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Droit du travail - relations individuelles
Pouvoir disciplinaire v. pouvoir d’organisation de l’employeur
Mots-clefs : Faute, Mutation, Pouvoir disciplinaire, Sanction, Qualification, Pouvoir de direction, Trouble manifestement illicite, Contrôle judiciaire
Le changement d’affectation d’un salarié motivé par une obligation de sécurité ne constitue pas une sanction disciplinaire.
Un changement d’affectation pris à l’égard d’un salarié à la suite d’un incident mettant en danger la sécurité d’autrui doit-il s’analyser en une sanction disciplinaire ?
Ayant conduit une rame à contresens de la circulation, un conducteur de tramway s’est vu notifié par lettre le retrait de son habilitation à la conduite de tramway et son affectation sur une ligne de bus. Le courrier précisait que le non-respect des consignes de sécurité et la durée pendant laquelle le salarié avait circulé à contresens auraient pu avoir des conséquences très graves pour la clientèle, le personnel de la société de transport et le salarié lui-même. Pour le conducteur, cette décision caractérisait un trouble manifestement illicite : elle s’analysait en une sanction disciplinaire prise par son employeur sans consultation du conseil de discipline en violation de la procédure prévue par la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs. Il saisit alors la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir une mesure de remise en état.
Débouté par le juge des référés puis en appel, le salarié trouva gain de cause auprès de la chambre sociale (Soc. 31 mars 2009) qui qualifia la sanction de disciplinaire. La cour d’appel de renvoi confirma toutefois la solution retenue par les juges du fond et l’affaire fut renvoyée par la chambre sociale devant l’Assemblée plénière.
Accessoire du pouvoir de direction, le pouvoir disciplinaire est le droit pour l’employeur de prendre une mesure qualifiée de « sanction disciplinaire » à la suite d’un agissement du salarié qu’il a jugé fautif (art. L. 1331-1 C. trav. ; v. E. Dockès, J. Pélissier, G. Auzero) : un manquement à ses obligations contractuelles (Ch. mixte 18 mai 2007 ; Soc. 3 mai 2011). Afin de sauvegarder les droits de la défense du salarié, l’employeur doit, pour prononcer une telle sanction, suivre la procédure édictée aux articles L. 1332-1 et suivants du Code du travail. Le juge exercera alors un contrôle de la régularité de la procédure et s’assurera que la mesure est justifiée par une faute (faits établis non prescrits : art. L. 1332-4 C. trav.), proportionnée et licite (sanction non pécuniaire (art. L. 1331-2 C. trav.), ni discriminatoire et prévue par le règlement intérieur (Soc. 26 oct. 2010) ; art. L. 1333-1 C. trav.).
En l’espèce, l’Assemblée plénière constate d’abord qu’après l’incident le salarié n’a fait l’objet d’aucune réprimande de la part de l’employeur. Elle souligne ensuite qu’en affectant le salarié sur une ligne de bus, l’employeur n’a fait qu’user de son pouvoir de direction en procédant à la réorganisation des conditions de travail du conducteur, ce qui ne doit pas être analysé en une modification de son contrat d’autant qu’elle ne touche pas le secteur géographique (Soc. 4 mai 1999 ; Soc. 13 juill. 2010). Elle déclare enfin que la décision de l’employeur ne peut être qualifiée de sanction disciplinaire aux motifs que le changement d’affectation n’avait que pour seul objet « d’assurer la sécurité des usagers, du personnel d’exploitation et des tiers » conformément au règlement de sécurité de l’exploitation d’un système de transport public guidé. La mesure contestée répondait donc en l’espèce à un impératif de sécurité dont l’employeur est tenu (art. L. 4121-1 C. civ. ; v. obligation de sécurité de résultat du transporteur Civ. 21 nov. 1911 ; L. n°85-677 du 5 juill. 1985 ; Civ. 2e, 16 juin 2011) et non à une volonté de sanctionner disciplinairement le salarié (v. déjà pour une affectation temporaire à un emploi de bureau d’un agent de conduite de la SNCF à la suite d’un manquement de vigilance permettant la vérification de ses aptitudes professionnelles : Soc. 3 juill. 1991 ; contra : constitue une sanction disciplinaire une mutation motivée par la lenteur d’un salarié jugée fautive par l’employeur : Soc. 29 mai 2002). C’est sur le plan du pouvoir d’organisation et non celui de la faute que la Haute cour s’est donc placée pour trancher le litige, comme l’avaient fait avant elle les juges du fond (v. avis de l’avocat général). Elle conclut ainsi que le trouble invoqué n’était manifestement pas illicite avant de rejeter le pourvoi.
Ass. plén. 6 janv. 2012, n°10-14.688, P+B+R+I
Références
■ v. E. Dockès, J. Pélissier, G. Auzero, Droit du travail, 25e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2010, n° 725 s.
■ Code du travail
« Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. »
« Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites.
Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite. »
« Aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui. »
« Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. »
« En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. »
« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. »
■ Soc. 26 oct. 2010, n° 09-42.740.
■ Soc. 31 mars 2009, n° 07-44.791.
■ Ch. mixte 18 mai 2007, n° 05-40.803, D. 2007. 2137 ; RDT 2007. 527.
■ Soc. 3 mai 2011, n° 09-67.464.
■ Soc. 4 mai 1999, n°97-40.576, D. 2000. 85.
■ Soc. 13 juill. 2010, n°08-44.092, RDT 2010. 712.
■ Civ. 21 nov. 1911, S. 1912. 173.
■ Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-19.491, Dalloz Actu Étudiant 1er juill. 2011.
■ Soc. 3 juill. 1991, n° 87-43.405.
■ Soc. 29 mai 2002, n°00-40.996.
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