Actualité > À la une
À la une
Procédure et contentieux administratifs
Précisions sur la portée de la distinction des recours contentieux
Mots-clefs : Recours, Recours pour excès de pouvoir, Recours de plein contentieux, Professeur des universités, Prime, Décision administrative, Objet pécuniaire des conclusions à fin d’injonction
Lorsque, par la voie du recours pour excès de pouvoir, un requérant demande l’annulation d’une décision administrative l’ayant privé d’une somme d’argent, il est également recevable à demander, par la même voie, l’annulation de la décision qui l’a privé des intérêts qui lui sont attachés a précisé le Conseil d’État dans un arrêt du 9 décembre 2011.
Un professeur des universités bénéficiant de la prime de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) avait obtenu une seconde rémunération en contrepartie de sa participation à l’exécution d’un contrat de recherche. Mais ce professeur s’est vu retirer sur son bulletin de paie le bénéfice de la PRES au motif que cette prime ne peut pas être cumulable avec la seconde rémunération perçue. Ce professeur demande au Conseil d’État l’annulation de la décision du président de l’Université lui supprimant la prime de recherche et le rejet implicite de son recours gracieux. Le requérant demande également qu’il soit enjoint à l’Université de lui verser la PRES, assortie des intérêts au taux légal. Le demandeur a déclaré en cours d’instance se désister de ses conclusions pécuniaires. En effet, il avait demandé le versement d’une indemnité pour réparation du préjudice subi par l’illégalité fautive de la décision lui refusant le versement de la PRES.
Le problème posé aux juges du Palais Royal était le suivant. Quelle est la nature du recours [recours pour excès de pouvoir (REP) ou recours de plein contentieux (RPC)] formé par ce professeur ? La question a une importance pratique évidente, puisque la nature du recours entraîne dans un cas la dispense du ministère d’avocat (REP) ou l’obligation d’avoir recours à ce ministère (RPC). En l’espèce, ce professeur des Universités avait agi seul. La demande de cet enseignant-chercheur tendait à la fois à l’annulation du refus d’un avantage financier (refus du versement de la PRES par le président de l’Université) et au versement des sommes correspondantes (demande du versement de la PRES). Ce professeur demandait également le versement des intérêts en conséquence de l’annulation du refus d’un avantage financier (demande du versement de la PRES, assortie des intérêts au taux légal). Mais dans sa demande initiale, le requérant souhaitait qu’il lui soit également versé une indemnité pour le préjudice subi, demande ensuite abandonnée au cours de la procédure. Une seconde question se pose alors : est-il possible de transformer un recours de pleine juridiction en recours pour excès de pouvoir en abandonnant les conclusions de plein contentieux initialement jointes à des conclusions d’excès de pouvoir ?
Afin de répondre à ces questions, le Conseil d’État part de l’analyse de deux jurisprudences. Selon la première jurisprudence (CE 7 nov. 1990, Ministre de la Défense c. Mme Delfau), une requête dans laquelle il est demandé à la fois l’annulation d’une décision de refus d’un avantage financier (en l’espèce, décision de refus du commandant des forces armés de la Polynésie française de rembourser à Mme Delfau ses frais de logement) et également la condamnation de l’État au versement des sommes en litiges (indemnité correspondant au montant des loyers acquittés) est une requête de plein contentieux. Selon la seconde jurisprudence (CE 11 juill. 1991, M. Crégut), les conclusions tendant au versement d’intérêts moratoires ont le caractère de plein contentieux et doivent être présentées par un avocat même dans l’hypothèse où le versement des intérêts est la conséquence directe de l’annulation d’une décision administrative refusant un avantage financier. Cette même jurisprudence juge irrecevable la demande en excès de pouvoir d’un requérant qui avait présenté à la fois des conclusions d’excès de pouvoir et des conclusions de plain contentieux et qui, après avoir été invité à régulariser sa requête en recourant au ministère d’avocat, a déclaré abandonner ses conclusions de plein contentieux.
Dans l’arrêt du 9 décembre 2011, le Conseil d’État précise sa jurisprudence et considère que « lorsque sont présentées dans la même instance des conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision et des conclusions relevant du plein contentieux tendant au versement d’une indemnité pour réparation du préjudice causé par l’illégalité fautive que le requérant estime constitué par cette décision, cette circonstance n’a pas pour effet de donner à l’ensemble des conclusions le caractère d’une demande de plein contentieux ». Ainsi la demande de désistement présentée par l’enseignant-chercheur de ses conclusions pécuniaires n’a effet ni sur le maintien, ni sur la recevabilité de ses conclusions à fin d’annulation de la décision pour excès de pouvoir.
Le Conseil précise par ailleurs que lorsqu’un litige porte sur le versement d’une somme d’argent, les conclusions ayant trait au principal sont de même nature que celles ayant trait aux intérêts. Ainsi le requérant, en formant un recours pour excès de pouvoir, peut demander que soit annulée la décision administrative qui l’a privé de cette somme et par la même voie (l’excès de pouvoir), l’annulation de la décision qui l’a privé des intérêts qui lui sont attachés. Lorsque le principal est dû, les intérêts sont dus de plein droit si le requérant en fait la demande. Quand une personne forme un recours pour excès de pouvoir contre une décision portant sur le refus du versement d’une somme d’argent, elle est « recevable sur le fondement de l’article L. 911-1 du CJA, à demander que soit enjoint, pour l’exécution de la décision, le versement des intérêts dus à compter de la réception de sa demande préalable à l’administration ou, à défaut, de l’enregistrement de sa requête introductive d’instance ». Ainsi, ces conclusions à fin d’injonction ont certes un objet pécuniaire mais elles sont dispensées du ministère d’avocat (car la demande principale reste le recours pour excès de pouvoir).
Ainsi, en l’espèce, les juges du Palais Royal considèrent qu’en refusant le versement de la PRES au requérant, le président de l’Université a fait une inexacte application des textes. Ils annulent cette décision de refus et enjoignent le président de l’Université à verser cette prime assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la réception de son recours gracieux.
CE, Sect., 9 déc. 2011, M. M., n° 337255, à paraitre au Lebon
Références
■ Article L. 911-1 du Code de justice administrative
« Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. »
■ CE 7 nov. 1990, Ministre de la Défense c. Mme Delfau, n° 113217, Lebon T. 649.
■ CE 11 juill. 1991, M. Crégut, n° 91758, Lebon T. 1120.
Autres À la une
-
Droit des biens
[ 22 novembre 2024 ]
Acte de notoriété acquisitive : office du juge quant à l’appréciation de la preuve de l’usucapion
-
Droit des obligations
[ 21 novembre 2024 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 20 novembre 2024 ]
Chuuuuuut ! Droit de se taire pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement
-
Droit de la responsabilité civile
[ 19 novembre 2024 ]
Recours en contribution à la dette : recherche d’une faute de conduite de l’élève conducteur
-
Droit de la responsabilité civile
[ 18 novembre 2024 ]
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
- >> Toutes les actualités À la une