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Droit administratif général
Préjudice d’anxiété et amiante
Mots-clefs : Responsabilité, Responsabilité de l’État, Préjudice d’anxiété, Amiante, Indemnisation, Régime spécifique, Conditions, Preuve
Le versement, à un ouvrier d’État de la direction des constructions navales, de l’allocation spécifique de cessation anticipée d’activité suffit par lui-même à établir son préjudice d’anxiété.
Dommage psychologique spécifique, le préjudice d’anxiété né dans un cadre professionnel pour un risque de pathologie lié à l’amiante fait l’objet, sur un plan probatoire, de la clémence des juges judiciaire et administratif.
L’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs victimes de l’amiante, créée par l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, est versée aux salariés ou anciens salariés, sous la réserve qu’ils aient cessé toute activité professionnelle et travaillé dans certains établissements légalement spécifiés et figurant sur une liste établie par le pouvoir réglementaire, pendant une période déterminée où y étaient fabriqués ou traités de manière significative l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante. Sur le fondement de cette loi, la Cour de cassation a développé depuis 2010 une jurisprudence admettant l’indemnisation du préjudice moral particulier résultant de cette exposition à l’amiante (Soc. 11 mai 2010, n° 09-42.241) en l’associant au régime d’indemnisation du préjudice physique lié au contact professionnel avec de l’amiante. Ainsi a-t-elle jugé par plusieurs arrêts du 3 mars 2015 (Soc. 3 mars 2015, n°13-20.474) que les conditions légales précitées sont nécessaires mais également suffisantes pour justifier l’indemnisation du préjudice d’anxiété et, en 2014 (Civ. 2e, 2 avr. 2014, n° 12-29.825), elle avait par ailleurs déjà jugé que le salarié victime de l’exposition à l’amiante n’a pas d’autre preuve à apporter pour établir son préjudice. Autrement dit, dès lors qu’il rapporte la preuve que l’établissement dans lequel il a travaillé est placé sur la liste des sites à risque par arrêté et qu’il a plus de 50 ans, le salarié victime de son exposition à l’amiante peut prétendre à être indemnisé de son préjudice, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’anxiété elle-même.
Dans la décision rapportée, prolongeant celle rendue dans l’affaire du Médiator dans laquelle il avait reconnu le caractère indemnisable du préjudice d’anxiété (CE 9 nov. 2016, n° 393108), le Conseil d’État juge que pour certains ouvriers d’État exposés à l’amiante, la décision de reconnaissance du droit à l’allocation spécifique de cessation anticipée d’activité suffit à rapporter la preuve de leur préjudice d’anxiété. En l’espèce, le requérant, ouvrier d’État au sein de la direction des constructions navales, avait bénéficié de cette allocation spécifique créée par décret en 2001 au profit de plusieurs ouvriers d’État, qu’ils soient ou non atteints d’une pathologie liée à l’amiante, exerçant ou ayant exercé certaines professions dans des établissements ou parties d’établissements de construction et de réparation navales à des périodes déterminées au cours desquelles il est avéré qu’étaient utilisées l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante. Bien que n’ayant développé aucune pathologie liée à l’amiante, il avait demandé réparation à l’État du préjudice subi en raison de l’inquiétude permanente de développer une telle pathologie et de troubles en résultant dans ses conditions d’existence. En appel, les juges avaient accueilli sa demande et condamné l’État à lui verser une somme de 12 000 euros en réparation de son préjudice. Par une même appréciation souple du dispositif applicable à la situation du requérant, le Conseil d’État juge que « dès lors qu’un ouvrier d’État ayant exercé dans la construction navale a été intégré dans ce dispositif d’allocation spécifique de cessation anticipée d’activité, compte tenu d’éléments personnels et circonstanciés tenant à des conditions de temps, de lieu et d’activité, il peut être regardé comme justifiant l’existence de préjudices tenant à l’anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave et par là même d’une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d’amiante ». Ainsi la cour administrative d’appel a-t-elle à bon droit jugé « que la décision de reconnaissance du droit à cette allocation vaut reconnaissance pour l’intéressé d’un lien établi entre son exposition aux poussières d’amiante et la baisse de son espérance de vie et que cette circonstance, qui suffit par elle-même à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade, est la source d’un préjudice indemnisable au titre du préjudice moral ».
Références
■ Soc. 11 mai 2010, n° 09-42.241 P, D. 2010. 2048, note C. Bernard ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2010. 839, avis J. Duplat ; RTD civ. 2010. 564, obs. P. Jourdain.
■ Soc. 3 mars 2015, n° 13-20.474 P, Dalloz actualité, 26 mars 2015, obs. Fraisse, D. 2015. 968, entretien J. Knetsch ; ibid. 1384, chron. E. Wurtz, F. Ducloz, C. Sommé, S. Mariette et N. Sabotier ; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; Just. & cass. 2016. 258, rapp. E. Wurtz ; ibid. 264, avis C. Courcol-Bouchard ; Dr. soc. 2015. 360, étude M. Keim-Bagot ; RTD civ. 2015. 393, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 2 avr. 2014, n° 12-29.825 P, Dalloz actualité, 2 mai 2014, obs. Fraisse, D. 2014. 1312, note C. Willmann ; ibid. 1404, chron. S. Mariette, C. Sommé, F. Ducloz, E. Wurtz, A. Contamine et P. Flores.
■ CE 9 nov. 2016, n° 393108, Lebon ; AJDA 2017. 426, note S. Brimo ; ibid. 2016. 2134 ; D. 2016. 2346; RDSS 2016. 1162, obs. J. Peigné.
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