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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Précisions du Conseil d’État sur les dissolutions d’associations et de groupements de fait
Le Conseil d’Etat propose une grille d’analyse pour l’application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure concernant les cas de dissolution d’associations et de groupements de fait.
CE 9 novembre 2023, Les Soulèvements de la Terre, n° 476384 A
CE 9 novembre 2023, Groupe Antifasciste Lyon et Environs, n° 464412 A
CE 9 novembre 2023, Coordination contre le racisme et l'islamophobie, n° 459704 A
CE 9 novembre 2023, Alvarium, n° 460457 A
Pour rappel, la liberté d’association est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), qui permet aux associations de se constituer librement sans autorisation administrative (Cons. const. 6 juillet 1971, n° 71-44 DC). Ainsi, la liberté d’association, parce qu'elle constitue un PFRLR, appartient au bloc de constitutionnalité. Elle est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. Dissoudre une association ou un groupement de fait est toutefois possible. Une décision de dissolution porte une atteinte grave au principe de liberté d’association mais elle peut parfois être justifiée en raison notamment de la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public. Pour cela, un décret de dissolution est pris en Conseil des ministres. L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit sept motifs possibles de dissolution (V. DAE 16 juin 2022, Point sur la dissolution administrative des associations et des groupements de fait).
Le 9 novembre 2023, le Conseil d’État a précisé, dans quatre décisions, les conditions d’application de cet article : « Eu égard à la gravité de l'atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d'interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l'ordre public ». Ainsi, il est important pour chaque affaire, de concilier liberté d’association et prévention des troubles graves à l’ordre public, de mettre en balance les intérêts présents.
Par ailleurs trois des quatre décisions proposent un mode d’emploi du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure et plus précisément de la dissolution par décret en Conseil des ministres des associations ou groupements de fait qui provoquent à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens (passage du 1° ajouté par l’art. 16 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République).
Ainsi, une dissolution d’association prise en application du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être justifiée « que lorsqu'une association ou un groupement, à travers ses dirigeants ou un ou plusieurs de ses membres agissant en cette qualité ou directement liés à ses activités, dans les conditions fixées à l'article L. 212-1-1, incite des personnes, par propos ou par actes, explicitement ou implicitement, à se livrer à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, de nature à troubler gravement l'ordre public. Si la commission d'agissements violents par des membres de l'organisation n'entre pas par elle-même dans le champ de ces dispositions, le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu'en soient les auteurs, constitue une provocation au sens de ces mêmes dispositions. Constitue également une telle provocation le fait, pour une organisation, de s'abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d'incitations explicites à commettre des actes de violence ».
■ Application du mode d’emploi
● Pas de dissolution pour Les Soulèvements de la Terre (n° 476384)
Le groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » a été dissous par le décret du 21 juin 2023. Ce décret avait été suspendu par le juge des référés du Conseil d’État le 11 août 2023 (n° 476385 : « Jusqu'à ce qu'il soit statué sur les recours pour excès de pouvoir formés contre le décret du 21 juin 2023 portant dissolution d'un groupement de fait, l'exécution de ce décret est suspendue »). Les juges du Conseil d’État statuant au fond le 9 novembre 2023, annulent le décret de dissolution. En effet comme le rappelle le Conseil d’État : « La décision de dissolution d'une association ou d'un groupement de fait prise sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article. »
Après avoir confirmé que le mouvement « Les Soulèvements de la Terre » pouvait être considéré comme un groupement de fait en raison de divers éléments caractérisant l'existence d'un groupe de personnes organisé en vue de leur expression collective (mouvement organisant diverses actions militantes, ayant pour objectif d'alimenter le débat public sur des sujets d'intérêt général tels que la préservation de l'environnement et la lutte contre la consommation excessive des ressources naturelles, identifiable au travers de sa dénomination, de son logo et de ses publications réalisées sur son site internet et les réseaux sociaux) ; le Conseil d’État analyse si les actions de ce mouvement constituent des provocations explicites ou implicites à la violence contre les biens, au sens du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, énoncé dans les visas du décret de dissolution. Si ces actions sont imputables au groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre », et ont pu effectivement conduire à des dégradations matérielles, il apparaît toutefois, au regard de la portée de ces provocations, mesurée notamment par les effets réels qu'elles ont pu avoir, que la dissolution du groupement ne peut être regardée, à la date du décret attaqué, comme une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public.
● Dissolution du Groupe Antifasciste Lyon et Environs (dit « la GALE » - n° 464412),
Le décret du 30 mars 2022 dissolvant La GALE avait été suspendu par le juge des référés du Conseil d’État le 16 mai 2022 (n° 462954), les éléments avancés par le ministre de l’intérieur ne permettaient pas de démontrer que la GALE avait incité à commettre des actions violentes et troublé gravement l'ordre public. Toutefois, le Conseil d’État appliquant son « mode d’emploi », constate que la GALE a provoqué à des agissements violents à l'encontre des personnes et des biens entrant dans le champ du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. La dissolution est ainsi justifiée en raison des messages sur les réseaux sociaux appelant explicitement à commettre des agissements violents sur les biens ou les personnes, constitutifs de troubles graves à l'ordre public, en particulier à l'occasion de manifestations, déclarées ou non, sur la voie publique ; de la publication sur les réseaux sociaux, de façon répétée et pendant plusieurs années, des messages haineux et injurieux contre les forces de l’ordre, des messages approuvant et justifiant, au nom de « l'antifascisme », des violences graves commises à l'encontre de militants d'extrême-droite et de leurs biens, ou encore des messages, formulés par des tiers, à la violence, au meurtre, contre des internautes se réclamant de l'ultra-droite, sans donner lieu à une quelconque modération de la part de l'organisation, qui n'était pas dépourvue de moyens pour y procéder.
● Dissolution de la Coordination contre le racisme et l'islamophobie (CRI), n° 459704
Le décret du 20 octobre 2021 a dissout l’association CRI, celle-ci a saisi le juge du fond qui vient de confirmer la dissolution prononcée en Conseil des ministres. Dans cette affaire, le Conseil d’État énonce également le « mode d’emploi » du 1° de l’article L. 212-2 du code de la sécurité intérieure, mais ne fait pas application de ces dispositions pour justifier la dissolution : « si des messages que l'association a publiés par son compte sur un réseau social ont suscité des réactions de tiers sur ce même compte, celles-ci, bien qu'injurieuses ou menaçantes à l'encontre notamment du Président de la République, des forces de l'ordre ou d'une journaliste, n'appelaient pas à la violence. Il s'ensuit que les requérants sont fondés à soutenir que le décret attaqué a fait une inexacte application des dispositions du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en retenant que ces différents propos et messages entraient dans le champ de ces dispositions ».
En revanche, il considère que la dissolution est justifiée en application des dispositions du 6° du même article selon lequel « Sont dissous, par décret en Conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : … 6° Ou qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ». Par « ses comptes sur les réseaux sociaux, l'association a publié en grand nombre, notamment dans la période comprise entre 2019 et sa dissolution en 2021, des propos, dont certains outranciers, sur l'actualité nationale et internationale, tendant, y compris explicitement, à imposer l'idée que les pouvoirs publics, la législation, les différentes institutions et autorités nationales ainsi que de nombreux partis politiques et médias seraient systématiquement hostiles aux croyants de religion musulmane et instrumentaliseraient l'antisémitisme pour nuire aux musulmans. Ces publications ont suscité, sur ces mêmes comptes, de nombreux commentaires haineux, antisémites, injurieux et appelant à la vindicte publique, sans que l'association ne tente de les contredire ou de les effacer » ; ainsi, en raison du caractère grave et récurrent de ces agissements « et de la circonstance que l'association cherchait à propager ses thèses auprès du public le plus large, et alors même qu'elle fait valoir qu'elle entendait lutter contre les discriminations, la mesure de dissolution contestée ne peut être regardée, en l'espèce, comme présentant un caractère disproportionné au regard des risques de troubles à l'ordre public résultant de ces agissements ».
● Dissolution de l’Alvarium (n° 460457 A)
Enfin dernier groupement de fait dont la dissolution, prononcée par le décret du 17 novembre 2021, est confirmée par le Conseil d’État, l’Alvarium. Le Conseil d’État contrôle si l’auteur du décret a fait une exacte application du 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. En l’espèce, entrent dans le champ d’application de ces dispositions des agissements, qui tendent à justifier ou à encourager la discrimination, la haine ou la violence envers les personnes d'origine non-européenne, en particulier celles de confession musulmane.
Références
■ CE, réf., 11 août 2023, n° 476385 : AJDA 2023. 1529 ; JA 2023, n° 684, p. 3, édito. B. Clavagnier ; ibid., n° 684, p. 10, obs. T. Giraud
■ CE, réf., 16 mai 2022, n° 462954 : AJDA 2022. 1011 ; ibid. 2350, note C. Rouillier ; JA 2023, n° 673, p. 34, étude S. Damarey
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