Actualité > À la une
À la une
Droit pénal général
Pratique du « caming » : pas de prostitution sans contact corporel
Le phénomène connu sous le nom de « caming », qui consiste pour des « camgirls » ou « camboys » à proposer, moyennant rémunération, une diffusion d'images ou de vidéos à contenu sexuel, le client pouvant donner à distance des instructions spécifiques sur la nature du comportement ou de l'acte sexuel à accomplir, n'entre pas dans le cadre de la définition de la prostitution qui implique un contact physique onéreux avec le client pour la satisfaction des besoins sexuels de celui-ci.
Crim. 18 mai 2022, n° 21-82.283 B
Sans prostitution pas de proxénétisme. Mais où commence et où s’arrête la prostitution ?
Le proxénétisme, réprimé aux articles 225-5 et 225-6 du Code pénal, consiste à profiter, directement ou indirectement, de la prostitution d'autrui, ce qui fait de ce comportement une « infraction pénale “périphérique “par rapport à l'acte prostitutionnel » (B. PY, Le sexe et le droit, 1999, PUF p. 77 s., du même auteur, Prostitution – Proxénétisme – Racolage, Rép. Pén, Dalloz, 2020 ; (Albert MARON, C’est la prostituée qui fait le proxénète, Dr Pénal 1990, n° 2, Chron. p. 1) et qui « présente donc cette particularité unique de la poursuite d'une activité par référence à une autre activité, ni définie, ni réprimée par la loi » (P. GATTEGNO, Droit pénal spécial, 1995, Dalloz, coll. « Cours », no 199, p. 101). L’enjeu consiste donc à déterminer ce qu’est la prostitution et ce qu’elle n’est pas. L’absence de définition de la prostitution résulte sans doute du choix opéré par la France d’un système abolitionniste. Nul besoin de définir ce qui n’est pas répréhensible. S’il ne fait pas de doute que la prostitution implique une rémunération, la nature des comportements sexuels suppose d’être circonscrite.
En l’espèce, une information judiciaire a été ouverte contre personne non dénommée des chefs de proxénétisme aggravé, défaut d'avertissement relatif à un contenu pornographique, enregistrement et diffusion de représentations pornographiques de mineurs, fabrication et diffusion de message violent et pornographique perceptible par un mineur sur plainte avec constitution de partie civile, en raison de faits constatés sur quatre sites français à caractère pornographique. Cette plainte visait notamment des comportements consistants, pour des jeunes femmes, à se livrer, devant une caméra, à des agissements à caractère sexuel, retransmis en direct par un moyen de communication audiovisuelle à des clients qui les sollicitaient et les rémunéraient par un moyen de paiement à distance, activité dite de « caming ».
Une ordonnance de non-lieu à suivre du juge d’instruction fut confirmée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris concernant les chefs de proxénétisme aggravé et défaut de mise en garde quant au contenu pornographique. Dans son pourvoi, la partie civile faisait grief aux juridictions du fond d’avoir retenu une approche trop restrictive de l’activité prostitutionnelle. Selon elle, une telle activité consiste « dans le fait d'employer son corps, moyennant rémunération, à la satisfaction des plaisirs du public, quelle que soit la nature des actes accomplis quand bien même il n'y a pas de contact physique entre la personne prostituée et son client ». Dès lors, la pratique consistant à se livrer, devant une caméra, à des actes sexuels à la demande d'un client qui les rémunère pour assouvir ainsi ses désirs sexuels serait de la prostitution. Une telle approche avait peu de chance de prospérer et conduisait inévitablement au rejet du pourvoi.
Le pourvoi entendait retenir une définition extensive qui n’est pas sans rappeler celle adoptée un temps par la Cour de cassation. Au début du XXe siècle, celle-ci avait ainsi pu admettre que la prostitution consistait dans « le fait d'employer son corps, moyennant rémunération, à la satisfaction des plaisirs du public, quelle que soit la nature des actes de lubricité accomplis ». La portée de cette décision doit être relativisée dans la mesure où elle avait été rendue en matière civile, dans le but de protéger la moralité des mineurs (Civ. 19 nov. 1912). Mais confronté à la nécessité de mieux circonscrire la notion, notamment pour appliquer les incriminations liées à la prostitution, parmi lesquelles au premier chef le proxénétisme, la chambre criminelle a défini la notion de prostitution de façon plus étroite, exigeant la nécessité de contacts physiques.
Selon la définition reprise dans la présente affaire, « cette activité consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu'ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d'autrui » (Crim., 27 mars 1996, n° 95-82.016). L’exigence de contacts physiques n’implique pas nécessairement une relation sexuelle complète. Les « massages » (Grenoble, 25 sept. 1996) ou un spectacle de danse avec contacts et masturbations réciproques (Crim. 25 mai 2016, n° 14-85.908) caractérisent l’acte prostitutionnel. Pour reprendre les propos du Professeur Mayaud, « les manifestations ou les variantes [de ces “contacts“ à finalité sexuelle] se situent bien au-delà – ou en deçà – des seuls rapports sexuels. […] La prostitution est affaire de comportement, et non de résultat » (Y. MAYAUD, Pour une autre définition de la prostitution, 1996. 854).
Dans sa décision, la chambre criminelle maintient cette approche stricte en s’appuyant sur les textes récents dans lesquels elle décèle la volonté du législateur de ne pas étendre la définition du fait prostitutionnel. Elle cite ainsi en premier lieu l'article 611-1 du Code pénal incriminant le recours à la prostitution, créé par la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (A. CASADO, Brèves remarques à la lecture de la loi no 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, Droit pénal no 6, juin 2016. Étude 12 ; R. PARIZOT, « La prostitution, infraction sans texte », RSC 2016. 373). L’infraction consiste à solliciter, accepter ou obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage.
Le législateur vise « des relations de nature sexuelle », expression que l’on retrouvait de manière similaire dans l’infraction de racolage aujourd’hui abrogée (loi n° 2016-444 du 13 avr. 2016 - art. 15). Feu l'article 225-10-1 appréhendait celui-ci comme « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération ». La notion de relations sexuelles, au cœur de la prostitution, implique en creux des actes impliquant un contact physique.
La chambre criminelle vise également l'article 227-23-1 du Code pénal, créé par la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, qui réprime le fait, pour un majeur, de solliciter auprès d'un mineur la diffusion ou transmission d'images, vidéos ou représentations à caractère pornographique de ce mineur. Elle souligne à ce propos que « Même si la condition d'une rémunération n'est pas exigée pour caractériser cette infraction, il convient de souligner que le législateur n'a pas employé le terme de prostitution pour qualifier ce comportement, pourtant comparable à celui visé dans la présente affaire ». L’opportunité pour la chambre criminelle de revenir sur une définition orthodoxe de la prostitution n’était pas de mise.
En 1952, il avait déjà été jugé qu'on ne saurait tenir pour actes de prostitution des exhibitions de femmes nues ou de gestes obscènes pour le plaisir et aux frais des spectateurs (Paris, 3 janv. 1952). Le truchement d’une caméra et le développement d’internet ne changent rien : l'activité de « caming » n’est pas de la prostitution.
On soulignera enfin que la définition exagérément extensive proposée par la partie civile portait en elle le germe du risque de voir tomber sous les fourches caudines du droit pénal la pratique de l’effeuillage, du streap tease ou les spectacles du Moulin Rouge, lesquels répondent sans nul doute au « fait d’employer son corps moyennant rémunération, à la satisfaction des plaisirs du public ».
Références :
■ Crim., 27 mars 1996 , n° 95-82.016 P : Bull. crim. 1996 n° 138, Dr. pénal 1996, n° 182, obs. M. Veron ; RSC 1996. 853, obs. Y. Mayaud.
■ Grenoble, 25 sept. 1996, Juris-Data no 044172.
■ Crim. 25 mai 2016, n°14-85.908
■ Paris, 3 janv. 1952, RSC 1952. 453, obs. L. Hugueney.
Autres À la une
-
Droit des obligations
[ 5 décembre 2024 ]
Location financière : nullité du contrat pour défaut de contrepartie personnelle du dirigeant
-
Droit de la santé
[ 4 décembre 2024 ]
Précisions sur l’indemnisation des dommages imputables aux vaccinations obligatoires
-
Droit des biens
[ 3 décembre 2024 ]
Possession versus propriété : la prescription acquisitive trentenaire l’emporte sur le titre publié
-
Droit bancaire - droit du crédit
[ 2 décembre 2024 ]
Le dirigeant avalisant un billet à ordre par une double signature associée au cachet de la société ne s’engage pas personnellement
-
Introduction au droit
[ 29 novembre 2024 ]
Point sur la charge de la preuve
- >> Toutes les actualités À la une