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[ 19 juillet 2010 ] Imprimer

Droit des obligations

Précisions sur le manquement à une obligation essentielle du contrat et la faute lourde

Mots-clefs : Clause limitative de responsabilité, Arrêt « Chronopost », Faute lourde (conception objective, conception subjective), Obligation essentielle (inexécution), Cause, Contrat, Article 1131du Code civil.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 29 juin un arrêt important concernant le manquement à une obligation essentielle du contrat, qui se détache de la faute lourde, et n’exclue pas automatiquement les clauses limitatives de responsabilité insérées au contrat.

La Cour de cassation avait déjà eu à connaître de l’affaire donnant lieu à l’arrêt étudié (v. Com. 13 févr. 2007). Pour autant, il convient de rappeler les faits de l’espèce. Une entreprise du secteur automobile avait contacté un développeur informatique, afin de s’équiper d’un logiciel de gestion de production et de gestion commerciale. Un contrat de licence, un contrat de maintenance et un contrat de formation avaient été conclus en 1998, ainsi qu’un contrat de mise en œuvre d’un programme spécial de développement de logiciels informatiques dédiés à l’industrie automobile.

Malheureusement, la conception du logiciel prit du retard, et la solution informatique temporaire mise en place par le développeur informatique ne donnait pas satisfaction à son client. Dès lors, ce dernier cessa de payer les sommes dues en vertu du contrat. Ensuite, il assigna le prestataire informatique en résolution pour inexécution du contrat.

La cour d’appel de Versailles rend un arrêt en faveur du client de la société informatique, mais en application d’une clause limitative de responsabilité figurant au contrat, elle restreint à un niveau égal au montant du contrat la somme que l’entreprise informatique doit verser à son ex-cocontractant, au titre des dommages-intérêts. La Cour de cassation, saisie par un pourvoi, casse l’arrêt d’appel, au motif que la société informatique avait commis un « manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation ». Cet arrêt rappelait la jurisprudence « Chronopost » (v. Com. 22 oct. 1996) selon laquelle « en raison du manquement à [une] obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui [contredit] la portée de l'engagement pris, [doit] être réputée non écrite ». La Cour de cassation, au visa de l’article 1131, jugeait qu’une clause limitative de responsabilité contraire à l’obligation essentielle du contrat privait ce dernier de sa cause, et devait dès lors être déclarée inapplicable par le juge.

Or, la cour de renvoi avait résisté à la Cour de cassation, en faisant application de la clause limitative de responsabilité (Paris, 26 nov. 2008). C’est peu dire si les étudiants, les praticiens du droit et les membres de la doctrine attendaient la réaction de la Haute cour sur cette question. La chambre commerciale, présidée exceptionnellement par le Premier président de la Cour de cassation, apporte deux éclaircissements.

Premièrement, elle énonce que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur ». Par conséquent, les juges du fond doivent caractériser l’obligation essentielle du contrat et sa portée dans l’équilibre général du contrat. En constatant dans cette affaire que la clause permettait une répartition équilibrée des risques dans la mise en œuvre d’un logiciel innovant, que l’indemnisation prévue en cas d’inexécution correspondait au prix payé par le client de la société informatique, que ce dernier avait obtenu par ailleurs un taux de remise de 49 % sur le prix d’achat et qu’il bénéficiait d’un statut préférentiel dans l’élaboration du produit spécialement créé pour l’industrie automobile, la cour d’appel a pu considérer à bon droit que la clause ne contredisait pas l’obligation essentielle souscrite par le débiteur. Ainsi qu’a pu en conclure Dimitri Houtcieff, « tout manquement à l’obligation essentielle ne débouche pas sur l'éradication de la clause limitative de responsabilité ».

Dans un second temps, (l’examen du troisième moyen du pourvoi), la chambre commerciale apporte un éclaircissement sur la notion de faute lourde et sa caractérisation, en la séparant nettement du manquement à l’obligation essentielle du contrat. La notion de faute lourde en droit des obligations est en effet incertaine, oscillant entre une conception objective (la non-exécution d’une obligation essentielle du contrat — par exemple, pour l’entreprise Chronopost, le fait de ne pas délivrer un pli dans le délai fixé par le contrat —) et une conception subjective, « lié au comportement du débiteur », c'est-à-dire l’ensemble des actes commis par ce dernier et qui illustrent son inaptitude totale à exécuter l’obligation. Dans notre arrêt, la Haute cour se prononce sans ambiguïté pour la seconde solution, puisqu’il y est dit que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ». La Cour de cassation avait déjà opté pour cette vision subjective de la faute lourde (v. par ex. Civ. 3e, 21 janv. 2009), mais cet arrêt devrait définitivement clore le débat sur la correspondance entre faute lourde et manquement à une obligation essentielle du contrat. Le créancier de l’obligation essentielle inexécutée, aura donc à prouver la gravité du comportement du débiteur s’il souhaite faire échec à la clause limitative de responsabilité. En l’espèce, la cour d’appel a jugé à bon droit que la société automobile n’avait pas rapporté la preuve d’une faute lourde du fournisseur informatique.

Com. 29 juin 2010, n° 09-11.841

Références

Cause

« Existence de la cause. Dans le droit des obligations, la cause de l'obligation du débiteur est le but immédiat et direct qui le conduit à s'engager. On oppose à la cause, ainsi définie, le motif qui est un mobile personnel, subjectif et lointain. La cause est, au contraire, objective ; nécessaire à la validité des actes juridiques, elle est toujours la même pour chaque catégorie d'actes (par ex. : dans un contrat synallagmatique, la cause de l'obligation de l'une des parties est l'obligation de l'autre ; dans un acte à titre gratuit, la cause est l'intention libérale). »

Dommages-intérêts

« Somme d’argent destinée à réparer le dommage subi par une personne en raison de l’inexécution, de l’exécution tardive, ou de l’exécution défectueuse d’une obligation ou d’un devoir juridique par le cocontractant ou un tiers ; on parle alors de dommages-intérêts compensatoires. Lorsque le dommage subi provient du retard dans l’exécution, les dommages-intérêts sont dits moratoires. »

Faute

« Attitude d'une personne qui par négligence, imprudence ou malveillance ne respecte pas ses engagements contractuels (faute contractuelle) ou son devoir de ne causer aucun dommage à autrui (faute civile appelée également faute délictuelle ou quasi délictuelle). »

Résolution

« Sanction consistant dans l’effacement rétroactif des obligations nées du contrat synallagmatique lorsque l’une des parties n’exécute pas ses prestations.

Comme la nullité, la résolution a un effet rétroactif, mais, à la différence de la première, elle sanctionne un défaut d’exécution et non pas un vice existant lors de la formation du contrat.

 La résolution est en principe judiciaire. Toutefois, la gravité du comportement d’une partie au contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. »

Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

■ Code civil

Article 1131

« L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »

Article 1150

« Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée. »

Com. 13 févr. 2007, Bull. civ. IV, n° 43 ; D. 2007. AJ. 654, obs. Delpechibid. Pan. 2975, obs. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2007. 567, obs. Fages ; JCP 2007. II. 10063, note Serinet ; ibid. I. 185, n° 10, obs. Stoffel-Munck ; RDC 2007. 707, obs. D. Mazeaud, et 746, obs. Carval.

 Com. 22 oct. 1996, Bull. civ. IV, n° 261 ; Les gangs arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., coll. « Grands arrêts », Dalloz, n° 156 ; D. 1997. Jur. 121, note Sériaux ; ibid. 1997. Somm. 175, obs. Delebecque.

Civ. 3e, 21 janv. 2009, D. 2010. 224.

 ■ S. Amrani Mekki, B. fauvarque-Cosson, « Droit des contrats : octobre 2008-décembre 2009 », D. 2010. 224.

Le blog de Dimitri Houtcieff, « L’essentiel est dans la contradiction », 3 juin 2010.

■ Terré F., Lequette Y., Simler Ph., Droit civil. Les obligations, 10e éd., coll. « Précis », Dalloz, 2009, n° 575 s.

 

Auteur :B. H.

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