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[ 18 avril 2016 ] Imprimer

Droit pénal spécial

Préjudice écologique : au juge de l’estimer !

Mots-clefs : Responsabilité pénale, Préjudice écologique, Existence, Définition, Conditions, Préjudice indemnisable, Estimation, Juge, Demandeur à l’indemnisation (non)

Le préjudice écologique étant implicitement reconnu par la cour d'appel, même en cas de doute sur son estimation, il lui incombe, au besoin par expertise, de procéder à son évaluation.

Par la décision rapportée, la chambre criminelle de la Cour de cassation accepte d’indemniser le préjudice écologique subi par une association. Cette décision est remarquable, d’une part en ce qu’elle confirme l’existence, déjà reconnue par la jurisprudence pénale, de ce nouveau type de préjudice, à l’heure même où la question de son introduction dans le Code civil est en cours de discussion à l’Assemblée (Projet de loi relatif à la biodiversité) ; d'autre part, elle comble les lacunes de la jurisprudence antérieure, en précisant les modalités d'évaluation de ce préjudice.

En l'espèce, à la suite d’une rupture de tuyauterie dans une raffinerie exploitée par un groupe pétrolier ayant causé une pollution au fuel dans l'estuaire de la Loire, ce groupe avait été pénalement condamné en première instance à 300.000 euros d'amende. Le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire avait également accordé des dommages-intérêts à plusieurs collectivités territoriales et associations au titre du préjudice matériel et moral subi, mais il avait en revanche refusé l’indemnisation du préjudice écologique. Une association chargée de la protection des oiseaux (LPO) avait fait appel de ce jugement afin d’obtenir la réparation de ce préjudice. La cour d'appel, tout en reconnaissant implicitement son existence, débouta néanmoins l'association de sa demande indemnitaire au motif, d'une part, que celle-ci avait chiffré son préjudice sur la base d'une estimation du nombre d'oiseaux détruits alors même que cette destruction n'était pas prouvée et, d'autre part, que l’appelante avait confondu son préjudice personnel et le préjudice écologique en demandant que son indemnisation fût estimée, sur la période considérée, au regard du budget annuel de l’association, personne morale, qu’elle représentait.

La décision des juges du fond est censurée par la chambre criminelle. Dans un chapeau reprenant le principe énoncé dans la jurisprudence Erika (Crim. 25 sept. 2012, n° 10-82.938), la Cour réaffirme que le préjudice écologique consiste en l'atteinte, directe ou indirecte, portée à l'environnement et découlant de l'infraction commise. En l'espèce, le préjudice réparé consiste dans « l'altération notable de l'avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l'estuaire de la Loire ». La Haute juridiction casse également la décision de la cour d’appel au motif qu’elle ne pouvait refuser d’indemniser le préjudice écologique subi par l’association en raison de l'insuffisance ou de l'inadaptation du mode d'évaluation que celle-ci avait proposé alors qu’« il lui incombait de chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l'existence ».

Le premier enseignement de cet arrêt tient dans la confirmation de l’existence de ce nouveau type de préjudice réparable que constitue le préjudice dit écologique, dont les modalités de réparation sont actuellement débattues. En effet, au début du mois de mars dernier, le Gouvernement avait déjà présenté un amendement, lequel fut largement critiqué pour la limite qu’il posait à l’indemnisation de ce préjudice, refusant que des préjudices causés par des activités autorisées fussent réparés. Ainsi, si cet amendement avait été voté, il aurait, en l’espèce, empêché la réparation du préjudice écologique invoqué, la raffinerie disposant d'une autorisation administrative au titre de la législation sur les installations classées (ICPE). Face aux critiques, le Gouvernement avait donc retiré cet amendement pour en déposer un autre, voté le 15 mars, et préservant, du moins jusqu’à sa deuxième lecture au Sénat en mai prochain, les acquis jurisprudentiels. Dans la lignée de la décision Erika, précitée, la Cour permet ainsi à une association agréée d'obtenir la réparation du préjudice écologique qu’elle a subi. L'article L. 142-2 du Code de l'environnement justifie une telle solution puisque ce type d’associations est autorisé à ester en justice pour la défense d'un intérêt collectif. L'habilitation législative sert ainsi à contourner l'exigence de personnalité du préjudice. Ainsi ressortait-il déjà de la jurisprudence Erika que le préjudice porté à l'intérêt collectif tendant à la préservation de l'environnement pour lequel certaines personnes morales sont habilitées à demander réparation ne doit pouvoir se confondre avec le préjudice subi individuellement par des personnes physiques. Le préjudice écologique y était ainsi défini comme un préjudice objectif et autonome, consistant en toute atteinte non négligeable à l'environnement naturel, sans répercussion sur un intérêt humain particulier mais affectant un intérêt collectif légitime.

Le second enseignement de cet arrêt, tout aussi important, concerne l’évaluation du préjudice ; celle-ci, affirme la Cour, incombe au juge, avec l’aide éventuelle d’un expert, et non au demandeur. Partant, même si l'évaluation du préjudice écologique ne semblait pas, selon la cour d’appel, établie, il lui incombait néanmoins de le mesurer et de le chiffrer dès lors qu’elle en avait reconnu l'existence. Ainsi l'arrêt permet-il de mettre en évidence l'office du juge pénal dans le cadre de l'action civile : l'autorité de la condamnation pénale et le principe de réparation intégrale imposent au juge d'indemniser le préjudice acquis dans son principe, et donc d'en mesurer l'étendue pour parvenir à le chiffrer (V. déjà, Crim. 13 nov. 2013, n° 12-84.430).

 

Crim. 22 mars 2016, n° 13-87.650

Références

■ Crim. 25 sept. 2012, n° 10-82.938 P, AJDA 2013. 667, étude C. Huglo ; D. 2012. 2711, et les obs., note P. Delebecque ; ibid. 2557, obs. F. G. Trébulle ; ibid. 2673, point de vue L. Neyret ; ibid. 2675, chron. V. Ravit et O. Sutterlin ; ibid. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2012. 574, note A. Montas et G. Roussel ; AJCT 2012. 620, obs. M. Moliner-Dubost ; Rev. sociétés 2013. 110, note J.-H. Robert ; RSC 2013. 363, obs. J.-H. Robert ; ibid. 447, chron. M. Massé ; RTD civ. 2013. 119, obs. P. Jourdain.

■ Crim. 13 nov. 2013, n° 12-84.430 P, D. 2013. 2695 ; RDI 2014. 45, obs. G. Roujou de Boubée ; RTD civ. 2014. 130, obs. P. Jourdain.

 

Auteur :M. H.

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