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Droit pénal européen et international
Précisions utiles sur la qualification de traitement inhumain ou dégradant
Mots-clefs : Torture, Traitements inhumains ou dégradants, Lunettes (confiscation), Article 3
Deux arrêts rendus les 20 et 22 avril par la Cour européenne des droits de l’homme rappellent aux États membres du Conseil de l’Europe leurs obligations tirées de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants.
Dans la première affaire (n° 60333/00), il s’agissait de savoir si le fait de retirer les lunettes d’un détenu durant 4 mois environ pouvait constituer un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. En l’espèce, à Moscou, en juillet 1998, un homme avait été arrêté par la police à la suite d’une tentative de cambriolage. Au poste de police, ses lunettes lui avaient été retirées. Au cours de la procédure d’instruction, il avait fait plusieurs demandes de libération conditionnelle, et était revenu sur ses aveux initiaux. De plus, il s’était plaint — sans en faire pour autant une demande formelle — du fait que ses lunettes lui avaient été confisquées sans motifs.
Le gouvernement russe admettait que la confiscation des lunettes n’avait pas de base légale. Mais, en se fondant sur une jurisprudence de la Cour qui avait jugé que « quelques jours passés en détention sans lunettes ne constituaient pas un mauvais traitement » (v. A. K. c. Pays-Bas, 6 avril 1995), il s’appuyait sur un rapport médical certifiant que le détenu pouvait se déplacer au sein de sa cellule sans assistance, et que ses lunettes lui avaient été rendues au bout de 4 mois.
La cour était ici confrontée à un fonctionnement « normal » de la justice russe. Les demandes du suspect avaient été examinées par des tribunaux indépendants et il avait fait l’objet d’une visite médicale. Cependant, citant un arrêt de 1996 (Kudla c. Pologne, 26 oct. 2000), elle rappelle que les prisonniers sont aussi protégés par l’article 3 de la Convention, une fois condamnés et incarcérés. En dehors des nécessaires restrictions liées à l’enfermement, les États doivent donc s’assurer que la santé et le bien être des détenus sont garantis, « entre autres, par un suivi médical approprié ». Constatant que l’officier de police chargé de l’enquête avait ôté les lunettes du détenu sans raison, que leur confiscation en prison n’était pas justifiée par les contraintes liées à l’enfermement, et que l’administration avait mis deux mois avant de procéder à une expertise médicale et deux mois supplémentaires pour fournir de nouvelles lunettes au détenu, elle juge que la Russie a violé l’article 3 de la Convention.
Dans la seconde affaire — qui concernait la Grèce — (n° 2954/07), le requérant soutenait qu’il avait été victime de mauvais traitements au cours d’un interrogatoire au poste de police. Questionné par un officier au sujet d’un cambriolage, il prétendait que ce dernier l’avait frappé violemment à la tête lorsqu’il ne répondait pas à ses questions. À sa sortie du commissariat, il s’était rendu immédiatement à l’hôpital. Le médecin de garde avait diagnostiqué des blessures à la tête vraisemblablement causées par des coups, ainsi que des maux de tête violents et des troubles visuels sérieux. Le jeune homme s’était alors plaint auprès du bureau du procureur de l’île où il résidait. Parmi les 11 policiers visés par la plainte, un seul fut condamné pour mauvais traitements en première instance, condamnation qui fut par ailleurs infirmée en appel.
Le jeune homme soutenait devant la Cour que l’État grec avait violé l’article 3 de la Convention, en raison des violences qu’il avait subies, mais également pour les manquements des autorités de poursuite et d’enquête dans leur obligation de contribuer à la manifestation de la vérité, tirée également de l’article 3 de la Convention. La Grèce, qui avançait que son Code pénal prévoyait des sanctions renforcées et une procédure judiciaire spéciale pour juger les officiers de police soupçonnés de commettre des violences, prétendait que la Cour ne pouvait contredire une décision grecque en effectuant sa propre évaluation des faits de l’affaire.
Faisant référence à une jurisprudence bien établie (Selmouni c. France, 28 juill. 1999 ; Aksoy c. Turquie, 18 déc. 1996), la Cour rappelle laconiquement que « lorsqu'un individu est placé en garde à vue alors qu'il se trouve en bonne santé et que l'on constate qu'il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l'État de fournir une explication plausible pour l'origine des blessures, à défaut de quoi l'article 3 de la Convention trouve manifestement à s'appliquer ».
Appliquant cette présomption à la situation grecque, elle en conclut que l’État a l’obligation de mener une enquête sérieuse et effective, à l’inverse de celle qui a eu lieu en l’espèce. Le gouvernement, qui n’a pas établi « au-delà du doute raisonnable » que les blessures du requérant étaient présentes avant son passage par le poste de police, a donc violé l’article 3 de la Convention.
CEDH, Slyusarev v. Russia, n° 60333/00 ; Stefanou v. Greece, n° 2954/07 (2 esp., uniquement en anglais)
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 3 — Interdiction de la torture
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
■ CEDH, 6 avril 1995, A. K. c. Pays-Bas, n° 24774/94.
■ CEDH, 26 oct. 2000, Kudla c. Pologne, n° 30210/96.
■ CEDH, 28 juill. 1999, Selmouni c. France, n° 25803/94 ; 18 déc. 1996, Aksoy c. Turquie, n° 100/1995/606/694.
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