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[ 5 décembre 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Précisions sur la compétence du JAF d’ordonner des mesures de protection dans le cadre d'une procédure de divorce

L’article 1136-13, alinéa 2, du Code de procédure civile prévoit que, dès l’introduction d’une procédure de divorce ou de séparation de corps, toute demande de mesures de protection à l’encontre du conjoint violent, doit être présentée devant « le juge saisi de cette procédure ». La Cour de cassation précise, dans un arrêt rendu le 19 novembre 2025, que l’unicité de saisine du juge aux affaires familiales requise par ce texte n’est pas personnelle, mais territoriale, n’impliquant pas que ce juge soit la même personne physique. Elle ajoute, dans le silence des textes, que la circonstance que le juge ait statué sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale dans le cadre de la procédure de divorce ne prive pas le juge de l’ordonnance de protection du pouvoir de réviser ces modalités.

Civ. 1re, 19 nov. 2025, n° 24-18.496

Un couple se marie en 2010. Deux enfants encore mineurs à la date du litige sont issus de cette union. Le 9 février 2023, l’épouse demande le divorce devant le tribunal judiciaire de Meaux. Une audience d’orientation appelée à statuer sur les mesures provisoires est fixée au 26 octobre 2023. Une semaine avant la date prévue, le 18 octobre 2023, l’épouse saisit le juge aux affaires familiales (JAF) du même tribunal judiciaire afin d’obtenir une ordonnance de protection à l’encontre de son conjoint violent. 

Par ordonnance du 23 octobre 2023, le JAF écarte l’exception d’incompétence soulevée par l’époux (C. pr. civ. art. 75 s.), visant à le dessaisir au profit du JAF préalablement saisi au titre de la procédure de divorce. Il rejette également la demande de protection de l’épouse.

Par ordonnance du 28 février 2024, le JAF saisi du divorce statue sur les mesures provisoires.

Par décision du 25 avril 2024, la cour d’appel de Paris confirme le rejet par ordonnance de l’exception d’incompétence, mais fait droit à la demande de protection formée par l’épouse. À ce titre, elle interdit au mari d’entrer en contact avec elle, sauf pour l’exercice du droit de visite et d’hébergement des enfants, dont les juges parisiens resserrent les conditions telles qu’elles résultent de l’ordonnance ayant statué, lors de l’instance en divorce, sur les mesures provisoires.

Devant la Cour de cassation, l’époux reproche d’une part à la cour d’appel de rejeter l’exception d’incompétence du JAF saisi de la demande de protection au profit du JAF préalablement saisi du divorce, dont la compétence exclusive s’infèrerait de l’unicité de saisine du JAF expressément prévue par le Code de procédure civile. En ce sens, le demandeur au pourvoi soutient qu’aux termes de l’article 1136-13 du Code de procédure civile, dès l’introduction de la procédure de divorce, seul le JAF saisi personnellement de la procédure de divorce est compétent pour statuer sur les mesures de protection du conjoint subséquentes. Or en l’espèce, son épouse l’a assigné en divorce le 9 octobre 2023, soit antérieurement à la demande d’ordonnance de protection, présentée le 18 octobre 2023, alors qu’une audience d’orientation devant statuer sur les mesures provisoires était enrôlée au 26 octobre 2023. Selon le demandeur, il s’ensuivrait qu’en l’espèce, le juge saisi du divorce était seul compétent pour statuer sur la demande de protection.

D’autre part, le demandeur soutient que la décision du JAF prescrivant les modalités d’exercice de l’autorité parentale prive le juge de l’ordonnance de protection du pouvoir d’ordonner, à ce titre, de nouvelles mesures ; or au jour où la cour d’appel a statué en tant que juge de l’ordonnance de protection, les modalités d’exercice de l’autorité parentale, notamment du droit de visite des enfants, avaient déjà été définies par le JAF lorsqu’il a statué sur les mesures provisoires, consécutives au divorce, prises au titre de l’autorité parentale. 

Au premier moyen, qui pose la question de savoir si lorsqu’une demande de protection est formée conjointement à une demande de divorce, l’expression « le juge saisi de la procédure », au sens de l’article 1136-13 alinéa 2 du code de procédure civile, s’entend d’une compétence exclusive du juge personnellement saisi du divorce pour statuer sur la demande d’ordonnance de protection, la Cour répond par la négative : l’unicité de saisine du JAF requise par l’article 1136-13, qui vise simplement à coordonner les mesures pouvant être ordonnées par le JAF saisi dans chacune de ces procédures (divorce des époux et protection de la personne du conjoint), n’est pas personnelle mais territoriale (C. pr. civ., art. 1070). La loi n’exige donc pas que le JAF appelé à statuer sur une demande de divorce et sur une demande distincte de protection soit la même personne physique. Le moyen, qui postule le contraire, manque en droit (pt n°7). En effet, le demandeur demandait l’application d’un principe inexistant, en l’absence formelle de texte prévoyant la compétence personnelle des magistrats par extension des compétences matérielles et territoriales de la juridiction. À cet égard, la compétence du juge a trait à sa fonction, en l’espèce la fonction de juge aux affaires familiales, et non à sa personne, au sens physique et individuel du terme. Outre qu’aucun texte ne fait mention d’une unicité de la compétence personnelle du JAF, la permanence des juridictions civiles s’opposerait à ce que le traitement d’une affaire soit assigné à un magistrat en particulier. De ce qui précède résulte le principe en l’espèce énoncé avec la clarté que l’ambiguïté des textes désignant « le juge saisi de la procédure » rendait nécessaire : la loi n’exige pas que le juge de l’ordonnance de protection soit la même personne physique que le juge du divorce.

Au second moyen, qui pose la question de savoir si la circonstance que le juge du divorce ait statué sur les mesures provisoires en matière d’autorité parentale interdit au juge de l’ordonnance de protection, saisi pendant que cette instance est en cours, d’ordonner de nouvelles mesures au titre de l’autorité parentale, la Cour répond une nouvelle fois par la négative : l’article 515-11 du Code civil n’envisageant pas l’hypothèse où une mesure de protection est prononcée après les mesures provisoires prises pour l’instance en divorce, le juge de l’ordonnance de protection, par principe compétent pour se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale (art. 515-11, 5°) et, au sens de l’article 373-2-9, sut les modalités du droit de visite et d’hébergement, doit se voir conférer le pouvoir de revenir sur les mesures prononcées dans le cadre du divorce, pour assurer la protection sollicitée. En décidant de l'instauration, lors de l'exercice du droit de visite et d'hébergement des parents prévu par l'ordonnance sur mesures provisoires, d'un passage de bras des enfants uniquement à l'école ou par l'intermédiaire d'une personne digne de confiance, la cour d'appel n'a donc fait que tirer les conséquences de sa décision, prise sur le fondement de l'article 515-11, 1°, du Code civil, d'interdire au conjoint violent d'entrer en relation avec son épouse, de quelque façon que ce soit, en raison de l'existence de raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables les violences alléguées et le danger auquel celle-ci restait exposée.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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