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Procédure civile
Précisions sur l’exigence d’impartialité du juge
Mots-clefs : Juge, Impartialité, Impartialité fonctionnelle, Contours de l’exigence, Limites de l’exigence
Le défaut d'impartialité d'une juridiction appelée à connaître de la contestation de la mesure d'exécution forcée d'une décision de justice ne peut résulter du seul fait qu'elle ait précédemment connu de l'appel formé contre cette même décision.
Le juge qui se prononce sur l’exécution forcée peut, sans contrevenir à l’exigence d’impartialité, avoir préalablement statué sur le fondement de la créance. Tel est l’enseignement de la décision rapportée.
En l’espèce, un couple avait déposé une requête tendant à la récusation de quatre magistrats d’une cour d’appel et au renvoi pour cause de suspicion légitime devant une autre juridiction de l’instance les concernant, pendante devant cette juridiction. Dans cette perspective, ils faisaient valoir « que la jurisprudence de la CEDH, fondée sur l’article 6, § 1er, de la Conv. EDH interdit à un même magistrat de trancher deux fois de suite une même discussion, du fait qu’il a nécessairement un préjugé pour sa seconde prestation », de sorte que les magistrats mis en cause, ayant déjà connu de leur litige par la confirmation du jugement constituant le titre exécutoire sur le fondement duquel fut pratiquée la mesure d’exécution, ensuite contestée devant un juge de l’exécution, ne pourraient connaître de l’appel interjeté contre la décision rendue par ce juge de l’exécution dès lors que l’appel ainsi formé concerne les conséquences de ce même litige.
Cette thèse est rejetée par la deuxième chambre civile au motif « que le défaut d’impartialité d’une juridiction appelée à connaître de la contestation de la mesure d’exécution forcée d’une décision de justice ne peut résulter du seul fait qu’elle ait précédemment connu de l’appel formé contre cette décision ».
Garantie par les plus hautes instances internationales, l’exigence d’impartialité est également promue en droit interne. Outre l’article 6 § 1er de la Conv. EDH (garantissant le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal « indépendant et impartial »), directement applicable dans l’ordre interne, les textes qui défendent le respect de cette exigence dans le procès civil sont contenus dans le Code de procédure civile et depuis l’ordonnance du 8 juin 2006, dans le Code de l’organisation judiciaire (art. L.111-5 : « L’impartialité des juridictions judiciaires est garantie par les dispositions du présent code… »).
Rare autrefois, l’invocation des causes de partialité des magistrats donne lieu, depuis une trentaine d’années, à une évolution jurisprudentielle sans précédent. Sous l’influence de la CEDH, l’effectivité de l’exigence d’impartialité se trouve accrue. Celle-ci affirmait déjà, dans son arrêt Piersack du 1er octobre 1982, qu’ « il [en] va de la confiance que les tribunaux se doivent d’inspirer aux justiciables dans une société démocratique ».
Comme en témoigne la décision rapportée, les juridictions internes ont été influencées par l’essor européen de cette exigence qui se traduit, notamment, par une extension du concept d’impartialité, laquelle n’est plus seulement entendue dans sa conception subjective originaire, mais également sous un angle objectif.
Les raisons de douter de la partialité du magistrat peuvent désormais tout autant relever de considérations personnelles propres au magistrat (relations du juge avec une partie, convictions personnelles du juge, etc.) que d’une approche objective et fonctionnelle.
L’impartialité fonctionnelle que défendaient les requérants dans cette affaire consiste à contrôler qu’un même juge ne soit pas amené, dans l’exercice de ses fonctions, à prendre position deux fois dans la même affaire, du moins si sa première position fait naître le risque d’altérer sa liberté d’adopter la seconde. En ce sens, l’article L.111-6, 5° du COJ figurant au visa prévoit que la récusation d'un juge puisse être demandée, notamment, « s’il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre (…) ».
La connaissance préalable, par le magistrat, de l'affaire n’est cependant pas toujours considérée comme étant problématique. Ainsi avait-il déjà été admis qu'un juge de l'exécution ait été, dans la même affaire, précédemment juge du fond ; aucune récusation ne peut être fondée sur ce fait, qui ne contredit pas l’exigence d’impartialité (Civ. 2e, 16 mai 2002).
Toutefois, si le juge avait porté des appréciations sur les points spécifiques discutés devant le juge de l'exécution, il y aurait eu matière à fonder valablement une récusation sur l'article 341 du Code de procédure civile (Civ. 2e, 16 mai 2002, préc.), réserve à nouveau rappelée ici par la Haute cour lorsqu’elle précise que le défaut d’impartialité des juges ne pouvait résulter « du seul fait » que la Cour ait précédemment connu de l’appel formé contre la décision rendue par le juge de l’exécution.
Civ. 2e, 3 avr. 2014, n°14-01.414
Références
■ CEDH 1er oct. 1982, Piersack, n°8692/79.
■ Civ. 2e, 16 mai 2002, n° 00-18.962.
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
■ Code de l’organisation judiciaire
« L'impartialité des juridictions judiciaires est garantie par les dispositions du présent code et celles prévues par les dispositions particulières à certaines juridictions ainsi que par les règles d'incompatibilité fixées par le statut de la magistrature. »
« Sous réserve de dispositions particulières à certaines juridictions, la récusation d'un juge peut être demandée:
1° Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation;
2° Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties;
3° Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement;
4° S'il y a eu ou s'il y a procès entre lui ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint;
5° S'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties;
6° Si le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties;
7° S'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint;
8° S'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties.
Les magistrats du ministère public, partie jointe, peuvent être récusés dans les mêmes cas. »
■ Article 341 du Code de procédure civile
« Sauf disposition particulière, la récusation d'un juge est admise pour les causes prévues par l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire. »
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