiation par cet avis dont les conséquences possibles pourraient renouveler notablement le rôle de la possession d’état ?

La première concerne la situation du beau-parent dans un couple hétérosexuel (l’exigence rappelée par la Cour de cassation d’une apparence de réalité biologique exclut de fait les couples de même sexe). Même après la séparation du couple et malgré l’opposition de l’autre parent, le beau-parent de l’enfant pourrait faire établir sa filiation par un acte de notoriété, qui ne serait donc pas susceptible d’être contestée du fait de son absence de réalité biologique. La seconde concerne la filiation de la mère d’intention d’un enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger.

Rappelons qu’à l’effet de mettre un terme à la jurisprudence de la Cour de cassation ayant admis la transcription intégrale de l’acte de naissance de l’enfant (Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-12.327 ; 18 nov. 2020, n° 19-50.043), la loi de bioéthique du 2 août 2021 (n° 2021-1017), en rappelant l’impératif de conformité des faits relatés par l’acte d’état civil établi à l’étranger à la réalité « appréciée au regard de la loi française » (C. civ., art. 47), a ainsi opéré un retour au droit antérieur, ne permettant la transcription de l’acte de naissance qu’à l’égard du seul parent biologique, le parent d’intention se voyant en conséquence contraint de recourir à l’adoption. Or ce dernier pourrait désormais en être dispensé en rapportant la preuve des éléments constitutifs de la possession d’état : l’absence de réalité du lien biologique n’étant pas un obstacle à l’établissement d’un acte de notoriété, la possession d’état se présenterait ainsi comme un moyen d’établissement de la maternité d’intention, cette possibilité ayant d’ailleurs été explicitement évoquée dans la jurisprudence de la Cour de cassation (v. Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053).

Cependant, l’exigence d’univocité de la possession d’état suppose en principe que la possession d’état ne soit pas contraire à l’ordre public, notamment à la prohibition de la gestation pour autrui (Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 09-17.130). Il n’est donc pas à exclure que la Cour de cassation remettrait en cause cette filiation d’intention, établie par la possession d’état de la mère, sur le fondement de l’article 335 du Code civil en raison de son équivocité (v. Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, préc., admettant implicitement qu’une filiation maternelle établie par possession à l’égard d’une mère d’intention dans le cadre d’une gestation pour autrui serait susceptible d’être contestée sur le fondement de ce texte), ou sur le fondement de l’article 336 du Code civil, en raison d’une double fraude à la loi constituée par le contournement de l’interdiction de la GPA et des règles régissant l’adoption.

Affaire à suivre...

Références :

■ Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-12.327 P : AJ fam. 2019. 175, obs. A. Dionisi-Peyrusse.

■ Civ. 1re, 18 nov. 2020, n° 19-50.043 P : D. 2020. 2289 ; ibid. 2021. 657, obs. P. Hilt ; ibid. 762, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2021. 54, obs. C. Latil ; RTD civ. 2021. 115, obs. A.-M. Leroyer.

■ Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053 P : D. 2011. 1522, note D. Berthiau et L. Brunet ; ibid. 1001, édito. F. Rome ; ibid. 1064, entretien X. Labbée ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 262, obs. F. Chénedé ; ibid. 265, obs. B. Haftel ; ibid. 266, interview M. Domingo ; AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc ; Rev. crit. DIP 2011. 722, note P. Hammje ; RTD civ. 2011. 340, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 09-17.130 P : D. 2011. 1522, et les obs., note D. Berthiau et L. Brunet ; ibid. 1001, édito. F. Rome ; ibid. 1064, entretien X. Labbée ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1033, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 262 ; ibid. 265, obs. B. Haftel ; ibid. 266, interview M. Domingo ; AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc ; Rev. crit. DIP 2011. 722, note P. Hammje ; RTD civ. 2011. 340, obs. J. Hauser.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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