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[ 11 avril 2014 ] Imprimer

Droit administratif général

Précisions relatives aux conditions de réparation du préjudice subi par les parents du fait d’un enfant né handicapé

Mots-clefs : Responsabilité pour faute, Faute caractérisée, Erreur de diagnostic, QPC, Enfant né handicapé, Préjudice, Réparation, Parents

Lors de l’engagement par des parents d’une instance en réparation des conséquences dommageables dues au handicap de leur enfant postérieurement au 7 mars 2002, le droit applicable est celui en vigueur à la date de l’action juridictionnelle et non à la date de la naissance de l’enfant.

En l’espèce, une femme enceinte avait fait l’objet d’un suivi échographique au centre hospitalier de Senlis. Le 30 décembre 2001, elle a donné naissance à un petit garçon atteint de malformations qui n’avaient pas été diagnostiquées avant la naissance. Les parents ont alors saisi le tribunal administratif le 22 janvier 2003, afin de demander réparation des préjudices résultant pour eux et pour leur fils de l’absence de diagnostic lors du suivi de la grossesse.

La décision du Conseil d’État du 31 mars 2014 fait référence à la décision n° 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel. Afin de comprendre les subtilités de cette affaire, il convient, au préalable, de rappeler les principaux points de la décision QPC.

Le 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel rendait une décision QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du régime de responsabilité instauré par le paragraphe I de l'article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé (loi dite « anti-Perruche »). Les trois premiers alinéas de ce paragraphe I ont été codifiés à l'article L. 114-5 du CASF par le 1 du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ces dispositions sont relatives au droit d'agir en justice de l'enfant né atteint d'un handicap, aux conditions d'engagement de la responsabilité des professionnels et établissements de santé à l'égard des parents, ainsi qu'aux préjudices indemnisables lorsque cette responsabilité est engagée.

Le 2 de ce même paragraphe II a repris le dernier alinéa du paragraphe I selon lequel : « Les dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles tel qu'il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation ».

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dernières dispositions contraires à la Constitution.

En effet, le Conseil constitutionnel précise que le paragraphe I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée est entré en vigueur le 7 mars 2002. Le législateur l'a rendu applicable aux instances non jugées de manière irrévocable à cette date. Il s’ensuit que si des motifs d'intérêt général pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice. Dès lors, le 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 a donc été déclaré contraire à la Constitution.

Le Conseil d’État, dans sa décision du 31 mars 2014 ici rapportée, se réfère  à cette décision QPC en considérant toutefois que les juges de la rue Montpensier ne définissent aucune autre condition ou limite remettant en cause les effets que la disposition déclarée inconstitutionnelle a produit vis-à-vis des situations de fait n’ayant pas encore donné lieu à la date du 7 mars 2002 à l’engagement d’une instance.

Se posait alors la question de savoir si des parents, qui avaient engagé une instance en réparation des conséquences dommageables du handicap de leur enfant postérieurement au 7 mars 2002 (alors que leur enfant est né avant le 7 mars 2002), pouvaient bénéficier de la disposition abrogée par le Conseil constitutionnel relative aux personnes ayant engagé une action non jugée de manière irrévocable à cette date ?

La cour administrative d’appel de Douai avait répondu par l’affirmative (16 nov. 2010, Centre hospitalier de Senlis) en considérant que le droit à réparation d’un dommage, qu’elle que soit sa nature, s’ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause, et ce, indépendamment de la date d’introduction d’une demande en justice tendant à la réparation de ce dommage.

La cour d’appel en avait donc déduit que les préjudices dont les parents de l’enfant né handicapé demandent réparation trouvent leur origine dans la faute commise par le centre hospitalier dans le suivi de la grossesse de la mère jusqu’à la naissance de leur fils, soit avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 précité (codifiées à l’art. L. 114-5 CASF). Dès lors, nonobstant l’introduction de la procédure indemnitaire après l’entrée en vigueur de la loi, le régime de responsabilité défini aux 1er et 3e alinéas de l’article L. 114-5 du CASF n’était pas applicable à l’espèce.

Le Conseil d’État annule la décision de la cour administrative d’appel en considérant qu’il convient de prendre en compte la date d’introduction de l’instance pour statuer sur la demande de responsabilité (en l’espèce, le 22 janvier 2003, soit après le 7 mars 2002).

Ainsi, en ce qui concerne le préjudice de l’enfant, la responsabilité du centre hospitalier ne saurait être engagée sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 114-5 du CASF. En effet, les faits reprochés au centre hospitalier n’ont ni provoqué, ni aggravé le handicap dont est atteint le jeune garçon.

En revanche, les préjudices résultant pour les parents de l’état de santé de leur fils doivent être regardés comme la conséquence directe de la faute caractérisée commise dans la réalisation de l’échographie (CASF, art. L. 114-5, al. 3). En effet, l’erreur de diagnostic a privé les parents de demander une interruption volontaire de grossesse. 

Cette faute caractérisée du centre hospitalier permet en conséquence aux parents d’obtenir une indemnité de 40 000 euros en raison des troubles importants qu’ils subissent dans leur existence du fait de leur enfant handicapé qui devra subir de nombreuses interventions chirurgicales et du préjudice moral que cela entraine pour eux.

CE 31 mars 2014, Centre hospitalier de Senlis, n° 345812.

Références

■ Article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles

« Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. 

La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. 

Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »

 Cons. const. 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel, Dalloz Actu Étudiant 18 juin 2010 : « QPC : Constitutionnalité du dispositif législatif “ anti-Perruche” »

■ CAA Douai, 16 nov. 2010Centre hospitalier de Senlis, n° 09DA00402, AJDA 2011. 399, concl. Minne.

 

Auteur :C. G.


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