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Droit de la responsabilité civile
Précisions sur la notion de cas fortuit
L’incendie qui se déclare dans les locaux d’un colocataire et dont la cause n’est pas déterminée ne caractérise pas un cas fortuit susceptible d‘exonérer le bailleur de son obligation d’indemniser son locataire privé de la jouissance paisible du bien loué.
Après s’être déclaré dans une salle de spectacle, un incendie s’était propagé aux locaux loués et exploités dans le même immeuble par deux sociétés commerciales. La bailleresse avait alors notifié la résiliation de plein droit du bail à chacune des deux sociétés lesquelles, trois ans plus tard, l’avaient assignée, en même temps que ses assureurs, en indemnisation pour les troubles de jouissance subis. La cour d’appel rejeta leurs demandes au motif que la cause de l’incendie n’ayant pu être déterminée, celle-ci devait être considérée comme fortuite et le bailleur, en application de l’article 1722 in fine du Code civil, exonéré de sa responsabilité donc de tout dédommagement. La Cour de cassation censure ce raisonnement. Au visa des articles 1719 et 1722 du Code civil, elle juge que « l’incendie qui se déclare dans les locaux d’un colocataire et dont la cause n’est pas déterminée ne caractérise pas un cas fortuit et que le bailleur est responsable envers les autres locataires des troubles de jouissance du fait de l’incendie », en sorte que la cour d’appel a violé le second texte susvisé, par fausse application, et le premier, par refus d’application.
Si la jurisprudence civile contemporaine assimile le cas fortuit à la force majeure, des éléments peuvent néanmoins être avancés en faveur de leur distinction.
Le premier tient à l’origine du dommage : la force majeure serait l’événement extérieur absolument insurmontable, résultant d’une force externe irrésistible, tels un tremblement de terre, une guerre, une tempête ; le cas fortuit (du latin fortuitus « dû au hasard ») viserait plus modestement un obstacle interne au débiteur, provenant des circonstances l’ayant entouré lors de la réalisation du dommage (vice imprévu de matériel, faute non prévisible d’un employé), d’un ensemble de facteurs impondérables relevant d’une mauvaise fortune mais laissant l’événement fortuitement apparu relativement surmontable, de sorte qu’une personne plus habile et plus diligente aurait pu, même avec difficulté, en avoir raison.
Le deuxième critère possible de distinction réside dans la différence de caractéristiques des deux événements : la force majeure serait essentiellement insurmontable, alors que le cas fortuit serait principalement imprévisible.
Le dernier argument pouvant justifier la distinction des deux notions est issu du droit administratif, dans lequel le cas fortuit, caractérisé par l’absence d’extériorité, n’est pas assimilable à la force majeure (CE 22 oct. 1971, Ville de Fréjus, n° 76200, à propos de la rupture d’un barrage). Cependant, l’affaiblissement du critère d’extériorité de l’événement et le renforcement de celui tenant à son irrésistibilité expliquent sans doute que la notion de cas fortuit ait été absorbée par celle de la force majeure et que la jurisprudence judiciaire tient souvent pour synonymes les deux notions (V. Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, n° 1802).
L’expression cas fortuit demeure toutefois employée, comme en témoigne l’article 1722 du Code civil qui prévoit que si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité « par cas fortuit », le contrat est résilié de plein droit et le bailleur, exonéré de sa responsabilité. Cas fortuit et responsabilité sont, en effet, par essence incompatibles : soit le dommage naît de la faute de son auteur, et la question de la force majeure ou du cas fortuit ne se pose même pas, soit le dommage résulte de circonstances insurmontables et imprévisibles, et l’on ne saurait logiquement rechercher quelconque lien de causalité avec une éventuelle faute du débiteur, dont l’irresponsabilité sera en conséquence totale.
En l’espèce, il appartenait donc au bailleur, qui se prétendait libéré à l’égard des preneurs de son obligation de leur assurer une jouissance paisible, d’établir le cas fortuit à l’origine de la destruction totale de la chose louée. La cour d’appel s’était satisfaite de la circonstance que la cause du sinistre n’ait pas été établie avec certitude et était étrangère aux parties pour juger l’incendie constitutif d’un cas fortuit. Autrement dit, selon elle, le seul fait que l’incendie soit survenu sans raison apparente, sans explication technique évidente, suffisait à rendre sa cause fortuite. Au contraire, la Haute cour considère que de la simple ignorance de la cause exacte du dommage ne peut être induite l’existence d’un cas fortuit. Ainsi, le fait que la cause du dommage ait été inconnue laissait inchangés la charge comme l’objet de la preuve incombant au bailleur, celle d’établir la destruction fortuite des biens loués. Associé au risque et à l’aléa, le cas fortuit, incertain dans le fait même de sa réalisation, comme dans le moment et dans les conditions de sa survenance, doit, une fois produit, pouvoir être d’évidence établi. L’ignorance de son origine dont la cour d’appel avait, associée à l’extériorité de l’événement, à juste titre déduit l’absence de faute du bailleur pour exonérer ce dernier de sa responsabilité, ne suffit cependant pas, selon la Cour de cassation, à caractériser le cas fortuit. Continuait donc d’incomber au bailleur la charge de prouver, non pas son absence de faute, mais que l’incendie trouvait son origine dans un événement fortuit, imprévisible et irrésistible, par exemple l’intrusion d’un voleur incendiaire. Faute de l’avoir démontré, l’effet totalement exonératoire du cas fortuit ne pouvait être obtenu, cette faveur faite au débiteur justifiant une certaine sévérité d’appréciation et le refus en l’espèce consacré d’associer le cause indéterminée à la cause fortuite. La responsabilité du bailleur restait donc engagée, même s’il avait démontré qu’il ne pouvait être à origine du sinistre. Il convient d’ajouter que le preneur est, en vertu des articles 1733 et 1734 du Code civil instituant un régime spécial de responsabilité de ce dernier en cas d’incendie de la chose louée, soumis à la même sévérité (sur ce point, V. P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, Coll. Hypercours, n° 712).
En raison de l’obligation principale à laquelle le bailleur est tenu de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail (C. civ., art. 1719, 3°), le premier doit, faute d’avoir pu être exonéré de sa responsabilité en cas de manquement à cette obligation essentielle, indemniser le second de la perte de jouissance des lieux (Civ. 3e, 19 mars 1997, n° 95-16.719), même lorsqu’elle provient, comme en l’espèce, du fait d’un autre locataire (Civ. 3e, 19 mai 2004, n° 02-19.730).
Civ. 3e, 12 juill. 2018, n° 17-20.696
Références
■ CE 22 oct. 1971, Ville de Fréjus, n° 76200 A.
■ Civ. 3e, 19 mars 1997, n° 95-16.719 P.
■ Civ. 3e, 19 mai 2004, n° 02-19.730 P: D. 2004. 1640 ; AJDI 2004. 804, obs. Y. Rouquet.
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