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[ 25 octobre 2021 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Prédispositions pathologiques de la victime : la réparation du préjudice reste intégrale

L’indemnisation du préjudice corporel de la victime ne peut être limitée en raison de sa prédisposition pathologique dès lors que l’affection qui en est issue a été révélée par le fait dommageable.

Civ. 2e, 16 sept. 2021, n° 19-26.014

Souffrant de douleurs persistantes auxquelles son traitement médical, habituellement suivi dans ce cas, n’avait permis de remédier, la victime d'un accident de la circulation avait dû effectuer des examens complémentaires ayant mis en évidence la présence d’un syndrome respiratoire qu’il avait fallu opérer, plusieurs mois après l’accident.

Déjà symptomatique avant sa survenance, ce syndrome que la victime connaissait depuis l’enfance était cependant resté, jusqu’alors, indolore et n’avait donné lieu, en l’absence de risque d’aggravation de cette anomalie bénigne, à aucun traitement médical.

Par ailleurs, après avoir observé que l’accident avait provoqué la décompensation de ce syndrome, la majorité des experts avait alors établi un lien de causalité certain et direct entre le fait dommageable et la conséquence de cet état antérieur.

En outre, ceux d’entre eux ayant écarté ce lien de causalité n’étaient pas parvenus à établir une cause autre que l’accident pour expliquer la survenance de ce syndrome moins d’un an après sa survenance. C’est la raison pour laquelle la cour d’appel admit que l’assureur du conducteur, auteur du dommage, devait prendre en charge cette conséquence dommageable de l’accident provoqué par son assuré.

Devant la Cour de cassation, l’assureur dénonça une dénaturation des documents de la cause par les juges du fond, auxquels il reprochait également d’avoir ignoré le fait que la prédisposition pathologique de la victime s’était déjà exprimée avant l’accident, ce qui aurait dû les conduire à limiter le montant de l’indemnisation allouée.

Ainsi contestait-il l’admission, en l’espèce, d’une réparation intégrale du préjudice éprouvé alors que le lien de causalité entre l’apparition du syndrome et l’accident demeurait incertain, en sorte que le fait dommageable ne se présentait que comme une cause concourante mais non exclusive du préjudice corporel de la victime, qui ne pouvait donc être intégralement réparé.

La Cour de cassation réfute sans surprise cet argumentaire, reposant sur l’ancienne doctrine de la causalité partielle depuis longtemps abandonnée. Au visa du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, dont découle le droit de la victime à la réparation intégrale de son préjudice corporel, la deuxième chambre civile juge indifférent le fait que la prédisposition pathologique ait pu favoriser la survenance du dommage. Le pourvoi est donc rejeté au motif que la cour d‘appel, « qui a souverainement apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a pu déduire, hors de toute dénaturation, (…), que le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial (…) qui avait été révélé par le fait dommageable, était une conséquence directe de l’accident… ».

Ainsi la Cour procède-t-elle au rappel d’une règle jurisprudentielle désormais bien ancrée, au pénal comme au civil, selon laquelle le droit à réparation de la victime ne saurait être limité en raison de son état de santé antérieur ou d’une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue « n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable » (V. déjà Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-18.784 ; Civ. 2e, 28 juin 2012, n° 11-18.720 ; Crim. 11 janv. 2011, n° 10-81.716). Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait donc être réduit. Dans ce type de litiges, le préjudice s’apprécie alors in concretoà partir des éléments de preuve soumis au juge devant évaluer le dommage sans perte ni profit pour la victime, dont l’indemnisation doit réparer le seul mais l’entier préjudice dès lors que ce dernier constitue la suite nécessaire du fait dommageable.

Pour mener à bien cette appréciation, les juges du fond doivent donc, à l’appui de rapports d’experts, connaître l’état de santé de la victime avant la survenance de l’accident pour identifier les éventuelles séquelles qui en découleraient.

Il convient donc d’abord d’analyser d’abord son état antérieur à l'événement dommageable (maladies, accidents, opérations) et ses prédispositions pathologiques, et de déterminer ensuite si cet état constitutionnel préexistant s’était déjà révélé symptomatique avant la survenance des faits litigieux. En effet, seuls l’état antérieur et les prédispositions de la victime en lien direct et certain avec le fait dommageable et ses conséquences doivent être retenus pour limiter valablement son indemnisation.

Mais le fait qu'une pathologie antérieure ait été l'une des causes du dommage demeure, à la condition que celle-ci ne se soit pas antérieurement révélée, sans incidence sur la réparation si le fait imputable au défendeur apparaît lui-même comme une cause certaine de celui-ci (P. Jourdain, obs. sous Civ. 2e, 28 juin 2012, préc.). C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation reste ici insensible à la thèse du pourvoi soutenant que la circonstance d’une pathologie préexistante puisse, à elle seule, limiter le montant de la réparation allouée à la victime. Approuvant l’analyse de la cour d’appel ayant constaté que les conséquences néfastes de cette pathologie ne s’étaient effectivement manifestées qu’à la suite de l’accident, les Hauts magistrats confirment que cet état pathologique antérieur, quoique déjà symptomatique et connu de la victime avant l’accident, avait bien été révélé par le fait dommageable : il ressortait en effet des différents rapports d’expertise que ce ne fut qu’à la suite de l’accident que cette anomalie s’était pour la première fois traduite par un syndrome dont l’ampleur inédite et la gravité des symptômes nouvellement apparus avaient justifié une opération chirurgicale. 

Le fait dommageable avait donc emporté des conséquences inédites sur l’étendue du préjudice corporel de la victime. Ainsi devait-il être regardé comme une cause certaine et directe, quoique non exclusive, du dommage qui, à ce titre, devait être intégralement réparé. 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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