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Précision importante concernant le cadre de reconnaissance d'une unité économique et sociale
La décision rendue par la chambre sociale le 21 novembre 2018 admet qu’une succursale, non dotée de la personnalité morale, intègre une unité économique et sociale sans que le reste des établissements de la personne morale ne soit concernée.
Une unité économique et sociale (UES) peut être reconnue par convention ou par décision de justice entre des entités juridiquement distinctes qu'elles soient ou non dotées de la personnalité morale dès lors qu'est caractérisée entre ces structures, d'une part, une concentration des pouvoirs de direction à l'intérieur du périmètre considéré ainsi qu'une similarité ou une complémentarité des activités déployées par ces différentes entités, d'autre part, une communauté de travailleurs résultant de leur statut social et de conditions de travail similaires pouvant se traduire en pratique par une certaine mutabilité des salariés . L’UES est une technique du droit du travail permettant de lever le voile de la personne morale en matière de représentation du personnel. Consacrée par la jurisprudence dans les années 1970, elle a été reprise ensuite par le Code du travail. Sans qu’il soit nécessaire d’établir une fraude à la loi, les frontières de la collectivité de travail représentée sont repoussées au-delà de l’entreprise telle qu’on la définit par référence à la personne morale – employeur. Des entreprises constituées par plusieurs personnes morales (sociétés, associations, etc…) peuvent ainsi avoir des institutions représentatives du personnel communes, tel un comité d’entreprise ou aujourd’hui un comité social et économique, en application d’un accord collectif reconnaissant l’UES ou à la suite d’une décision de justice.
Le présent arrêt semble opérer un revirement, non pas sur les critères de l’UES, mais sur son périmètre, acceptant qu’une succursale, non dotée de la personnalité morale, intègre une UES sans que le reste des établissements de la personne morale ne soit concernée.
On considérait auparavant, depuis un arrêt du 21 novembre 1990 (n° 89-61217), que l’UES ne pouvait concerner que l’ensemble des implantations d’une personne morale. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt de 1990, un jugement de tribunal d’instance (compétent en matière électorale) avait reconnu une UES entre un établissement seulement d’une société et une autre société. Mais la Cour de cassation avait estimé qu’un établissement ne pouvait constituer une « entreprise juridiquement distincte » telle que le code du travail l’exigeait (Soc. 21 nov.1990, n° 89-61.217 ; V. encore Soc. 7 mai 2002, n° 00-60.424). L’ancien article L. 431-1 du Code du travail indiquait en effet que « Lorsqu'une unité économique et sociale regroupant au moins cinquante salariés est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d'un comité d'entreprise commun est obligatoire ». Cette référence à des « entreprises juridiquement distinctes » a été conservée telle qu’elle dans les différentes réformes du code du travail. L’actuel article L. 2313-8 prévoit, à propos du comité social et économique, que « Lorsqu'une unité économique et sociale regroupant au moins onze salariés est reconnue par accord collectif ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, un comité social et économique commun est mis en place».
L’arrêt du 21 novembre 2018 concerne une société de droit italien, intégrée dans le groupe Générali Assurances. Cette société a créé une succursale implantée en France. Des syndicats ont alors saisi le tribunal d’instance compétent pour demander son inclusion dans une UES déjà constituée en France par d’autres sociétés du même groupe, UES dénommée « Generali France assurances ». Appliquant la jurisprudence antérieure, la Cour d’appel a rejeté cette demande, retenant « qu'il ne peut y avoir d’unité économique et sociale (…) qu'entre des personnes juridiquement distinctes prises dans l'ensemble de leurs établissements et de leurs personnels et qu'il s'ensuit que chacune des personnes juridiquement distinctes composant une unité économique et sociale doit nécessairement être dotée de la personnalité morale, dont l’unité économique et sociale est quant à elle dépourvue, et être ainsi susceptible d'avoir la qualité d'employeur ».
La cassation est prononcée au motif que les magistrats d’appel n’ont pas recherché « si les salariés employés par la succursale n’étaient pas intégrés à la communauté de travail formée par les salariés de l’UES Generali France assurances, et s’il n’existait pas une unité économique et sociale entre la succursale française de la société italienne en charge des infrastructures du groupe Generali assurances et l’UES Generali France assurances ». On en déduit que la succursale française pouvait seule intégrer l’UES, sans que la société italienne ne soit concernée, et alors même que cette succursale ne se trouve pas dotée de la personnalité morale et donc qu’elle n’est pas l’employeur des salariés qui y travaillent.
Il faut remarquer que la Cour de cassation emploie l’expression « entité juridiquement distincte » plutôt que celle employée par le Code d’« entreprise juridiquement distincte ». En soi, ce n’est pas une nouveauté : le terme soulignait qu’il ne s’agissait pas nécessairement de société, des associations par exemple pouvant être concernées. On comprend aujourd’hui que le terme « entité » peut viser tout ou partie de la personne morale. Mais à partir de quand un démembrement de la personne morale peut être considérée comme une « entité juridiquement distincte » ? Le droit du travail connaît depuis longtemps la division de l’entreprise en « établissements distincts » comme cadre d’implantation des institutions représentatives du personnel. Une société ainsi divisée peut avoir à mettre en place plusieurs comités sociaux et économiques, au niveau de chaque établissement, et un comité central en complément. Mais cette division n’est-elle pas une question de fait, plutôt que de droit ?
Pour mesurer la portée de cet arrêt, il faut en réalité se reporter à la note explicative livrée par la Cour de cassation sur son site internet. On y apprend d’abord que l’arrêt apporte une « exception » à la jurisprudence antérieure. Il ne s’agirait donc pas totalement d’un revirement. Puis, la Cour entend limiter cette exception « à la situation particulière des groupes de sociétés, notamment internationaux, au sein desquels des choix organisationnels et de gestion peuvent conduire à dissocier juridiquement des communautés de travailleurs qui continuent en pratique à travailler ensemble, sous la direction d’un responsable commun et qui, par conséquent, relèvent d’une représentation du personnel commune ».
Il semble donc que la possibilité d’intégrer une partie seulement d’une personne morale dans une UES soit réservée au cas de la « succursale », telle que reconnue hors du droit du travail, et au sein d’un groupes de sociétés. Voilà qui confirme que la jurisprudence n’est plus seulement à trouver dans les arrêts de la Cour de cassation : elle résulte aussi des « explications » de la Cour de cassation.
Soc. 21 novembre 2018, n° 16-27.690
Références
■ Soc. 21 nov. 1990, n° 89-61.217 P
■ Soc. 7 mai 2002, n° 00-60.424 P : D. 2002. 3119, et les obs., obs. I. Desbarats ; Dr. soc. 2002. 715, note J. Savatier ; ibid. 720, note P.-H. Antonmattei
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